Pourquoi couple libre et sexe riment avec féminisme ?

Ce blog tourne autour de trois sujets : le sexe, le couple libre, le féminisme. Je prétends que les trois vont bien ensemble.

féminisme, sexe, couple libre, infidélité, polyamour

féminisme, sexe et couple libre (ref. photo (c) x-art.com)

Le couple libre et le féminisme

Si l’on fait exception des trois dernières décennies (et encore seulement dans quelques cultures), l’exclusivité sexuelle dans le couple n’allait pendant longtemps que dans un seul sens. Les incartades de Monsieur étaient largement tolérées tandis que celles de Madame étaient punies sinon de mort du moins de déchéance et d’opprobre. Quoi qu’en pensent ceux qui croient encore aux contes de fées, je suis persuadé que l’exclusivité sexuelle reste d’abord une affaire de territorialité. L’amour romantique l’a récemment édulcorée en la parant des attraits de la dévotion amoureuse à l’autre. Un peu comme une forme de voeu mutuel de célibat que les deux amoureux feraient en entrant dans les ordres conjugaux. Mais quand on voit comment s’exprime la jalousie en cas d’infidélité, c’est bien la bonne vieille possessivité irrationnelle qui ressort, et non pas la juste indignation qu’inspirerait une simple entorse à un voeu solennel.

Il n’est pas difficile de voir dans l’exclusivité sexuelle et même affective les traces du patriarcat qui cherche à maintenir la femme dans la dépendance de son mari : dépendance affective et sexuelle en plus de la dépendance financière et légale. Le fait qu’un époux puisse estimer avoir un droit de regard sur l’usage que sa femme fait de son corps est tout simplement odieux ; c’est une version à peine allégée du voile intégral. Et ce n’est pas en donnant à l’épouse un droit réciproque que le principe devient acceptable. D’ailleurs, on trouverait ça idiot que l’égalité des sexes dans les pays d’Islam radical se développe en imposant le port du voile intégral pour les hommes aussi.

Ainsi le couple libre ou le polyamour correspondent à une forme évidente d’émancipation, dans laquelle la femme dispose librement de son corps, vit sa sexualité comme elle l’entend. Le couple ne s’envisage pas dans la dépendance mututelle ou l’appartenance mutuelle mais dans l’enrichissement mutuel et le soutien mutuel.

Evidemment, le couple libre n’exige pas que chacun ait plusieurs amants. Il postule simplement qu’on arrête de considérer l’exclusivité comme composante obligatoire (la plupart du temps tacite) du projet de couple. Comme je le dis dans cet autre article : « On vit mieux dans une cage ouverte que fermée. »

Le sexe et le féminisme

Le féminisme des débuts revendiquait haut et fort l’accès des femmes à leur sexualité, en mettant fin à l’image de vierge effarouchée que l’occident s’évertuait à leur coller depuis le début du XIXe siècle. La contraception et la loi Veil sont des avancées majeures du féminisme et qui concernent évidemment le sexe. Mais quelque part en chemin, probablement sous l’influence du féminisme radical américain, peut-être pour mieux combattre le viol et le harcèlement, une partie du féminisme a peu à peu recreusé de vieilles ornières qui normalisaient le désir féminin tout en caricaturant le désir masculin. Le sexe rentrait à nouveau dans les vieilles cases. Pourtant, il n’y a pas besoin de postuler que les femmes n’ont pas envie de sexe pour dire que le harcèlement sexuel ou l’esclavage sexuel sont des actes intolérables. Mais c’est tellement plus simple.

C’est malheureusment simpliste, et même dangereux parce que vouloir normaliser et régenter le sexe ouvre la porte aux vieilles tendances puritaines sexistes. La défense des droits des femmes, la lutte contre les violences faites aux femmes ne doivent pas être un prétexte pour remettre les femmes dans le rôle archaïque de victimes dépendantes, de mères sans défense, d’anges asexués.

Je prétends donc qu’en laissant parler les envies de sexe de tout le monde et surtout les envies de sexe des femmes (y compris quand elles concernent des hommes qui ne sont pas leur compagnon officiel), on fait autant pour le féminisme qu’en dénonçant le viol ou en demandant des places en crèche.

23 réponses à “Pourquoi couple libre et sexe riment avec féminisme ?

