Quand on sort des sentiers (re)battus du couple exclusif, l’expression des besoins de chacun revêt une importance cruciale afin de savoir où l’on veut aller. Mais il ne faut surtout pas s’arrêter à des formulations vagues et comparatives. Il faut savoir reformuler ses exigences pour qu’elles soient concrètes et vérifiables.

« Majesté, vous êtes vraiment super belle… ça change quoi de savoir si vous êtes la plus belle ? »
Je veux rester l’homme de ta vie
Je veux être la plus importante
Je ne veux pas avoir l’impression que tu l’aimes plus que moi
J’imagine que voilà des choses qui passent dans la tête de bien des personnes qui veulent tenter l’aventure de la non-exclusivité amoureuse, surtout quand on part d’une structure de couple exclusif (voir à ce sujet cet article sur les trois vagues de la culture poly).
Et c’est une bonne chose que d’arriver à s’exprimer. En effet, quand on parle de polyamour ou de couple libre, le monde des possibles s’élargit de façon vertigineuse. Contrairement au modèle du couple ‘classique’ dans lequel on a grandi et dont le cadre est assez net, le scénario du couple libre n’est plus écrit, et il faut faire un effort particulier pour mettre cartes sur table :
- que va être le projet du couple pour les prochains mois, pour les prochaines années
- ce qu’on tient à continuer à partager
- ce qui sera du ressort de la vie privée de chacun
- ce dont on a peur
- ce dont on a envie
- etc.
… au risque de ne plus du tout savoir de quoi on parle ni où on va — c’est toute la différence entre l’autoroute et le hors-sentier, entre le cabotage et la haute mer.
Et donc il faut dire ce qu’on attend, ce qu’on veut. Y compris des trucs qu’on pense que l’autre ne pourra pas accepter ou supporter. Ne serait-ce que parce qu’on peut avoir de bonnes surprises.
Quand c’est vague
Sauf que voilà, on a facilement tendance à exprimer des désirs vagues :
- je veux rester l’homme de ta vie
- je veux me sentir aimé
- je veux que tu me montres que je suis important pour toi
- je veux continuer à être irremplaçable à tes yeux
- j’ai peur de me sentir délaissé
C’est un peu la même guimauve que ‘je veux un homme qui me surprenne’ / ‘je veux une femme qui me sauve de mes démons’. Ça lui fait une belle jambe, à l’autre, de savoir ça…
Quand c’est comparatif
Il y a un autre travers, intimement mêlé à la jalousie et au réflexe de possessivité issus de la culture de l’exclusivité, c’est quand ces exigences sont comparatives :
- je ne veux pas que tu fasses l’amour avec elle plus intensément qu’avec moi
- je ne veux pas que tu sortes plus souvent sans moi qu’avec moi
- je veux que tu m’envoies autant de sms qu’à lui
- je ne veux pas que tu lui embrasses le sexe
Si mon sentiment d’être aimé ou si mon bonheur se mesure en comparaison de ce qui échoit à quelqu’un d’autre en mon absence, ça témoigne probablement d’un manque que je ressens de toute façon, que l’autre soit dans le panorama ou non.
Certes, je ressens ce manque encore plus durement si je constate que j’ai hérité de la portion congrue. La différence de traitement remue le couteau dans la plaie. Mais si j’en souffre, c’est que la plaie était déjà là avant. Si je vivais dans une satiété sentimentale, sexuelle et relationnelle permanente, alors je m’en ficherais bien de savoir ce qui se passe entre ma femme et le reste du monde. Le gamin qui a une réserve de bonbons infinie dans sa poche ne se demande pas si sa grande sœur en a eu plus que lui.
Et donc si ça traduit un manque, c’est directement ce manque dont il faut s’occuper, sans chercher à comparer. Le but n’est pas une égalité de traitement rigoureuse, ni non plus de pouvoir classer les partenaires par ordre de préséance, mais bien que la relation profite à tous.
Et le pire, de toute façon, c’est qu’il est impossible de vérifier si une exigence comparative est satisfaite, puisqu’on n’a pas accès à ce qui se passe de l’autre côté. Donc c’est la porte ouverte à l’insatisfaction chronique, au doute permanent et aux tentations d’espionnage.
Voire les deux à la fois
Le summum de la cerise, c’est quand on se retrouve à exprimer des exigences à la fois comparatives et vagues:
- je veux être la plus importante
- je ne veux pas que tu aimes ta femme plus que moi
- je veux sentir que tu penses à moi plus souvent qu’à lui
Exigences impraticables pour l’un, invérifiables pour l’autre : garantie d’échec à 200%.
Les points sur les i
Et donc un conseil que j’avais déjà vu passer et que j’ai réentendu récemment dans un podcast que j’aime bien (poly weekly), et auquel je souscris à 100%, c’est de mettre les points sur les i pour que les désirs et les peurs qu’on exprime soient concrets et vérifiables (vérifiables indépendamment de ce qui se passe avec les autres partenaires) :
- je veux qu’on se refasse des week-ends en amoureux plus souvent
- je veux le petit déjeuner au lit le samedi matin
- je veux que tu m’embrasses quand tu pars, même quand tu es pressé
- je veux qu’on fasse l’amour quand on a été séparés plus de trois jours
- je veux que tu répondes à mes sms même quand tu es occupée
- je veux qu’on ait deux soirées tranquilles à la maison, rien qu’à nous, chaque semaine
- je veux qu’on trouve un petit moment pour s’appeler chaque jour, malgré nos familles et nos jobs
Déjà, rien que le travail de reformuler ses souhaits et ses craintes permet de bien mieux se connaître.
