Infidélité – si même la lapidation ne marche pas…

Il semblerait que la France fasse partie des pays qui jugent le moins durement l’infidélité. Peut-être. N’empêche que les vieux schémas ont la vie dure, et même si dans le discours on a remplacé l’idée de possession mutuelle par l’idée d’engagement solennel d’exclusivité, je n’entends pas beaucoup de voix qui disent autre chose que « c’est mal ! » (et « comment pardonner ? »).

fille crucifiée, dessin à l'encre, infidélité, lapidation, adultère

Lapidée, ou plutôt crucifiée, vu quel jour on est (ref. photo makar013 sur deviantart.com)

Jusqu’à il y a peu, je passais de temps en temps voir les discussions dans le forum fidélité/infidélité de doctissimo. Histoire d’apprendre un peu la vie au contact de ce que vivent les gens, histoire de pouvoir un peu les aider, et histoire de racoler des visiteurs pour ce site. (spoiler alert : j’ai arrêté parce que c’était trop zaffligeant).

Parmi les membres qui interviennent régulièrement, il y en a quelques-uns qui savent réagir de façon relativement pondérée. Mais je suis toujours effaré de voir la hargne des zélotes de la fidélité totale. Lesquels sont intimement persuadés que les personnes qui viennent chercher des conseils sur un forum parce qu’elles sont un peu perdues dans leur couple suite à une histoire d’infidélité (qu’ils soient le trompant ou le trompé), viennent s’y confesser pour justement s’entendre rabâcher le même message culturel moralisateur que celui dans lequel on baigne à longueur de journée. En gros : tromper, c’est mal ; celui qui trompe est une personne méchante qui n’a aucun amour ou aucun respect ni aucune parole et à qui on ne peut plus accorder aucune confiance (avec aussi un autre son de cloche que je déteste autant : le trompé n’a pas fait ce qu’il fallait pour « retenir » l’infidèle, donc c’est quand même un peu sa faute).

La seule voie de rédemption, pour les cas pas trop graves, c’est la contrition inconditionnelle : tout arrêter séance tenante, avouer tous les détails de l’aventure, ne plus jamais parler à l’amant-e (ni penser à lui-elle), répéter à genoux la promesse d’exclusivité en demandant mille fois pardon à l’autre, tout en lui tendant le fouet pour qu’il exerce sur nous sa juste punition. Un peu comme le traité de Versailles. On sait ce que ça a donné.

Ah oui, ça et puis « comprendre les raisons » de la tromperie.

Moi j’ai un peu l’impression que les thérapeutes en herbe (et une bonne partie des thérapeutes tout court, d’ailleurs) empruntent au maoïsme de la révolution culturelle (ou respectivement au tribunal de l’Inquisition) les méthodes tristement célèbres de l’autocritique (et respectivement de l’abjuration).

Derrière ce discours, il y a la conviction profonde que tout le monde est sensé rester tout le temps maître de prendre consciemment la « décision » de tromper ou pas, en pesant les conséquences, en assumant les risques. Et que donc puisque la tromperie est un acte conscient et raisonnable, c’est une méchanceté intentionnelle.

Je pense que c’est souvent la projection d’un idéal et que beaucoup n’arrivent pas à comprendre que quelqu’un puisse se retrouver dans le mauvais lit sans qu’il s’agisse d’un choix délibéré (« ah oui, ce soir, c’est décidé, je torpille mon mariage »).

Au passage, on remarquera une flagrante injustice. Dans nos stéréotypes culturels les hommes sont des êtres naturellement irresponsables qui pensent avec leur bite alors que les femmes sont par nature des anges de pureté morale et de non-impulsivité sexuelle : elle ne peuvent donc tomber dans le vice que par choix délibéré et avec intention de nuire. D’où la différence de jugement et la juste punition qui les attend…

Comme je l’ai lu plusieurs fois (et j’aime à le répéter), si tout le monde était toujours maître de la décision de tromper ou pas, ça ferait longtemps que l’adultère aurait disparu dans les pays où il est puni de lapidation.

32 réponses à “Infidélité – si même la lapidation ne marche pas…

  1. Mais si nous avouions que nous aussi emportée par la flamme du désir, passionnel et charnel, nous n’avons plus accès à notre raison…comment exiger encore d’être considérée comme des princesses ? 😉 ….P****** de conte de fées !

