Et couvrez donc ce sein que je ne saurais voir… Voici une autre facette de l’effet prohibition : en bannissant les contenus sexuellement explicites des beaux quartiers de l’internet, on cantonne tout le porno dans les bas-fonds, où il fricote avec le pire. Difficile ensuite de faire le tri entre le contenu réglo et le contenu criminel (sachant que le plus soft n’est pas forcément celui qu’on croit).
Dans un article de la fin 2013, Maïa Mazaurette joignait sa voix à ceux qui déplorent l’existence d’une production porno non-éthique, voire illégale, voire totalement criminelle. Le sujet est intéressant mais la solution qu’elle suggérait (assécher la demande par l’éducation et la vertu) me semble un peu légère et me rappelle un peu trop la posture des vertueux puritains dans les années de la prohibition aux US. Lesquelles années ont vu une recrudescence de la criminalité organisée et des intoxications à cause de spiritueux frelatés distribués au marché noir. Facile ensuite de dire que l’alcool était dangereux et qu’il avait partie liée avec le crime, et que donc c’était une bonne chose de l’interdire.
Loin de moi l’idée que Maïa veuille abolir le porno mais je pense que c’est un peu ce qui se passe dans de nombreux pays. Pour nous « protéger » contre les images illégales, on marginalise toutes les images de sexe. Cette censure plus ou moins explicite met bien des bâtons dans les roues de la diffusion des contenus légaux et éthiques, faits par des adultes consentants pour des adultes consentants. Avec pour résultat la perpétuation de l’amalgame qui cantonne le sexe dans la zone grise des bas-fonds où il fricote avec toutes sortes de trafics.
Dans le même panier…
Cindy Gallop a lancé récemment un site génial « Make Love, Not Porn » dont le but c’est que vous et moi puissions nous filmer sans chercher la prouesse pornographique, et partager la vidéo comme témoignage d’une forme de sexualité un peu authentique. Elle a fait ça justement pour offrir une réelle visibilité à du « vrai sexe » et s’opposer aux codes du porno, seule ressource de matériau sexuellement explicite actuellement disponible.
Et bien elle a eu un mal fou à se financer, à trouver un hébergeur, à trouver une plateforme de paiement sécurisé, à monter son projet, juste parce qu’il s’agit de sexe. Parce qu’il s’agit de sexe, elle était mise dans le même panier que les sites porno auxquels justement elle tentait de faire contrepoids.
Dans le même registre, il apparaît que les mesures de « protection » mises en place au Royaume-Uni (filtrage des contenus explicites par les fournisseurs d’accès internet) empêchent maintenant l’accès aux sites d’éducation sexuelle et à ceux pour la prévention des viols domestiques. Bonne mesure de protection, en effet…
Imaginez alors les difficultés de ceux qui veulent produire des contenus plus dérangeants comme des scènes BDSM ou bien des fantasmes de viol, quand bien même ils pourraient fournir toutes les fiches de paie, les attestations de dépistage IST, les décharges et tout ce qui va bien pour montrer qu’aucun humain n’a été exploité ou traumatisé pendant le tournage. Si le porno éthique est obligé de passer par des réseaux de diffusion semi-underground parce qu’on lui refuse les tuyaux classiques de diffusion de contenu, il y a fort à parier qu’il se retrouve un peu mélangé avec des contenus moins regardants, voire criminels.
Nudité explicite et viol d’enfants : du pareil au même ?
Dans son insondable pudibonderie schizophrène, l’internet « grand public » s’ingénue à bannir les images sexuellement explicites, en les mettant résolument sur le même plan que la torture, l’appel au meurtre et la pédopornographie. Il n’y a qu’à lire les conditions générales d’utilisation de la plupart des grands distributeurs de contenu pour voir que les termes employés sont juste assez super vagues pour faire froid dans le dos quant à leur potentiel de censure arbitraire, tout en opérant des juxtapositions sémantiques qui en disent long sur notre rapport au sexe.
Petit florilège, sans commentaires (notez bien qu’à chaque fois, les termes sont réellement juxtaposés sur la même ligne ou dans le même article des conditions d’utilisation) :
instagram : [no] violent, nude, partially nude, […], unlawful, […], hateful, pornographic or sexually suggestive photos
etsy : [content shall not] be obscene or contain child pornography
deviantart : [do not post content that is] obscene, offensive, blasphemous, pornographic, unlawful, threatening, menacing, abusive, harmful, […], vulgar, illegal or otherwise objectionable
wordpress : please don’t post […] explicit images or video of sexual acts […] images of child pornography
pinterest : [don’t post anything that] is sexually explicit or pornographic, exploits or presents minors in a sexual way, or promotes adult sexual services
dailymotion : [sont interdits] les contenus à caractère pornographique et les contenus incitant à la violence physique […]
vimeo : you may not upload any video [which contains] sexually explicit content or pornography […] unlawful acts or extreme violence
C’est un peu comme si je disais : « ici, c’est une bibliothèque ; donc pour ne pas déranger les lecteurs, c’est interdit de manger, de parler fort, de téléphoner, d’arracher les cheveux des mamies ou de brûler des nourrissons vivants ».