Après, on discute. Ce n’est pas parce qu’on veut qu’on aura, ne serait-ce que parce qu’il n’y a que quatre week-ends par mois ou 24 heures par jour. Et puis les souhaits ne cesseront pas d’évoluer, de toute façon. Mais au moins c’est dit, c’est clair, et on a des pistes pour travailler sérieusement, sans avancer à tâtons dans le brouillard, et sans que l’ombre des autres partenaires flotte sempiternellement sur notre appréciation du bonheur.
Pingback: Je veux être la plus importante | Myster Jo·
Oh oui, une communication explicite avec une attente inclusive, c’est tellement plus simple et apaisant qu’une communication implicite et une attente exclusive.. Mais ça implique un gros travail préalable : construction de la confiance en soi, puis construction de la confiance en l’autre..
Je pense qu’on peut être clair sans avoir tellement de confiance en soi..
Car il n’est pas interdit de dire « j’ai besoin de me sentir rassuré (oui, c’est flou), et pour ça, je crois que ça m’aiderait beaucoup si tu pouvais m’envoyer au moins un petit mot chaque matin et chaque soir quand on n’est pas ensemble (là, c’est clair) ».
Je souscris complètement au besoin de requêtes concrètes, j’ai l’impression d’être assailli de demandes abstraites que je n’arrive pas à traduire.
Et si seulement ce genre de flou n’arrivait que dans le cadre des relations amoureuses… Malheureusement, c’est presque la vie entière qui est faite d’exigences floues et invérifiables, personne ne faisant l’effort de traduire ses desiderata en langage intelligible.
A reblogué ceci sur Je suis bien le monstre que mon ex a quittéet a ajouté:
Je laisse ça ici. Ça me servira certainement pour une prochaine scènes. Parce que c’est clair que Cath veut être la plus importante dans un couple ouvert. Et je crains que je vais devoir la faire passer en deuxième ou en troisième pour les fins de l’expérience. Pauvre Cath et, surtout, pauvre Mathieu qui paiera les frais de ses crises d’angoisse!
Bonjour, je suis dans une situation delicate de polyamoureuse en ce moment, mon copain « officiel » étant allemand, j’aimerais savoir si vous connaitreriez l’équivalent de votre blog en anglais ou allemand? Car si moi je me renseigne beaucoup dessus depuis quelques semaines sur des sites français (car je suis toujours amoureuse de mon ex, que j’ai quitté pour me mettre avec mon copain de maintenant, que j’aime évidemment), et si il m’a dit qu’il n’était pas fermé à cette idée, je sais qu’il n’y connait pas grand chose non plus et a beaucoup de craintes, donc j’aimerais lui envoyer si besoin des articles dans sa langue ou en anglais… Merci 🙂
Je pense que le blog more than two (et le livre qui vient de sortir) est la ressource anglophone. Pour l’allemand, aucune idée.
Pingback: Je veux être la plus importante | PolyAmo...·
Ce qui est partagé au moment où c’est partagé ne suffirait donc pas ? ? ? dans l’absolu, oui mais dans la vie concrète, pas toujours….
Que de réflexions encore ! Merci
Cath
Et moi je veux qu’il fasse des gosses avec moi. C’est quand même…quelque chose.
Oui.
Je découvre avec plaisir ce blog sur les questions que je vis et échange depuis environ 3 ans avec la part de mon entourage qui est prête à l’entendre. Sauf qu’en fait ça fait plus de trois ans que ça travaille, puisque la marge qu’on se laisse dans la tendresse qu’on offre à l’autre, aux autres, est finalement assez représentative de la liberté qu’on s’offre dans la vie en générale.
J’entend par là :
– Le fait de faire des choix pour que sa vie ressemble à ce qu’on aimerait plutôt que de subir, sacrifiée au plus haut de la croix, ce qu’on imagine nous « tomber dessus », sans pouvoir le changer.
– Le fait d’apprendre à prendre du temps pour soi et de trouver du plaisir à être seul avec soi-même.
– Le fait d’apprendre à demander à l’autre d’être clair dans ses besoins et envies (qui implique déjà la première étape d’apprendre à être clair avec soi-même).
– Le plaisir de laisser couler, de se laisser surprendre par ce qui arrive, même quand ça parait dramatique, parce que cela même nous emmène « ailleurs » . Et c’est finalement bien cet ailleurs qui nous fait peur et nous excite à la fois, dont on voudrait se protéger ou imaginer qu’il ne se constitue que de summum de plaisir sans interruption.
Enfin, je réagis à cet article parce qu’identifier ses besoins, démêler les affects liés à la jalousie, la peur de sentir abandonné, seul, me parait primordial dans cette quête de liberté.
On constate finalement souvent qu’une dispute au sujet du ménage est finalement lié à une jalousie qu’on aurait voulu anodine, et que cette jalousie même est liée à une peur de se sentir mal aimé qui nous ramène encore plus profondément en nous même.
Toujours plus profond en nous même…
Alors on nomme, on creuse, on oublie sa mauvaise fois, on ouvre grand ses bras à l’autodérision, on regarde ses peurs, ses désirs, en essayant de ne pas s’y identifier outre mesure.
C’est souvent ce que je dis au personnes qui sont tentées par cette belle aventure, et avares d’en entendre sur le sujet (car il faut bien le dire, il est trop peu évoqué de façon constructive par chez nous) c’est que ça veut surtout dire être prêt à plonger en soi-même et disposé à se rendre un minimum disponible pour écouter l’autre dans ce chemin là aussi…
Mais ça, je dirais que : ben… c’est la vie, c’est ça que j’ai à faire, moi petite bout de femme au milieu de ces belles âmes qui vivent!