    • Cela dit, est-ce tellement raisonnable d’épouser le premier gars qui vous embrasse, quand bien même il serait pété de deniers ? Surtout celui qui vous a embrassée alors que vous étiez encore dans le coma suite à une intoxication alimentaire avec une pomme ou un tétanos avec un machin pointu…

  2. J’y ai fait un tour il y a quelques jours en suivant ton lien, bien décidée à y puiser un peu d’inspiration. Réaction instantanée, presque chimique, je n’avais plus qu’à prendre mes jambes à mon cou! Non que cela veuille dire que j’y ai fait des rencontres inappropriées mais que l’expérience fut trop déz’tabilisante à ce stade de mon « cheminement ». Du même acabit, je pense mettre en place une FAQ pour mes autres confidences plus IRL. Le racolage à ta façon étant mon autre méthode privilégiée. [Un ange d’une pureté délicieusement immorale et d’une impulsivité humainement orientée]

  3. Je pense que si la tromperie déchaîne tant les passions et notamment sur les forums, c’est en partie parce que le thème a touché intimement bien des personnes, heurtant à la fois « la pureté de leurs sentiments » comme leur ego. Deux points sensibles, somme toute, qui rendent l’objectivité difficile et portent à l’agressivité. Il est rare de voir des individus réagir avec sagesse et objectivité dans ce genre de débat : c’est bien dommage, car qu’on le veuille ou non – a forciori dans un couple – le responsable n’est jamais seul.

    • C’est vrai que je me souviens en particulier d’une zélatrice dont les interventions étaient systématiquement éclairées par son histoire personnelle en tant qu’infidèle repentie.
      Mais en fait, je ne peux pas tellement lui en vouloir : je fais un peu pareil, dans l’autre sens. J’ai passé une éponge définitive sur les infidélités de ma femme, et probablement j’ai envie que tout le monde en fasse autant.

  4. Ce qui est assez surprenant c’est que ce cliché sur les hommes irresponsables et les femmes qui se maitrisent est finalement très récent comme vous l’écriviez dans un précédent article.

    • L’article en question propose l’essor du protestantisme puritain outre atlantique comme tournant idéologique. Chez nous, la fin du XIXe siècle a aussi été une forme de retour du religieux après les tentatives d’émancipation de la révolution, avec l’arrivée du culte de la vierge Marie qui à la fois valorisait les femmes tout en les cantonnant au rôle de mères asexuées et vertueuses. Les valeurs républicaines ont ensuite totalement assimilé cette image de la femme, même quand la France s’est peu à peu laïcisée. Élisabeth Badinter en parle assez bien dans ‘l’amour en plus’ (je crois)

  5. J’aime beaucoup l’argument relatif à la lapidation. S’il n’est pas copyrighté par vous je le ressortirai 🙂

  6. Et qu’entends t on par tromperie ?
    La seule qui existe et dont on nous rebat les oreilles , c’est celle fameuse d’aller planter son dard dans une autre fleur , ou accueillir dans son intimité comme dise les fameux romans à l’eau de rose un sexe turgescent !

    La tromperie à mon sens se situe à un autre niveau , bien plus debilitant …
    Lorsque l’on partage la vie de quelqu’un la premiere des tromperies c’est de se voiler la face , se mentir à soi meme sur qui on est vraiment , et quelle sont nos aspirations .
    J’ai pratiqué et je n’en suis pas fiére , partager la vie de quelqu’un sans etre complet , sans tolerer d’etre soi meme ,d’etre une veritable entité et de faire le choix par compromis d’oublier volontairement une partie de soi ….

    L’exclusivité dont on nous à goinfré car elle est présupposée poser les fondements stables d’un modèle sociétal , me géne profondement .

    Si elle est bien vecue par choix déliberé et assumé et heureux j’applaudis des deux mains , je la rejette quand elle est subie , imposée parce c’est comme ça qu’il faut etre .

    • C’est bien écrit.

      Je vais tirer sur le fil du même parallèle corporel que j’ai ébauché dans ma réponse à un autre commentaire ce matin : si on cherche à se conformer à un physique idéal standard sans tenir compte de qui on est, de son corps et de son rapport à la nourriture, on finit juste très malheureux, soit par privation, soit en yoyo ou en excès, en échec et en mépris de soi. Si on arrive à faire fi de la pression sociale, à ne pas se mentir sur soi et à admirer son corps, s’y sentir bien et en faire profiter ceux qui l’aiment tel quel, en ne se fixant pas d’objectifs inatteignables, il y a de quoi vivre bien plus heureux.
      Tiens, ça ferait un joli article…

    • Très jolie intervention Isa, j’aime beaucoup, ça résonne.

