3e partie de la traduction de l’article de Daniel Bergner dans le New York Times. La première partie est ici.
Cette perte d’ardeur mutuelle se retrouve, peut-être de façon plus prononcée, chez les couples de lesbiennes. Le terme de « mort du lit » (lesbian bed death), inventé dans les années 80 par Pepper Scwhartz, psychologue à l’université de Washington, a été qualifié d’excessif mais il a un fond de vérité. « On soulève de plus en plus le problème de la monogamie dans la communauté lesbienne, » m’a confié Lisa Diamond, psychologue et spécialiste des études de genre à l’université de l’Utah. « Depuis des années, les gays s’entendent pour s’autoriser des aventures sexuelles en dehors du couple. Maintenant de plus en plus de lesbiennes se mettent à faire pareil. »
Lori Brotto, psychologue à l’université de Colombie Britannique se fait l’écho des résultats de Klusmann. Elle a suivi des dizaines de personnes se plaignant d’un désir sexuel atone et elle a récemment dirigé l’initiative de l’Association des Psychiatres Américains cherchant à définir plus précisément ces troubles dans le Manuel de Diagnostic et de Statistique des Désordres Mentaux (le HSDD est requalifié en « désordre de l’intérêt et de l’excitation sexuels »). « La durée de la relation est un paramètre qu’on retrouve systématiquement, » m’a-t-elle dit au sujet de ses sessions de thérapie. « Parfois je me demande si la cause (du HSDD) n’est pas tant une question de libido qu’une question d’ennui. »
Mais le désir résiste obstinément à la dissection. Depuis des décennies, la psychiatrie s’efforce de comprendre s’il s’agit principalement d’une question de pulsion brute ou d’une émotion plus complexe. Et l’érosion du désir semble quelque chose d’impossiblement enchevêtré. La baisse de l’intimité en est-elle la cause ou bien la conséquence ? Selon une théorie, c’est un défi pour chacun des sexes d’entretenir la passion sur le long terme à cause du danger que l’on ressent à désirer justement la personne auprès de laquelle on recherche la sécurité et la compréhension. On se sent trop vulnérable. Stephen Mitchell, l’une des figures de la psychanalyse relationnelle, décrit ce sentiment : « continuer de désirer quelque chose d’important de la part de quelqu’un d’important constitue le danger central de la vie émotionnelle. Ce qui est très dangereux dans le fait de désirer une personne que l’on a, c’est qu’on peut la perdre.” Mitchell explique qu’en fin de compte le maillage émotionnel et la vulnérabilité dans le couple peuvent devenir une source d’érotisme très satisfaisante. Esther Perel, thérapeute de couples et auteur du livre « L’intelligence érotique » (Mating in Captivity) insiste sur le fait que c’est l’altérité qui est la clé d’une passion durable. « Bien des couples confondent amour et fusion, » écrit-elle. « Ce mélange n’est pas de bon augure pour le sexe. Pour entretenir un élan vers l’autre, il faut qu’il y ait une synapse à traverser. L’érotisme réclame une certaine distance. »
« Savoir comment préserver le désir dans un couple monogame reste une importante question empirique », confie Lori Brotto. « Je ne crois pas qu’il ait eu d’étude sérieuse à ce sujet. »
Lori Brotto, mariée et mère de trois enfants, poursuit : « je suis moi-même une femme en couple exclusif. J’ai ressenti personnellement comment ce désir très fort et passionné s’est peu à peu atténué. Je comprends complètement mes patientes. » Parfois, elle évoque [avec elles] la possibilité du couple libre. Mais le simple fait d’envisager cette alternative déclenche des peurs à la fois chez les femmes et les hommes, lesquelles pèsent plus lourd que la nostalgie du désir.
Tout serait plus simple si on pouvait résoudre la quadrature du cercle grâce à une ordonnance ; il n’y aurait plus qu’à passer à la pharmacie et avaler un cachet.
J’ai assisté aux premières étapes des essais cliniques sur le Lybrido et sur le Lybridos au cabinet du docteur Andrew Goldstein, gynécologue à Washington. Comme les autres médecins contactés par Adriaan Tuiten dans les 16 autres villes américaines où a lieu cette recherche, le Dr Goldstein a dû s’assurer que les participantes étaient toutes en couple stable. Tuiten n’a pas ouvertement admis que la monogamie pourrait être au coeur du problème de la baisse du désir, mais il savait que si on avait inclus des célibataires, elles auraient pu se trouver de nouveaux amants durant l’étude. Il aurait alors fallu écarter leurs résultats puisque, avec ou sans béquille pharmaceutique, on sait qu’une aventure naissante s’accompagne de déferlantes de désir.
Le Dr Goldstein avait déjà participé à d’autres études sur le même genre de médicament, mais il avait ensuite cessé d’y être impliqué à force d’être déçu des résultats. Pourtant, il est optimiste quant aux chances d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché par Emotional Brain, l’entreprise de Tuiten ; selon lui, la démarche de Tuiten est scientifiquement bien mieux « affinée ». (Il précise qu’il n’a rien à gagner personnellement avec le Lybrido ou le Lybridos ; il perçoit simplement ses honoraires pour les visites des participantes, et il touche aussi environ 2500$ par an de la part d’Emotional Brain pour des prestations occasionnelles au sein d’un comité consultatif.) Il me fait part de la façon dont ses patientes déplorent la disparition de leur désir. « Elles emploient des termes très forts, des mots violents », dit-il. « ‘Comme si on m’avait coupé un bras.’ ‘Ce n’est pas ainsi que je me conçois.’ ‘C’est comme si on m’avait arraché quelque chose. Comme si on m’avait dépouillée, volée.’”
