Le sexe devrait être …

« Le sexe devrait être …, le sexe est avant tout pour … » : derrière ces injonctions bien intentionnées autant que péremptoires se dissimulent des jugements de valeur sur certaines pratiques, un inconfort avec la liberté des autres, et in fine une tentation d’ingérence héritée d’une culture sexe-négative encore bien vivace.

mec saucissonné et baillonné - dessin numérique au crayon par audern

Le sexe devrait être … consentant (ref. photo (c) capturedguy sur deviantart.com)

On n’y prête même plus attention tellement elles sont fréquentes (et contradictoires), des magazines féminins aux discours des « défenseurs de la famille », des féministes abolitionnistes aux officiants à un mariage, des discussions entre copines aux conseils des sexologues. Selon qu’on écoute les uns ou les autres, le sexe devrait idéalement être :

  • gratuit
  • torride
  • mutuellement plaisant
  • tendre
  • procréatif
  • amoureux
  • fréquent
  • protégé
  • planifié
  • sacré
  • banal
  • précieux
  • épanouissant
  • spontané
  • etc.

Même si ces injonctions sont la plupart du temps tournées positivement, il est aisé d’y lire en creux un jugement de valeur inverse. Quand on souligne avec force les vertus de la tendresse dans le sexe, on critique doucement tous ceux qui aiment un peu d’animalité, ou ceux que les pratiques D/S fascinent. Quand on élève l’importance de l’amour (et mes bouquins d’éducation sexuelle étant gamin insistaient bien fort sur l’amour), on n’est pas bien loin de dénigrer le batifolage inconséquent ou le libertinage. Quand on insiste sur le caractère torride et spontané, on est en train de dévaloriser ceux qui apprécient leur missionnaire tranquille du samedi matin. (Quant à l’idéal de gratuité, j’ai pas mal de trucs à dire dans au moins un prochain article).

C’est fascinant de voir comme chacun cherche à valider ses ressentis et ses choix personnels en voulant les plaquer sur ses semblables. Du diététique au vestimentaire (sans parler de trucs plus graves), la pratique de cet exercice futile d’ingérence douce est malheureusement assez généralisée : ingérence dans l’assiette, la garde-robe, et donc dans le lit des autres quand on parle de sexe.

Cette tentation d’ingérence est à mon sens une version juste édulcorée de celle qui pousse certains pays homophobes à discriminer ou ostraciser les gays au nom de ce que le sexe « devrait être ».

Et donc, même si on doit évidemment avoir chacun toute latitude pour exprimer personnellement ce qu’on aime ou pas, il me semble que dans un monde sexe-positif, la seule généralité qu’on ait le droit de dire quant à ce que le sexe devrait être, c’est qu’il devrait être consensuel consentant.

(car en attendant mieux, c’est pour l’instant la notion de consentement qui fonde l’essentiel de nos notions éthiques).

Le sexe devrait être … ‘consentant’ (le reste n’est pas mon affaire, même quand c’est pas mon truc)

25 réponses à “Le sexe devrait être …

  1. En parlant de « consentement », on ouvre une nouvelle poupée russe.
    Car encore faut-il que ce consentement soit éclairé, véritablement libre, équitable (si risques), etc…

    Par exemple : une mineure, une inférieure hiérarchique, une femme alcoolisée, une membre de secte, ou tout simplement une femme abusée qui n’est pas au fait de la position réelle de son amant (marié, pb psy, pb médical)… peuvent consentir sincèrement à un rapport amoureux avec… quel genre d’homme ? (idem pour les hommes)

    Mais j’imagine que c’était sous-entendu… et adapté à un monde où la femme est l’égale de l’homme.

      • Là aussi, on a une belle boîte de Pandore : tout le monde est d’accord pour dire qu’un état d’ébriété détruit la liberté du consentement. J’avais entendu une auteure qui poussait le bouchon un peu plus loin et rappelait que la passion amoureuse, quand on analyse ses manifestations chimiques dans le cerveau, s’apparente beaucoup aux effets des drogues. Sans suggérer qu’il faille éviter d’avoir des rapports sexuels « sous passion », quelle est la limite de la liberté du consentement ? Un verre suffit ? Un joint ? Que dire de drogues naturelles, disons l’ambiance hyper-festive d’une soirée ou d’un festival ? Après tout la manipulation psychologique ne fait pas intervenir de substances chimiques externes. Comment définir et borner un consentement « vraiment libre » ?

  2. C’est fascinant de voir comme chacun cherche à valider ses ressentis et ses choix personnels en voulant les plaquer sur ses semblables.