    • « Lorsque l’on partage la vie de quelqu’un la premiere des tromperies c’est de se voiler la face, se mentir à soi meme sur qui on est vraiment et quelle sont nos aspirations . »

      Il y a en fait très peu de personnes qui sont en position d’affirmer leurs aspirations réelles, surtout en matière sexuelle. Le corps social contraint la majorité de ses membres à présenter une image en accord avec ce qui est considéré acceptable.

      Pour reprendre les exemples du texte:
      -il est probable que les femmes vivant dans les pays où la lapidation est pratiquée ont des aspirations réelles qui ne sont pas en accord avec ce qui est considéré comme acceptable mais n’ont pas d’autre choix que de mentir sur leurs désirs de liberté. Je pense que beaucoup mentent à leur conjoint.
      -en France, il n’y a plus de lapidation publique, mais la pression sociale est toujours là comme le démontre le forum doctissimo. Quelqu’un qui vit dans une petite communauté et en dépend n’a pas vraiment d’autre choix que de présenter une image en accord avec la norme sociale, sauf à se couper de ses relations, voire déménager dans une grande ville anonyme.

  7. Oh mais que je plussoie cet article !!
    Et les commentaires y sont aussi très intéressants – je partage complètement la vision de Isa Negrita sur le sujet de « tromper/trahir ».

  8. A mon tour j’ai envie d’aller dans le sens de Isa Negrita. J’irais même jusqu’à dire qu’on va tromper parce qu’on se trompe soi, que l’on se renie et, partant, que l’on va chercher ailleurs où se sentir vrai(e), se laisser aller. C’est ce que j’ai vécu. Je le vis encore avec une autre. Comme quoi on n’en sort pas facilement.
    Sauf à envisager la chose sous l’angle alternatif : suis-je fait(e) pour me conformer à un modèle où je ne me retrouve pas ? Que faire de l’attachement à l’autre, au-delà de ce que je m’empêche de vivre avec elle/lui en raison de cet attachement ? Ce qui se profile derrière, n’est-ce pas la crainte de la solitude ?

    • On se ment à soi-même d’autant plus que la fidélité nous est présentée comme la seule façon d’être normal-e. Personne n’aime s’envisager comme anormal.

  9. Bonjour,
    quand on se met en couple et surtout quand on se mari, on se jure fidelite, c’est donc un contrat non ?
    Et si l’un des deux romp le contrat, c’est normal que ça soit mal pris selon moi. Apres on peut mettre des « clauses » au contrat (mais secrètes, seuls les deux contractants sont sensés les connaitres puisque bon, l’opinion géenéral, la famille, le prendrait mal je crois !)
    En fait, je ne pense pas que cela soit si compliqué d’arriver à un accord avec son\sa partenaire là dessus. Par contre le problème c’est l’entourage, et là c’est bien ça qui peut bloqué.

    Mais sinon je trouve ça normal que l’infidilité soit refoulé si c’est dans le contrat. Personnellement si ma partenaire veut de la fidélité, je respecte, pas le choix sinon c’est vrai ça fait trahison.

    Mais bon, c’est quand meme pas évident de différencier le sexe et l’amour, si ? (l’amour, l’amitié… sens large quoi si je peux dire…. c’est trop le bordel le mot amour….)

    • J’ai plusieurs problèmes avec ce contrat. D’abord, rares sont ceux qui osent réellement en négocier les clauses. Ensuite il est rarement renégociable. Enfin, ce n’est pas un contrat sur ce qu’on veut que chacun fasse avec l’autre, mais sur ce qu’on veut que l’autre ne fasse pas — je ne suis pas spécialiste de droit, mais je trouve ça très intrusif et difficile à gérer. Ce qui expliquerait pourquoi ça marche si mal, y compris quand la lapidation est prévue parmi les sanctions en cas d’entorse au contrat.