  1. Bon, c’est rassurant, je ne suis pas le seul pour qui découverte du féminisme et ouverture du couple c’est fait en même temps.
    Et je retrouve les mêmes raisonnements. 🙂

    • Je ne dirai pas que j’ai découvert le féminisme à cette occasion – les bouquins d’Elisabeth Badinter sont dans ma bibliothèque depuis un certain temps. Mais c’est vrai que ça donne un éclairage vraiment intéressant.

  2. Pingback: Débutant cherche blog pour sexprimer | les fesses de la crémière·

  3. Heu… dire que le féminisme radical considère que « les femmes n’ont pas envie de sexe » c’est soit de l’ignorance soit de la mauvaise foi. Vous avez le droit d’être en désaccord avec Dworkin et MacKinnon – c’est mon cas aussi – mais ce n’est pas une raison pour les transformer en « femmes de paille ».

    Pour simplifier correctement, leurs principales thèses sont qu’il faut combattre la pornographie en tant qu’elle est une érotisation de la domination des hommes sur les femmes et qu’il faut combattre la prostitution en tant que chosification des femmes. Elles ne sont donc pas « anti-sexe » mais contre une certaine sexualité (en bref hétérocentrée et dominatrice). Elles placent clairement leur combat contre les violences sexuelles dans la perspective d’une émancipation sexuelle des femmes. Elles ne voient pas les femmes comme des victimes sans défense, mais comme des opprimées qu’elles appellent à se révolter.

    Et, quoique l’on pense du féminisme radical américain, vous exagérez son influence. Aux USA, l’ordre puritain est bien plus puissant.

    • Où ai-je écrit que le féminisme radical considère que les « femmes n’ont pas envie de sexe » ?
      Je me relis :

      […] quelque part en chemin, probablement sous l’influence du féminisme radical américain, […] une partie du féminisme a peu à peu recreusé de vieilles ornières qui normalisaient le désir féminin tout en caricaturant le désir masculin.

      Ce que je pense, c’est qu’une partie du féminisme « mainstream » a laissé se diffuser une version caricaturée des positions des féministes radicales américaines, peut-être parce qu’oublier quelques nuances rendait le discours plus simple.

      Elisabeth Badinder est en fait nettement plus virulente que moi concernant Dworkin et McKinnon.

      • Le passage qui m’a fait tiqué est le suivant :
        « Pourtant, il n’y a pas besoin de postuler que les femmes n’ont pas envie de sexe pour dire que le harcèlement sexuel ou l’esclavage sexuel sont des actes intolérables. Mais c’est tellement plus simple. »

        Il suggère clairement qu’il existe des personnes qui postulent que les femmes n’ont pas envie de sexe afin de combattre le harcèlement sexuel et l’esclavage sexuel. Étant donné que vous faisiez mention juste avant des féministes radicales américaines, j’ai compris que c’était une attaque contre elles. Ce qui me semblait fort du café. Quand bien même ce n’était pas le cas, ce passage reste problématique à mes yeux. Je ne sais pas ce qu’est ce « féminisme mainstream » dont vous parlez. J’ai personnellement rencontré de nombreuses féministes combattant les violences sexuelles (viol comme harcèlement) et je n’en ai jamais entendu une seule défendre que les femmes n’avaient aucune envie de sexe. Les plus radicales défendaient ce que j’appellerai un « lesbianisme politique » : « ne plus coucher avec l’ennemi » – ce qui est fort problématique pour nous, les hommes, mais nullement anti-sexe. C’est plutôt votre propos qui me semble verser dans la caricature. Il m’apparaît comme une version édulcorée de l’attaque des « féministes mal baisées ».

        Je tiens à m’excuser de la formulation de mon premier commentaire, qui ressemblait fort à un reproche personnel. Je ne doute pas de vos convictions antisexistes. Il m’arrive assurément de produire des propos qui me ferait bondir sorti de la bouche d’autrui. Et vous n’êtes pas l’inventeur de la bannière « féminisme pro-sexe » qui sous-entend l’existence d’un « féminisme anti-sexe ». J’en profite pour vous dire que j’aime bien votre blog et ses jolies illustrations 😉