La série
1e partie
2e partie
3e partie
4e partie
5e partie
6e partie
7e partie
8e partie
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« Esther Perel, thérapeute de couples et auteur du livre « L’intelligence érotique » (Mating in Captivity) insiste sur le fait que c’est l’altérité qui est la clé d’une passion durable. »
Ouh la la… si ce que les femmes veulent c’est faire durer la passion, je ne m’étonne pas qu’elles se cassent les dents. La passion n’est pas appelée à durer, elle est faite de manques… c’est la forme la plus aboutie du désir…
Lib’ sur le blog de « R » en parle d’une manière fort juste et je me permets de retranscrire ici ses propos :
« L’amour passionnel ne me semble pas être la forme d’amour la plus aboutie et la plus enviable mais plus un truc dévastateur qui ravage tout sur son passage, une forme d’obsession de l’autre qui semble nous compléter tellement nous-même qu’on ne parvient plus à exister seuls, sans cette autre partie de nous-même. Quand on donne tout, le risque est qu’il ne reste rien et qu’au final, on se perde soi-même. Je pense que l’amour doit nous permettre de nous accomplir, d’affronter et de savourer le monde, d’avancer, de rire, d’aimer d’autres personnes (amis, enfants, famille…) et d’être avec eux sans se sentir amputé d’une partie de soi-même quand l’autre est absent. La passion contient une part de souffrance que l’amour ne contient pas (le mot lui-même est un dérivé du latin passio ou pati qui signifie: souffrance). »
Voilà qui colle avec le témoignage de ces femmes qui se plaignent de leur baisse de désir.
Nous sommes d’accord je pense, l’amour revêt plusieurs formes :
Pornia : l’amour infantile, qui relie le nourrisson à sa mère
Pathos : l’amour passion, celui qui fait perdre la tête, qui donne l’impression que l’on ne peut plus se passer de l’autre…
Eros : l’amour érotique, celui du désir, sexuel et sensuel qui donne des ailes…
Philia : L’amour amitié, celui qui s’efforce de comprendre, celui où on peut être soi…
Harmonia : L’amour tendresse, spirituel, qui rayonne pour tout et pour tous…
Charis : L’amour inconditionnel, gratuit, qui donne sans rien attendre en retour…
Les gens mélangent tout. Eh oui, probablement qu’ils lisent trop de contes de fées ! Croire qu’on peut construire une vie sous l’effet de « pathos » c’est cocasse… Il n’y a que Philia, Harmonia et Charis qui font durer un couple, pour Pathos et Eros, il faut en effet renouveler… C’est peut-être une question de choix, plus probablement une question de ressenti.
Chez certaines personnes les ailes d’éros doivent être rachitiques, tandis qu’Harmonia les emplie complètement. D’autres personnes sont mues par Pathos et Eros… Maïa ?! Tandis que ceux qui ont besoin de toutes ces formes d’amour sont un peu dans la merde… 😉
Grande rêveuse que je suis, j’imagine un monde où chacun pourra vivre librement les formes d’amour qui le comblent, sans normes, sans règles, que ce soit le couple monogame longue durée ouvert ou pas, sériel, le polyamour et même célibat assumé…
La seule chose qui me dérange un peu dans cette série d’articles, c’est l’idée générale que toutes les femmes vont connaître le même processus d’ennui et de perte de désir, comme si nous étions toutes fichues pareil…
Très juste.
Juste deux remarques : sous la plume d’Esther Perel, je ne pense pas que la « passion » dans sa phrase désigne autre chose que le désir charnel, l’élan physique vers l’autre. J’ai lu son livre et il ne me semble pas y avoir lu une quelconque apologie de l’amour-passion.
La deuxième remarque, c’est par rapport à ce que tu dis à propos de « l’idée générale est que toutes les femmes vont connaître le même processus ». Dans la deuxième partie, il est bien précisé que c’est seulement 30% des femmes en couple (monogame) depuis un certain temps qui se plaignent de la baisse du désir. Pour les 70% qui restent, ça peut vouloir dire toutes sortes de choses :
– leur désir est intact ou quasi
– leur désir a bien baissé mais elles ne s’en plaignent pas
– leur couple n’est plus un couple monogame
– elles ont quitté leur partenaire car l’asymétrie du désir amplifie toutes les autres difficultés dans le couple (j’ai bien peur que la statistique des divorces reflète en partie ce cas de figure)
Tu fais bien de me corriger, j’avais surtout gardé en tête le : « Mais c’est semble-t-il la monogamie elle-même qui serait à l’origine du malaise sexuel pour de nombreuses femmes. » qui me fait d’avantage penser à 70% que 30% 😉 C’est d’ailleurs assez étrange comme l’importance qu’on donne à un « phénomène » peut laisser le sentiment qu’il est général… C’est comme l’infidélité, j’ai lu qu’il était évalué à 8 à 10% des femmes, ce qui m’a paru terriblement bas, j’ai encore du mal à le croire !
Je ne dis pas que Mme Perel fait l’apologie de la passion… mais il faut faire attention avec l’utilisation de ce mot qu’on a vite fait, justement, d’associer à l’amour… c’est une forme d’amour, mais pas celui qu’on s’imagine si facilement !
PS : As-tu lu le dernier article de Maïa sur « l’Empire des sans » ?
non mais j’y vais de ce pas.
je trouve pas. tu peux donner l’url ?
Dans l.article de vendredi sur la misère sexuelle !
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