Alors il y a l’internet parallèle, celui des contenus « adultes ». Quand on cherche du sexe, puisque le sexe est banni des belles avenues de l’internet, on se retrouve par la force des choses à bifurquer vers ces ruelles sombres. Lesquelles malheureusement mélangent un peu tout ce qui n’a pas droit au chapitre ailleurs, de l’explicite à l’illégal. Et on est rarement à plus d’un clic d’un site mal codé, grouillant d’arnaques clignotantes, de malware, de popups intempestifs, de contenu piraté voire de trucs encore plus sordides. Et pas toujours facile de faire la différence entre le contenu légal et le contenu criminel (à moins d’être réellement pédophile ou psychopathe), d’autant que le plus soft n’est pas toujours le plus légal, et réciproquement.
A quand du porno « AOC » ?
Si un producteur ou une distributrice de porno « réglo » pouvaient avoir pignon sur rue comme un caviste ou une boutique de lingerie (quel que soit le caractère corsé de leurs catalogues), ils n’auraient pas besoin de minauder avec les règles et de s’acoquiner avec les mafias de l’internet.
Donc la solution, à mon avis, n’est pas de reléguer l’ivraie mais de donner au bon grain les moyens de sa promotion et de sa reconnaissance. Sur des bases éthiques qui ne prêtent pas le flanc à des interprétations arbitraires et qui se fichent des préférences sexuelles des prescripteurs (je n’aime pas être fouetté, mais si la personne qui se fait fouetter sur la vidéo me dit qu’elle est d’accord, ce n’est pas à moi de dire si c’est bien ou pas bien).
Et quand on pourra trouver sur internet des contenus, même hard, qui pourront en toute transparence se prévaloir d’un label « AOC » et qu’on pourra être sûr que ce ne sont pas des importations illégales frelatées — parce que les diffuseurs ne seront pas à la merci d’une interprétation arbitraire d’une directive floue par un fonctionnaire puritain– je suis sûr qu’il sera plus facile de faire le tri et donc de faire un peu de ménage.
Probablement pas en remontant aux criminels (faut pas rêver) mais parce que le consommateur pourra croiser au large. Il se rendra plus facilement compte quand il entre en zone illégale puisque les deux types de contenus ne se côtoieront plus dans les mêmes ruelles sordides bordées de pub mal orthographiée pour des pilules d’engrais pénien.
En la matière, on ne trouve que ce qu’on cherche… Et puis, quelle est au juste la cartographie des bas-fonds ? Indie Nudes, Vice, Xhamsters, Voissa, Image et VideoFap, Bobvoyeur, les blogs erog, les contenus de Flickr qui réclament un profil pour pouvoir les mater, les clichés lolitesques d’un Richard Kern… Ici le porno bien habillé, à consonance intello, là la branlette d’abattage. Autour, les réseaux mafieux qui engraissent sur le terreau fertile du cul.
Je ne crois pas qu’on ne trouve que ce qu’on cherche. C’est tellement mélangé et il fait tellement fouiller que c’est un peu comme aux puces ou chez un bouquiniste : pour trouver ce qu’on cherche, il est presque impossible de ne pas côtoyer aussi ce qu’on ne cherche pas.
– Un article plein de bon sens !
La morale « paladine » et le silence qu’elle impose sur la pornographie mais également la prostitution et la drogue, tue plus de monde que les sujets qu’elle condamne. Le contrôle des plaisirs humains est globalement un échec qui génère une économie parallèle extrêmement puissante et des légions de victimes principalement chez les jeunes, les femmes et les enfants. Alors oui aux starbucks du porno si entre adultes, humains, vivants, consentants, ‘éduqués’ et informés.
– Bémol
des mises en scène de viol ou du snuff movie même rémunérées et avec couverture sociale, vraiment ? On touche à des actes qui sont loin d’être consentis et le gentil gang bang de salon qui devient un viol collectif chez des jeunes d’à peine 11 ans… Ne faut-il pas quand même poser une limite ? L’humanité n’est pas mûre, la conscience du ‘bien’ est loin d’être à la hauteur, le problème est donc assez complexe et le mouchoir restera utile encore quelques temps.
Pour moi, la seule limite doit porter sur les conditions de tournage et de production. Chercher à mettre une limite sur le contenu est éminemment délicat et prête le flanc à toutes sortes de censures arbitraires.
Censures arbitraires qui protègent quand même un peu les femmes, les hommes, et les enfants. Ouvrir le marché à de telles mises en scène montrant des pratiques répréhensibles par la loi, c’est ouvrir Pandore. Je comprends que s’agissant de fantasme, la question de la moralité est plus complexe mais il y a clairement des règles de « vivre ensemble » et le viol ne fait heureusement pas parti de celles-ci. De même que la zoophilie, la nécrophilie et la pédophilie ou tout autre rapport impliquant un échange sexuel non consenti, je crois que nous avons une censure arbitraire qui a le mérite d’être juste et logique. Le plaisir que j’entends de ma fenêtre est un jeu pour tous les protagonistes, c’est un partage et sans ce partage nous parlons du plaisir éprouvé par des individus sociopathes.
