Et voici la dernière partie de la traduction de l’article de Daniel Bergner dans le New York Times. La première partie est ici.
« On s’est retrouvé à faire l’amour cinq fois par semaine alors que c’était une fois par semaine auparavant, » m’a dit Zita comme elle venait de terminer sa réserve de Lybrido. Et apparemment, une fois par semaine ne la satisfaisait pas. Avec le Lybrido, dit-elle « maintenant j’ai envie même après l’amour. Je me sens excitée, je ressens comme une pulsation, et comme s’il me fallait m’en occuper si je ne veux pas que ça me titille toute la nuit. Je me retrouve à en vouloir vraiment plus. » Quand je lui ai demandé comment son mari réagissait à propos du fait qu’elle prenait ce médicament, elle s’est mise à rire. « Il est heureux, » conclut-elle.
Dans le numéro de mars [2013] du Journal of Sexual Medicine, Adriaan Tuiten a déjà publié une partie des résultats obtenus au cours d’essais préliminaires restreints. Il vient de finir de compulser les résultats complets sur le Lybdrido, qu’il va bientôt soumettre à l’administration, et qui montrent des bénéfices indiscutables en termes de désir — et en termes d’orgasmes. (Quant aux données des essais sur Lybridos, elles ne sont pas totalement finalisées mais Tuiten précise que les premiers résultats ont l’air d’être à peu près aussi encourageants.) Tuiten pense que la F.D.A. l’autorisera à lancer une deuxième série d’études cliniques plus vastes, auxquelles participeront environ 1200 personnes. De nombreux médicaments échouent à cette seconde étape. Mais si tout se passe bien, le Lybrido et le Lybridos pourraient arriver sur le marché d’ici 2016.
Serait-il possible, après tout, que l’industrie pharmaceutique rende enfin possible le mythe du conte de fées ? Peut-être que ce rêve partagé par tant d’amoureux au début de leur histoire, consciemment ou non, d’avoir trouvé l’âme soeur qui leur offrira à la fois la sécurité et la passion, jusqu’à ce que la mort les sépare ; peut-être que ce rêve sera accessible grâce à une pilule.
Mais bien sûr, avaler un cachet ne résout pas toutes les questions. Augmenter le désir féminin grâce à la chimie peut avoir toutes sortes de conséquences dans une relation. Certains couples pourront effectivement se renforcer mais d’autres pourront se sentir désemparés en se rendant compte que le sexe en plus ne suffit pas à les rapprocher. Certaines épouses pourront regretter que leurs maris n’aient plus besoin de faire des efforts de séduction, même si depuis longtemps ces efforts étaient devenus vains. D’autres femmes pourraient percevoir cette possibilité médicamenteuse comme une pression supplémentaire sur leur sexualité : pourquoi ne te fais-tu pas prescrire du Lybrido ? demanderaient certains compagnons ; pourquoi ne prendrais-tu-pas cette nouvelle pilule ? De leur côté, les hommes, s’ils regardent un peu la vérité en face, n’apprécieront peut-être pas tellement de se faire rappeler, à chaque fois que leur compagne attrape la boîte de cachets, qu’elle a besoin d’une béquille chimique pour les désirer. Les mêmes angoisses et interrogations qui existent depuis l’avènement de la monogamie persisteront ; la plupart d’entre elles se résument au besoin de se sentir spécial aux yeux de l’autre.
Au-delà de ce qui pourra advenir individuellement à des millions de couples, il est encore plus délicat de prévoir les transformations qui pourraient en découler au niveau sociétal. A l’instar de ce qui s’est passé avec la pilule contraceptive qui a permis une émancipation féminine au-delà de la seule question de la sexualité, on peut s’attendre à ce que certains se mettent à craindre une forme d’anarchie sexuelle chez les femmes. Depuis dix ans, alors que les laboratoires se sont mis en quête d’une substance efficace, on sent un certain inconfort chez les industriels : que se passerait-il si dans certains essais cliniques un médicament s’avérait trop efficace ? J’ai rencontré plusieurs consultants qui m’ont confié que les entreprises pharmaceutiques s’inquiétaient de la possibilité que les résultats soient trop probants car elles craignaient que l’administration ne s’oppose à la mise sur le marché d’un tel produit, de peur qu’il conduise à des excès féminins, à des épidémies d’infidélité compulsive, à la dislocation de la société.
« Il faut que les effets soient bons mais pas trop, » m’a dit Andrew Goldstein, qui s’occupe de l’étude à Washington. « Le comité d’experts a beaucoup discuté du fait, » rappelle-t-il, se souvenant de sa participation au développement du Flibanserin, « qu’il ne faudrait pas transformer les femmes en nymphomanes. » En me rapportant cela, le Dr Goldstein s’avoue encore un peu sidéré du niveau de conservatisme culturel qui sous-tend cette posture. « Il y a un vrai préjugé — la hantise de créer la femme sexuellement agressive ».
