Un médicament pour booster la libido – 5e partie

5e partie de la traduction de l’article de Daniel Bergner dans le New York Times. La première partie est ici.

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Un principe général concernant le désir féminin, largement adopté depuis au moins l’époque victorienne et qui a toujours cours aujourd’hui, c’est que l’éros féminin est naturellement nettement moins porté sur la diversité sexuelle que celui des hommes — il reposerait bien plus sur l’engagement et la confiance, il serait davantage suscité par la proximité, et beaucoup mieux adapté à la constance. C’est certainement très réconfortant pour tous ceux qui se préoccupent de la préservation de l’ordre social de croire qu’à part quelques exceptions, la moitié de la population est naturellement prédisposée à la stabilité sexuelle. Ces dernières décennies, cette vision s’est trouvée confortée par la psychologie de l’évolution, selon la « théorie de l’investissement parental » : puisque les hommes ont des réserves illimitées de spermatozoïdes tandis que les femmes ont un stock réduit de gamètes ; et puisque les hommes n’ont pas besoin de s’investir beaucoup dans l’acte reproductif alors que les femmes y investissent non seulement leurs ovules mais aussi leur corps en payant le prix de la grossesse et en prenant les risques de l’enfantement ; alors le mâle serait donc câblé depuis la nuit des temps pour étendre sa descendance en disséminant ses graines à peu de frais, tandis que la femelle est faite pour maximiser son investissement en faisant la difficile et en choisissant un mâle qui saura le mieux subvenir aux besoins de sa progéniture.

Si on suit cette logique, on accepte comme vérités innées indiscutables ce qui n’était que des hypothèses sur la sexualité masculine et féminine. Pourtant, en lisant les publications scientifiques qui soutiennent cette théorie, on s’aperçoit que le raisonnement repose sur des bases bien précaires. Dans leur article de référence, publié en 1993, et dont les conclusions ont fini par s’infiltrer dans la culture grand-public, David Buss et David Schmitt, chercheurs en psychologie actuellement en poste à l’université d’Austin dans le Texas et à l’Université Bradley dans l’Illinois respectivement, citaient des études qui montraient qu’en comparaison avec leurs homologues masculins, les étudiantes déclaraient vouloir nettement moins de partenaires sexuels au cours de leur vie. Ce même genre d’arguments ce retrouve tout au long de l’article. Mais que prouve ce type d’information : que les femmes ont des motivations sexuelles naturellement plus réservées que les hommes, ou bien qu’elles ont intériorisé les attentes culturelles concernant le désir féminin ?

Des études menées récemment commencent à suggérer que l’éros féminin n’est pas du tout programmé pour la fidélité. Par exemple cette étude qui s’intéresse de près aux habitudes sexuelles de nos ancêtres primates, ou bien cette autre qui cherche à quantifier chez les femmes l’envie de sexe sans attaches. Une expérience conduite par Samantha Dawson dans le cadre de sa thèse en psychologie clinique à l’Université Queens dans l’Ontario, ainsi qu’une autre menée par Stephanie Both, chercheur en psychologie à l’université de Leiden aux Pays-Bas, se sont penchées sur cette question mais d’une autre manière. Des femmes et des hommes hétérosexuel-le-s regardaient des vidéos X pendant que les réactions de leurs vagins et leurs pénis étaient enregistrées. Les participant-e-s regardaient en boucle une scène explicite d’une minute, avec des pauses à chaque fois pour laisser le flux sanguin dans la zone génitale redescendre à son niveau de base. Les deux études ont constaté que les réactions des femmes étaient les plus rapides mais selon la première étude, leur intérêt s’émoussait rapidement après quelques visionnages comme celui des hommes, alors que dans la deuxième étude l’excitation des femmes retombait encore plus vite tandis que celle des hommes demeurait étonnamment stable. Et quand l’expérience introduisait de « nouveaux stimuli », en l’occurrence quand on changeait la scène de sexe qui était visionnée, aussi bien les mesures de « l’amplitude des pulsations vaginales » que celles de l’engorgement pénien retrouvaient immédiatement des valeurs maximales.

Dans une étude publiée l’année dernière, Meredith Chivers, chercheur en psychologie à l’université Queen’s, a choisi de diffuser des enregistrements sonores érotiques à des femmes hétérosexuelles et de comparer, entre autres choses, leurs réactions génitales selon que le texte était lu par un bel inconnu ou un beau gosse de leur entourage. Quand il s’agissait d’un ami, l’aiguille de l’enregistreur ne décollait pas du zéro. Quand il s’agissait d’un inconnu, elle sautait en tous sens.

Que peut-on extrapoler à partir de telles études ? Il est probablement trop tôt pour le savoir, mais il est certain que nous devrions formuler quelques doutes quant à ce que la psychologie de l’évolution nous a enseigné.