S’inquiéter uniquement des conditions de travail et de la production fait d’abord le jeu de l’économie et nous parlons évidemment de sommes rondelettes ! En revanche quel serait un des effets probables de la légalisation de ce type de productions en terme social ? La tendance actuelle est à l’image réaliste, combien de temps faudrait-il pour que se vendent des vidéos montrant des actes bien réels ? Où serait le salaire et le droit de consentir des vraies victimes ?
Pensez-vous que la demande du public soit assez forte pour justifier que l’on banalise de telles pratiques ?
@red : Le viol n’est pas un fantasme partagé. Avoir le fantasme d’être violé est au maximum un désir de soumission extrême qui n’a rien de commun avec le statut des victimes de viol. Faire l’amalgame entre fantasme et victime est assez douteux…
Il y a quelques années, une victime de viol n’osait pas aller porter plainte pour le motif que les préposés ne doutaient pas qu’elles avaient toujours une responsabilité (jupe trop courte, boire un verre avec un inconnu, se promener seule la nuit…). Je trouve que la société, en tenant compte du droit autant que du traumatisme des victimes, a avancé dans le bon sens. Rendre ‘amusant’, ‘plaisant’ voir ‘excitant’ de regarder des scènes qui négligent fondamentalement le droit de disposer de son corps est un recul majeur du droit des êtres. Les scènes de viol existent déjà au cinéma mais il s’agit là de transcender le drame en objet de désir ! Légalement cela ouvre aussi le champs à l’irresponsabilité des violeurs, le débat de l’influence d’un porno trop violent en libre service sur certains individus. Pandore…
stgib, sauf erreur de ma part il était question ici de fantasme de MISE EN SCENE de viol, de jeu de rôle si vous préférez. La violence est bien présente mais elle est consentie par toutes les parties prenantes (et si vous en doutez oui je vous assure, même sans aucune contrepartie financière ou d’une autre nature, certaines personnes sont attirées par ce genre de pratique).
Article intéressant, je me faisais la même réflexion vis-a-vis de la prostitution mais c’est sûr que ça s’applique à plein d’autres choses. Cependant dans le cas de la prostition, le problème est bien entendu le cadre légal qui empêche quasiment quiconque de faire les choses proprement. Mais pour ce qui est du porno, c’est plus une question de bonne volonté des éditeurs, probablement poussés par un cadre légal strict/idiot dans certains des pays où ils ont une audience (leur but étant, avant de contenter tout le monde, de ne fâcher personne).
Y a t-il en France un cadre légal qui empêcherait l’émergence d’un éditeur de contenu permissif et ayant pignon sur rue ? je n’en ai pas l’impression. Peut-être même qu’il existe déjà après tout, je n’en sais rien je ne regarde pas beaucoup de porn.
Que pouvons-nous donc faire, en attendant ? peut-être réfléchir à ce que nous faisons d’internet, je pense en particulier au pouvoir sans cesse grandissant que nous donnons à ces quelques éditeurs de contenu tels que google et facebook, à cette carte blanche que nous leur donnons pour décider de ce qui est bien ou mal, ce qui peut ou ne peut pas être vu en leur fournissant toujours plus de contenu. Peut-être est-il temps de se dire que non, risquer de se faire censurer des photos qui n’ont rien d’illégales juste parce qu’elles ne plaisent pas à M. instagram (ou devrais-je dire M. Facebook) ou de se faire supprimer des vidéos parce que M. Youtube (ou devrais-je dire M. Google) ne les aime pas, ce n’est pas acceptable. Aujourd’hui la diffusion de contenu sur internet est aux mains d’un nombre très restreint d’acteurs, et cela m’inquiète (et pas que d’un point de vue liberté d’expression, il y a beaucoup à en dire sur d’autres sujets aussi). Cessons d’utiliser ces services.
stgib – la mise en scène de viol est un fantasme comme un autre, et pas seulement du point de vue « violeur ». Je ne vois donc rien de choquant à en faire des films. Les enfants de 11 ans pourront de toute façon trouver de la violence en quantité plus que suffisante au journal de 20 heures.
Il n’est pas impossible que le contexte puritain aux US et le poids des acteurs US dans la structuration d’internet faussent un peu notre vision de ce qui est faisable.
« la mise en scène de viol est un fantasme comme un autre, et pas seulement du point de vue « violeur ». Je ne vois donc rien de choquant à en faire des films. Les enfants de 11 ans pourront de toute façon trouver de la violence en quantité plus que suffisante au journal de 20 heures… »
Vous me faites peur 😦
Oui, je suis d’accord !
mais encore ?
je veux dire, est-ce toute pratique BDSM qui vous fait peur, ou seulement les simulacres de viol en particulier ? ou encore autre chose qui m’échappe ?