Dans les années 60, en leur donnant le contrôle de leur reproduction, la pilule n’a pas seulement bouleversé la vie sexuelle des femmes. Elle a aussi contribué à les émanciper dans leur statut social et sur le plan économique. Quelles seraient les conséquences pour nos références culturelles si les femmes pouvaient contrôler, grâce à une prescription, la pulsion la plus primaire ? Il y a tant de sujets, personnels et culturels, qu’il faudrait réajuster et renégocier, de façon explicite ou unilatérale. L’effet cumulatif de tous ces rééquilibrages pourrait conduire à des transformations en profondeur, ce qui est une perspective palpitante ou inquiétante, selon le point de vue de chacun.
Peut-être.
De son côté, Linneah n’a pas l’impression de faire quoi que ce soit de révolutionnaire. Elle se préoccupe simplement de l’avenir de son couple. Elle précise que si le Lybrido ne répond pas aux attentes, elle se portera volontaire pour expérimenter le prochain médicament qui sera essayé. Elle ne semble pas perturbée par le fait que notre époque nous propose une pilule pour à peu près tout, ou bien par le paradoxe que ce traitement permettra surtout de compenser les effets secondaires de perte de désir dus à d’autres psychotropes – les antidépresseurs SSRI. Pour elle, le fait qu’il existe des antidépresseurs et des gens qui en bénéficient est bien la preuve que son problème à elle sera résolu un jour.
« Ils ont mis au point toutes sortes de médicaments pour toutes sortes de soucis psychiatriques, » dit-elle au moment de s’en aller avec ses nouvelles boîtes de pilules. « Ils trouveront forcément quelque chose qui résoudra mon problème. N’est-ce pas ? N’est-ce pas ? »
La série
1e partie
2e partie
3e partie
4e partie
5e partie
6e partie
7e partie
8e partie
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« De leur côté, les hommes, s’ils regardent un peu la vérité en face, n’apprécieront peut-être pas tellement de se faire rappeler, à chaque fois que leur compagne attrape la boîte de cachets, qu’elle a besoin d’une béquille chimique pour les désirer… »
Est-ce pire que de se dire qu’elle a besoin d’un amant pour entretenir le désir ???!
ça me fait penser à un bonhomme qui s’exprimait récemment à la radio se plaignant que sa femme ne voulait plus de sexe alors que lui était demandeur, qu’il la désirait toujours… Je suppose que c’est dans ce cas de figure que la pilule serait le plus bénéfique (?) Dans le reste des cas ça risque bien de perturber l’ordre établi 😉
« Est-ce pire que de se dire qu’elle a besoin d’un amant pour entretenir le désir ? » – c’est pas faux 😉
Une petite remarque comme ça.
« Ce traitement permettra surtout de compenser les effets secondaires de perte de désir dus » autres pilules ? Un des effets secondaires de la pilule (contraceptives) est la baisse de la libido. Enfin, que j’ai lu sur les boites.
Paradoxe, une vie sexuelle libre et foisonnante se conjugue obligatoirement avec la pilule…
Va comprendre…
Le tout pilule est un mal français. Aux US, le DIU vient d’être reconnu comme moyen de contraception parfaitement valide pour les femmes qui n’ont pas encore eu d’enfants (et qui en voudront potentiellement). Et sinon, il y a le préservatif — en bonus, quand on utilise des préservatifs au sein du couple, on se balade probablement avec des préservatifs sur soi, ce qui est une très bonne pratique, quelles que soient nos positions théoriques sur l’infidélité (un « pas de côté » est si vite arrivé…)
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Un changement de mentalité serait plus bénéfique. Ça peu être un aide en attendant que l’on change notre rapport aux femmes. Du moins si j’en crois les précédent article sur ce blog il me semble que la sexualité féminine est tributaire de la moral collective. Je ne sais pas vers où va-t-on. Mais c’est vrai que j’ai l’impression que l’on medicamente l’individu pour soigner une société malade.Et cela me fait un peut peur.
C’est la réponse qu’on lit souvent. Sauf que quand les femmes ressentent vraiment profondément une souffrance d’avoir perdu leur libido (et pas seulement parce que leur mari les tanne, entendons-nous bien), je trouve dommage que le reste de la société tergiverse sur le bien-fondé éthique de la solution médicamenteuse alors que le viagra existe depuis longtemps. On peut veiller à éviter les abus et à promouvoir des rapports de genre où la libido de la femme n’est pas assujettie à celle des hommes sans décider collectivement d’un principe de précaution qui ne laisse le choix à aucune femme.