La quête d’une substance qui commande au désir féminin est une obsession de l’industrie pharmaceutique depuis plus de dix ans, essentiellement parce que la mise sur le marché du Viagra, en 1998 a montré qu’on peut faire d’énormes profits en proposant une réponse chimique à un problème de dysfonction sexuelle. Mais tandis que Viagra et consorts s’intéressent simplement à la nature hydraulique de l’impuissance, laquelle est la principale cause des troubles masculins, il s’avère que la complexité psychologique de la baisse de libido a jusqu’ici mis en échec les géants de l’industrie. Pourtant c’est important de noter que le Viagra a quand même une certaine influence sur l’état mental du désir. La mécanique du corps et les mystères de l’esprit sont imbriqués. Donnez une érection à un homme et ses nerfs sensibilisés ainsi que son sentiment de puissance regonflée vont attiser son ardeur. Des études ont montré que les femmes sont moins conscientes de leur état d’excitation génitale, et c’est probablement la raison pour laquelle les essais cliniques pour des molécules similaires au Viagra n’ont pas mis en évidence un effet suffisant sur les niveaux de désir ressentis, même si ces substances accroissaient l’afflux sanguin. Dans la conception du Lybrido, Tuiten compte sur une molécule similaire au Viagra pour la moitié de l’efficacité, dans l’espoir dans qu’elle fonctionne en synergie avec un autre produit qui cible plus directement le cerveau. (à suivre)

La série

1e partie
2e partie
3e partie
4e partie
5e partie
6e partie
7e partie
8e partie

9 réponses à “Un médicament pour booster la libido – 5e partie

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  2. Ton blog faisant clairement l’apologie du couple libre, obligatoirement tu chercheras, présenteras et développeras tout ce qui va prouver que ce modèle est dans le vrai… Si tu permets, je vais un peu jouer les avocats du diable.

    Déjà, cela semble confirmer ce que je disais dans le chapitre 2 à savoir que chez la femme il y a une dimension psychologique très importante et qui provoque des réactions très différentes aux stimuli par rapport aux hommes. Je tiens à faire remarquer que dans l’expérience où les femmes réagissent à la voix d’un bel inconnu alors que l’ami les laisse de marbre, ce n’est pas l’homme qui fait réagir –à savoir l’élément physique- mais l’inconnu –l’élément psychologique-. A partir de là TOUT est possible… ou pas ! Autant l’homme serait prévisible –ou presque- autant la femme serait un puits sans fond de mystère (elle en a d’ailleurs la réputation)

    Comme j’ai eu l’occasion d’expliquer, quand mes enfants sont partis 15 jours, d’un claquement de doigt je me suis retrouvée dans des prédispositions tout à fait favorables aux galipettes, juste parce que pendant un laps de temps j’allais pouvoir me lâcher complètement ; sans jeunes témoins je pouvais être dingue, me promener nue dans des vêtements transparents, prendre des bains de soleil à poil ou manger mon yaourt de la manière la plus cochonne… D’un jour à l’autre mon corps ne réagissait plus pareil… Mais bon, je donne beaucoup d’importance à la biochimie, la dopamine, la testostérone la sérotonine… J’ai toujours dit qu’on parle trop de culture et pas assez de nos désirs naturels 

    PS : L’inconnu(e) ce n’est pas forcément le beau mec qu’on rencontre dans la rue, ça peut être une situation, une période, un endroit… Je pense réellement qu’une majorité de femmes apprécient la stabilité, ça paraît logique, on ne fait pas ce qu’on veut avec des enfants sur les bras… Dur dur le Cap d’Agde en été ! sauf que dans notre société la stabilité est vendue en package et le sexe n’en est pas une option ! Ca ne nous empêche pas d’aimer le changement… Il y a qu’à voir notre besoin compulsif de tout changer continuellement dans la maison…  Va-t-en savoir, c’est peut-être une forme de déplacement 😉 Sérieux, le plus souvent il nous faut les deux…

    Je crois que je fais un très mauvais avocat du diable…

    • D’accord pour parler d’apologie du couple libre mais dans son sens antique de « défense, plaidoyer » dans la mesure où il part condamné dans la culture contemporaine du couple fusionnel exclusif (lu ici ou là : « quand on est en couple libre, on n’est pas vraiment en couple » ; « quand on accepte des aventures de l’autre, c’est qu’on ne l’aime pas vraiment » ; « de toute façon ce n’est pas stable » ; en laissant de côté des résurgences à peine masquées d’impératifs religieux…)

      Quant à ce que dit l’article, je ne fais strictement que traduire le texte de Daniel Bergner. Il faudra lire son livre. Beaucoup d’éclairages intéressants et nouveaux sur le désir féminin et qui justement vont dans le sens de réduire le côté psychologique mystérieux et d’augmenter la part bestiale. A quand les études qui montreront que l’éros masculin est quelque chose de plus complexe que ce qu’on l’imagine, et qu’il a besoin d’un je ne sais quoi de mystérieux pour s’exprimer ? 😉

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  7. Bonjour Audren,
    Merci pour ce super travail. Enfin, un site où l’on ne rabâche pas tous les stéréotypes et qui cherche à s’appuyer sur des recherches un minimum scientifiques pour expliquer les difficultés liées à la Libido dans les couples (exclusifs).
    Venons-en à l’essentiel : Dans cette partie de l’article que tu as traduit, 3ème paragraphe, il est évoqué deux ou trois études (celle sur les primates, celle de Samantha Dawson, ainsi qu’une autre menée par Stephanie Both). Si je pense avoir compris le principe d’une des deux études (répétition de la même scène X de 1min), je pense qu’il manque un élément pour décrire la méthodologie de l’autre étude.

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