  10. Et bien quand on se marie on définie bien les termes du contrat, non ? Dans les autres cas on peut en parler non ? Bon, le truc c’est que je parle un peu de couple d’étudiants, qui partent faire leur étude à l’étranger pour un an ou 6 mois en erasmus. Et là bin c’est mieux d’en parler quand même, parce que bon avec la distance qui sépare c’est pas évident. Je pense qu’il faut en parler, et c’est un peu grâce à tes écrits que j’en ai pris conscience. Parce que même si moi je ne sais pas trop comment me positionner, c’est mieux d’en parler.
    Voilà mon entrer à moi dans les couples libres, c’est la distance, parfois séparer par un océan pour un an qui me fait réfléchir à cela. Et là la possibilité d’infidélité existe, donc vaut mieux en parler si on veut continuer ensemble même si on est allé voir ailleurs.

    Sinon, pour le contrat je pense toujours quand on se jure fidélité et qu’on va voir ailleurs on rompt le contrat… Fin si on voit les choses basiquement c’est bien ça, non ? Et du coup si plus de contrat qui tienne ça fait (je reprends ta formule) : tu me trompes, je te quittes. Mais bon, on peut tenter de négocier avant de mettre un terme, et là je suis en accord avec tes articles. Je préfère négocier pour tenter de sauver le couple (si c’est une vrai infidélité, pas pré largage comme tu dis).

    Clairement quand la lapidation est au contrat je ne le signerai pas, si j’avais le choix… Si y a une liberté avant le couple, on peut définir nos libertés dans le couple, mais sinon c’est déjà foutu d’avance.
    (Désolé si je m’égare un peu…)

    Dans tous les cas tes articles sont très intéressant, ça fait réfléchir 😉
    Bravo pour tes dessins aussi !

  11. Ce qu’il nous faut retrouver l’innocence de l’adultère, qui est l’innocence du désir. Quand je couche avec quelqu’un d’autre que ma compagne, je ne pense pas à elle, et donc encore moins à lui faire du mal. Le désir n’est pas coupable, le plaisir dans certaines conditions seulement (sadisme, etc…). La jalousie c’est l’instinct territorial en l’homo sapiens. Que ma compagne découvre d’autres corps que le mien, comment pourrais-je lui en vouloir. Et si elle me le cache, c’est bienveillance, c’est qu’elle m’aime et veut m’éviter d’avoir à lutter contre mes instincts de primates, bref contre ma bête jalousie spontanée

    • C’est dommage de devoir cacher, je trouve ça artificel, mais c’est vrai que pour certains, c’est peut être ce qui passe le mieux. S’il est bien entendu que l’autre préfère qu’on lui cache. D’ailleurs l’arrangement n’a pas besoin d’être symétrique. L’un des deux peut préfèrer ne rien savoir tandis que l’autre veut des détails croustillants. Perso, je ne suis ni pour la transparence ni pour l’opacité. Mais chacun son truc, tant que ça marche.

  12. Le mot tromperie me gêne, tout de même… Je trouve ça laid, de « tromper » une personne. On peut avoir un coup de coeur, une pulsion, un amour ou un désir sans pour autant être obligé de tromper l’autre.

    Je suis d’accord Audren, la culture, la société, toussa toussa… mais ne serait ce pas l’occasion de grandir et de s’affranchir de tous ces codes, justement et de vivre ce que l’on souhaite vivre, sans « tromper » l’autre ? Comme non pas un prix à payer mais la solde d’une expérience à vivre… (je vais devenir plus utopiste que l’utopiste, si je continue).

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  17. Malgré tout l’Amour que je portais à mon Nomme depuis 17 ans, je l’ai trompé… Sans faire exprès…
    Il a tout découvert et lors d’une énième dispute pour un motif futile, je l’ai poussé de colère pour qu’il réagisse à ses conneries.
    J’ai pris des coups de pieds.
    Cette article me rassure ! La violence dans la rue est passible d’une contravention. Dans un couple, c’est un délit. (dixit les hommes en bleu).
    Je constate pourtant dans cette (mes)aventure que la lapidation peut être malheureusement d’actualité.

    • (long soupir). Bon courage. Sur ce sujet de l’infidélité, on a l’impression que le seul progrès qui a été fait depuis cinquante ans c’est que maintenant les réactions sont souvent aussi violentes quand c’est Monsieur qui a fauté que quand c’est Madame. Ou quand l’égalité des sexes est un nivellement par le bas…

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