Familiarité : sommes-nous câblés pour l’intimité amoureuse ?

Ecoutez un couple établi (5 ans de cohabitation) dans leurs comportements et dialogues de tous les jours. Remplacez « chéri » par « maman », et voyez s’il y a des phrases qui vous choquent. Il y a fort à parier que non, à part quand il est question de sexe. C’est parce que notre façon d’être en couple se calque sur notre façon d’être en famille.

bébé au sein - dessin numérique au crayon

Fusionnel… (ref. photo (c) artonline sur deviantart.com)

En fait, je crois que nous n’avons que deux modèles pour nos relations d’intimité cohabitante : le modèle fusionnel et le modèle familier.

Comme si j’étais ta mère…

Au début, on a envie d’être collé à l’autre toute la journée. On boit ses paroles, on ne voit que lui, on dort enlacés, le monde n’existe plus autour. Un mélange d’extase et d’angoisse de l’abandon. Toutes les sensations, toutes les exaltations, tous les plaisirs et toutes les douleurs sont magnifiés. Moi, ça m’évoque la relation du nourrisson à sa mère.

…ou bien ta soeur

Et puis ensuite, quel que soit le sentiment amoureux au départ, quand l’intimité s’installe dans la durée, c’est la tendance à la familiarité qui prévaut. Cette façon d’être qu’on a avec nos parents ou nos frères et soeurs quand on oublie l’attention, la patience, l’indulgence. Certains oublient de dire bonjour, de dire merci, de dire je t’aime. Et « tu aurais pu ranger la cuisine… », et « tu l’as foutu où mon petit haut vert ? », et « c’est toi qui as encore pissé sur la lunette des chiottes ? », et « arrête, s’il te plaît, tu vois pas que je bosse ? ».

On agit comme si l’autre nous était totalement acquis, comme s’il était indéfectiblement là pour nous, on s’appuie sur lui sans retenue, on lui dit cash tous les reproches mais pas besoin des compliments « parce que c’est évident que je t’aime, sinon je ne serais pas là », comme avec son père ou sa mère. Et on oublie d’être amants.

L’extinction inexorable du désir

Une des conséquences de cette familiarité est d’ailleurs l’érosion du désir, puisqu’on n’est pas sensé avoir de désir sexuel pour ses parents. Ce qui rejoint ce qu’écrit Esther Perel sur l’antagonisme entre l’intimité et le désir (que je serais même tenté d’expliquer par un mécanisme hérité de l’évolution pour limiter les risques de consanguinité, mais j’y reviendrai).

Je ne sais pas si ce glissement du couple vers la familiarité nous vient de l’évolution ou de nos habitudes culturelles. Quoi qu’il en soit, il est vital de faire contrepoids. Pour Esther Perel dans son livre « Mating in Captivity » (traduit en français sous le titre « L’intelligence érotique »), tout ce qui peut remettre de la distance est salutaire.

J’ajouterais que si on a besoin de s’appuyer sur une figure parentale dans sa vie de tous les jours, trouvons la ressource parmi nos proches mais pas auprès de nos amants (ou du moins, pas trop). Et arrêtons de considérer l’autre comme acquis.

Un remède ?

L’un des intérêts de ne pas vivre ensemble ou carrément d’être en couple libre, c’est qu’on évite de tomber dans l’illusion que l’autre existe sur Terre juste pour nous. Et si ça peut aider à ne pas tomber dans la familiarité, ça peut sauver un couple.

17 réponses à “Familiarité : sommes-nous câblés pour l’intimité amoureuse ?

  1. Si je peux me permettre, il existe des exceptions ^^ Mon couple a 10 ans, et même si une certaine familiarité est bien évidemment présente, nous sommes toujours très fusionnels… Par exemple nous n’avons pas oublié de dire « je t’aime », ni de remercier l’autre, etc (je reprends vos exemples). Cependant je trouve l’article très pertinent.

    • Dire « je t’aime » n’est pas pareil que d’être fusionnel. Et heureusement qu’il y a des exceptions (mon couple a 22 ans).

  2. De mon point de vue de petite expérience personnelle, passer le cap de vivre ensemble (depuis 3 ans à temps plein maintenant, et avant on a fait 3 année à temps partiel) a augmenté notre libido (avec du sexe beaucoup plus chouette en plus, beaucoup plus d’expériences). Peut-être est-ce lié à nos caractères respectifs ? En tout cas mon compagnon a eu besoin de cette confiance qui s’instillait au quotidien pour enfin s’autoriser à être lui-même 🙂

    • Heureusement que ça ne frappe ni tout le monde, ni toujours tôt. Maintenant, 3 ans ensemble, c’est encore très tôt. Ce qui veut dire que c’est le bon moment pour commencer à veiller à cultiver des éléments de distance, d’individualité, de vie privée.

  3. Et que pensez-vous de vivre en couple au sein d’une communauté ? Ou au moins d’une grosse coloc ?
    C’est une question qui m’intéresse depuis quelques temps. Je me demande si le fait de vivre en groupe « noie » un peu plus notre individualité ou si, au contraire, le groupe protège de « l’effet prison » que peut provoquer un couple et ainsi accroit l’autonomie de chacun.
    S’il y a parmi les lecteurs de l’excellent Fesses de la crémière des gens qui ont un témoignage sur la question, je suis preneur… 🙂

    • Plutôt qu’une grosse coloc, j’aimerais carrément une résidence ou un village qui fonctionne en village africain (ou l’image d’Épinal d’icelui) : chacun a sa case pour ne pas être tout le temps les uns sur les autres, les gamins sont tout le temps les uns chez les autres et élevés un peu par tout le monde, il y a toujours un voisin, un oncle ou une mamie sur qui on peut compter, et le couple devient une structure de convenance et non pas de nécessité.

      • Cette idée précise d’un « village » m’a toujours parue séduisante dans son ensemble. A voir au quotidien car j’ai plutôt le goût de la solitude et du calme. et point du tout le sens maternel et la patience qui va avec. Néanmoins si j’ai un jour l’occasion de vivre ce genre d’expérience, je tenterai probablement ma chance ! Avis aux intéressés de Belgique et Nord de la France ^^

      • Pour qu’un « village » marche, il faut aussi que chacun ait son espace pour ne pas être tout le temps les uns sur les autres. J’aime bien la configuration du village africain, où chacun a sa case pour s’y retirer peinard.

  4. Retranscription en français de la conférence d’Esther si certains sont intéressés.

    Article tout à fait pertinent, comme d’hab, Audren. Il est vrai qu’entre fusion et familiarité on a toujours tendance à passer d’un extrême à l’autre. C’est toujours ce qui a fichu le bazar dans mes relations d’ailleurs (de plus, être une emmerdeuse (entendre hédoniste – et pas égoïste – déterminée?) doit probablement accélérer et intensifier le processus ^^).

  5. C’est un point intéressant car il revient régulièrement dans notre travail du moment. Quelque chose a changé entre nous depuis notre installation ensemble et même si nous conservons une intimité épanouissante, le reste ne suit pas… enfin, plus…

    • Et encore, vous avez de la chance d’avoir pu garder une vie sexuelle. Quand on tombe dans la familiarité asexuelle, il faut une sacrée complicité pour ne pas se sentir étouffer.

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