    C’est exactement ça… en toute chose ! Ce que j’ai pu remarquer autour de moi c’est la tolérance ne suffit pas, il faut aussi l’approbation. Il ne faut pas dire : « Tu as le droit de faire ce que tu veux » mais « Ce que tu fais est génial » et la meilleur façon de percevoir cette approbation, au final, est que tout le monde fasse pareil ! Voilà pourquoi le monde est rempli d’injonctions, même positives… Le consensus peut-il suffire à satisfaire les Hommes… ?!

      • Eh bien je dirais que le consentement devrait être consensuel 😉

        Je crois que les gens s’accordent unanimement sur le fait que le sexe devrait être consentant, dans la réalité rien n’est moins sûr…

        Quant à dire que lorsqu’il y a consensus il n’y a plus de souci, rien n’est moins sûr non plus. Bien qu’en principe le consensus désigne un accord positif et unanime, dans l’usage c’est pas aussi clair. Dans l’usage, au sein d’une collectivité –ou d’un groupe- le consensus rend valide la reconnaissance qu’une opinion ou un sentiment est largement partagé soit parce qu’une forte majorité penche en faveur de cette position donnée soit qu’elle repose sur le constat de l’absence d’une opposition réelle ou sérieuse. N’est-ce pas une façon de renforcer des normes… ?!

    • Je ne parle pas de consensus mais au contraire de consentement (l’adjectif ‘consensuel’ est un auto-faux-ami puisqu’il s’applique aux deux)

      • D’ailleurs, je viens de modifier l’article parce que ça prêtait trop à confusion. Tant pis ça tombe moins bien grammaticalement.

  3. Je note que « spontané » est listé deux fois…
    Et hâte de lire l’article concernant « l’idéal de gratuité » !

  4. Bonjour Audren, j’ai bien aimé l’ensemble de ton post, mais je butte sur le mot » gratuit » qui semble complètement déplacé dans cette énumération anti-moraliste.
    Tu n’es pas sans ignorer (j’espère) les rapports de force et de coercition dans le monde de la prostitution; qui font du sexe tarifé autre chose que du sexe consenti. Les femmes qui se prostituent ont souvent une vie jalonnée de difficultés (matérielles, financières et ou émotionnelles) et de violences sexuelles. 9 femmes sur 10 sont sous la coupe d’un proxénète.
    Acceptation ne vaut pas consentement (surtout libre et éclairé!)
    Autrement dit, si j’accepte uniquement contre rémunération un rapport sexuel que j’aurais refusé si je n’avais pas eu besoin de cet argent. C’est un rapport de domination qui va au delà de l’ingérence, du choix, ou des jugements moraux.
    Malheureusement je ne peux pas te résumer toutes les recherches à ce sujet dans un commentaire, mais si tu as le temps de lire le point 3 dans mon dernier post, je serais ravie d’en discuter!!
    Bises

    • Je maintiens. Seul le consentement doit compter. On peut bien entendu discuter des conditions sous lesquelles le consentement est authentique.
      Quoi qu’il en soit, je ne parlais pas seulement de gratuité pour la question de la prostitution mais aussi pour les à-côtés du sexe et autres produits dérivés marchands (sites de rencontres, sextoys, lingerie, déco, hôtels, etc.) C’est d’ailleurs ces derniers aspects qui feront l’objet de l’article susmentionné.

  5. Superbe dessin ! Et l’article, évidemment. (Je suis fan de votre blog, que je juge indispensable !)
    Le sexe devrait être (toujours) consentant, oui. Et le sexe devrait (toujours) bon ! 🙂

    • « Et le sexe devrait être (toujours) bon ! »
      – beeuup ! mauvaise réponse.. justement, non. 😉
      Evidemment, je pousse à l’extrême. Et la majorité des gens (dont moi) n’envisage pas que le sexe puisse ne pas être bon. Mais si l’on suit le raisonnement de l’article, on ne devrait même pas se permettre de suggérer qu’il doive l’être. Et si des gens consentent au sexe pour des raisons n’ayant rien à voir avec le plaisir, c’est leur droit le plus strict.

      Mais merci pour les compliments 😉

  6. Pingback: Du snobisme de la gratuité et du sous-équipement sexuel | les fesses de la crémière·

  7. Oui, voilà. le problème c’est l’ingérence. Ça vaut pour tous les domaines de la vie, les gens ressentent le besoin de décrire ce qui est meilleur pour eux avec souvent une critique en creux de ceux qui font différemment. Maintenant tout le monde a droit à son opinion et ces derniers temps je me demande de plus en plus ou souvent où est la limite entre exprimer son opinion et juger les autres. Ceci dit, très jolie illustration.

  8. Pingback: Quand les ami-e-s ne sont d’aucun secours | les fesses de la crémière·

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