      • Ma compréhension doit beaucoup à la lecture d’Elisabeth Badinter. C’est sûrement un peu un miroir déformant. Cela dit, je suis convaincu que ce que j’appelle le féminisme « mainstream », c’est à dire la transcription des idées féministes via les média grand public et dans le discours politique (et non pas les prises de parole des féministes généralement plus nuancées) a simplifié certains discours radicaux et entretenu le mythe de la femme douce et attentionnée, qui attend l’amour avant le sexe, qui s’offusque de la moindre avance sexuelle non-désirée (au point d’inclure ce qui n’est souvent que de la drague dans les questionnaires sur les violences sexuelles). Je cite Elisabeth Badinter :

        A peine ces nouvelles libertés conquises [la libération sexuelle des années 70], on entendit de l’autre côté de l’Atlantique un grondement réprobateur. C’étaient les cris des féministes lesbiennes radicales qui dénonçaient cette banalisation, selon elles, toute au profit des hommes et au détriment des femmes. En croyant s’affranchir du joug masculin, les féministes libertaires l’auraient au contraire renforcé. Plus que jamais, les femmes faisaient office d’objets jetables. L’humiliation féminine était à son comble. Corrélativement, on s’interrogea sur la nature des sexualités masculine et féminine. L’une, débridée, violente, conquérante. L’autre, plus tendre, délicate et fidèle. D’aucunes en conclurent à l’incompatibilité des deux sexes ; d’autres, plus nombreuses, avancèrent qu’il fallait mettre un frein à la banalisation sexuelle qui surexcitait la violence masculine. Peu à peu s’insinua dans les esprits l’idée que le sexe féminin était bel et bien un sanctuaire et qu’il n’y avait qu’un seul type de sexualité féminine. Les soi-disant libérées, celles qui n’attachent pas plus d’importance à un bon coup qu’à un bon repas, devinrent des exceptions à la règle. Elles étaient censées être des femmes virilisées, donc aliénées […]. (in Fausse Route, Odile Jacob, 2003)

      • Personnellement, pour avoir vécu dans les milieux hippies et alternatifs, j’adhère totalement aux thèses de Dworkin sur la « fausse libération sexuelle » – Bien sûr la révolution sexuelle a été une chose globalement positive, mais c’était surtout un échec du droit des femmes.

        Combien d’imbéciles finis j’ai trouvé dans les milieux hippies qui tenaient un discours façon « Couche avec moi parce que Peace & Love et sinon ça veut dire que t’es qu’une sale prude pas éclairée du tout ».
        Combien de systèmes de vie alternatifs il existe qui « oublient » le consentement féminin dans leurs pratiques (ou assument automatiquement qu’il existe, ce qui est tout aussi grave).

        Enfin bref, entre passer de « Ne couche pas sinon tu es une salope et tu seras exclue du système » à « Couche sinon tu es une prude et tu seras exclue de notre système alternatif » on peut dire que le droit des femmes a été pas mal oublié, on a révolutionné le sexe mais on a oublié de placer le consentement au centre…

  4. Je ne pense pas que la monogamie soit une  » affaire de territorialité » ni de domination de l’homme sur la femme : c’est surtout faire primer l’entité famille sur celle de l’individu. De plus, le christianisme rejetant le corps (source de souffrances) pour faire primer l’exercice de l’âme (source d’évasions, infini etc) sur ce dernier. La monogamie permet de conserver ce groupe pour protéger les enfants. Les désirs sexuels extraconjugaux sont bannis comme péché aussi parce que le corps est matière ; toutes ces valeurs se sont inversées : on fait primer l’individu sur le groupe, le corps est source de plaisirs et l’esprit de maux, on respecte nos pulsions et les assouvissons.
    Personnellement, je trouve franchement qu’en dénonçant une domination masculine dans certains aspects du passé ou du présent, on la crée : la domination étant un concept si vaste, qu’on peut le percevoir partout. (on peut toujours renverser les situations, dire par exemple femme au foyer = femme dominante, puisqu’elle possède un mari esclave allant travailler pour elle). C’est donc une affaire de perception subjective, que vous engendrez à travers vos dénonciations.
    Je sus assez choquée par l’association féminisme – ouverture du couple que vous proposez : vous savez pertinemment que la plupart des gens associent le couple libre au libertinage, l’assouvissement des désirs à une faiblesse : c’est céder à son corps et ne pas réussir à le contrôler. Le fait de ne pas céder à des tentations c’est aussi s’engager dans son couple. Et le couple c’est aussi une sécurité dans la vie, dont les hommes comme les femmes ont besoin.
    Un féminisme qui devient culte du corps court à sa perte : ce pour quoi il faut se battre en tant que féministe, c’est l’affirmation de la femme à travers son corps et uniquement cela : dans le passé les femmes étaient mères, aujourd’hui elles sont plus ou moins « bonnes » et croient que sexy = affirmée.
    Et pourquoi ouvrir son couple à l’assouvissement de ses envies externes devrait être féministe ? Pourquoi pas masculiniste ?

    • Non, le fait de ne pas céder a ses pulsions, ce n’est pas « s’engager dans son couple ». L’idée c’est, une bonne fois pour tout, de dire que le couple n’est pas fonde et maintenu uniquement par le fait que les partenaires couchent ensemble. Et que si on sort de ce conditionnement (culturel et patriarcal), aller voir ailleurs ne devrait pas mettre en péril un couple, en tous cas pas tant que l’extra-conjugalité n’a pas d’impact profond sur le couple.
      Il faudrait que l’on m’explique un jour en quoi c’est mieux de résister a ses élans physiques (voire amoureux) que de les laisser s’exprimer. Lorsque vous avez faim, vous pensez que c’est mieux de ne pas manger? Lorsque vous êtes fatiguée, vous optez pour la nuit blanche? Je pense qu’être bien dans son corps, c’est être en paix avec sa sexualité, et pas passer sa vie a la réprimer pour « s’engager dans son couple ». Ça c’est juste n’avoir rien compris, ni au couple, ni a l’engagement.
      Pour ma part mon couple n’a jamais été aussi en péril que les fois ou je réprimais mes élans pour d’autres que mon officiel. Et n’a jamais été solide que depuis que j’ai décidé de me laisser les vivre.
      « vous savez pertinemment que la plupart des gens associent le couple libre au libertinage, l’assouvissement des désirs à une faiblesse : c’est céder à son corps et ne pas réussir à le contrôler » => justement, ces gens sont conditionnes par cette morale puritaine et patriarcale qui va a l’encontre du féminisme, et c’est l’objet de ce blog de leur ouvrir les yeux, aux « gens »…
      Le corps n’est pas un péché! Nous vivons dedans pendant toute notre vie et il est illusoire de prétendre le contraire. Effectivement, beaucoup de religions prétendent qu’il faut nier le corps et veulent imposer cette vue a tous de force. Il suffit d’ouvrir les yeux sur le monde pour voir toute la souffrance, le chantage et la violence que cela engendre…

  5. Encore une fois, un peu de culture G philo:

    Sartre – L’homme naît libre, responsable et sans excuse
    http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20070730093517AA8xnT6

    Et tout ce qu’on a pu dire sur la jalousie:
    http://www.mots-auteurs.fr/mot.php?mot=jalousie

    Mais on voit aussi Beigbeder dire:
    « La jalousie gouverne le monde. Sans elle, il n’y aurait ni amour, ni argent, ni société. Personne ne lèverait le petit doigt. Les jaloux sont le sel de la terre. »
    Frédéric Beigbeder

    Cet homme ne connaît pas l’amour véritable, ni l’amitié. D’ailleurs, qui est vraiment jaloux de ses potes, au point de les abandonner sans se poser la moindre question?

  6. Juste une question:
    Vous avez écrit « Il n’est pas difficile de voir dans l’exclusivité sexuelle et même affective les traces du patriarcat qui cherche à maintenir la femme dans la dépendance de son mari : dépendance affective et sexuelle en plus de la dépendance financière et légale. » Que faites-vous de la jalousie féminine? Est-elle patriarcale, elle aussi?

    • Bien sûr qu’elle est patriarcale. Le patriarcat dit aux femmes qu’elles ne valent rien si elles n’ont pas d’époux, ou si elles ne lui suffisent pas.
      Si l’époux couche avec une autre femme, cela signifit que sa « régulière » n’a aucune valeur.

      • Je pense que la jalousie mélange un grand nombre de choses. Une partie est probablement cette histoire de statut social.
        Une autre vient à mon avis de la notion de propriété privée « subtilement » instillée dans nos esprits (c’est ‘mon homme’, ‘ma femme’, je ‘partage pas mon mec’, etc.) et qui n’est ni féminine, ni masculine, juste bassement territoriale.

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