De l’épineuse question des personnes qui ont un comportement non-exclusif mais qui continuent à vouloir entretenir l’illusion de monogamie, alors même qu’on leur a ouvert la porte d’une non-exclusivité assumée. Manipulation ? Pudeur ? Déni ? Précaution ? Rébellion ? Un peu de tout ça ?
On s’est dit qu’on était en couple libre. Ou au moins je t’ai signifié que tu pouvais faire ce que tu veux de ton côté tant que tu restes fidèle au couple que nous sommes en train de construire ensemble. Je pensais que ça suffirait à mettre fin à tes cachotteries puisque maintenant tu peux librement assumer tes aventures.
Malheureusement, dans bien des cas, l’autorisation explicite ne suffit pas à désamorcer le mensonge, ce qui donne lieu à des situations de grand désarroi :
- après notre discussion sur le couple libre, tu m’as juré tes grands dieux que j’étais la seule dans ta vie et qu’il ne saurait y en avoir d’autres, et voilà que je tombe sur un historique de sms parfaitement explicite avec quelqu’un qui n’est visiblement pas moi.
- tu sais que je ne suis pas jaloux, qu’il suffit de me dire « je sors sans toi ce soir », même sans détails. Pourquoi alors t’es-tu sentie obligée de me concocter cette fable bizarre pour expliquer ton retour si tardif ?
- j’ai su par Alexandra que l’autre soir tu draguais en boîte en prétendant qu’on n’était plus ensemble : c’est quoi ces conneries ?
- je me souviens très bien t’entendre dire que tu n’étais pas prête pour franchir le pas du couple libre. Alors pourquoi es-tu connectée tous les jours sur tinder ?
- etc.
Manipulation ?
Le premier cas de figure est le plus simple à comprendre (et probablement le plus répandu malheureusement) : quand l’un des partenaires désire la non-exclusivité pour soi-même mais ne peut pas l’accepter pour l’autre. Alors on fait profession de fidélité éternelle (pour bien enterrer l’idée du couple libre) et on fait ses petites affaires de son côté.
Pour empirer le truc, il peut aussi s’y greffer une forme de duplicité par rapport à l’investissement réel dans le couple : en vrai, je suis presque sûr-e que je ne resterai pas avec toi mais je préfère te faire croire que « toi et moi c’est rien que nous deux et pour la vie » jusqu’à temps que je me trouve quelqu’un d’autre et que je te dise tchao-baï.
Déni ?
Mais le pire n’est jamais certain, et il y a d’autres hypothèses valables. Par exemple l’hypothèse du déni, du conflit interne de valeurs. Quelqu’un qui est tellement imbibé-e de références romantiques disneyland ou d’injonctions morales puritaines ne pourra pas se résoudre à reconnaître qu’il-elle ne correspond pas au modèle.
Et donc on préférera tromper puis mentir (et se mentir) plutôt que de s’accepter tel-le que l’on est, même quand l’autre est prêt-e à nous accepter, tant l’image de cet autre soi nous serait culturellement intolérable.
Pudeur ?
Pour certain-e-s, les histoires de fesses et de sentiments sont tellement intimes, tellement attachées à leur moi profond qu’il leur est impossible de s’en ouvrir à la personne qui partage leur vie. C’est à mon avis un peu la même forme de pudeur qui fait qu’on n’ose pas avouer certains fantasmes à sa femme (mais qu’on saura éventuellement le faire à un-e inconnu-e).
Quand c’est la pudeur qui fait obstacle à la communication, la conséquence est plutôt la discrétion silencieuse que le mensonge. Le mensonge n’apparaît que lorsque l’autre n’accepte pas le silence et réclame une explication.
Précaution ?
Parfois, on peut sentir plus ou moins consciemment que l’accord de couple libre est fragile. Que c’est une position de principe de la part d’un-e partenaire qui n’est en réalité pas vraiment prêt-e. Et que si on racontait pour de vrai les aventures qu’on a, les personnes qu’on rencontre et ce qu’on ressent pour elles, on se retrouverait avec une grosse crise de couple à gérer.
Alors on camoufle, on élude, et parfois on ment. J’ai déjà dit qu’il ne vaut mieux pas que ça dure une éternité, et que si l’histoire avec l’amant-e prend de la place, il aura fallu tellement gonfler le mensonge dans lequel on la cache qu’il sera devenu transparent ou bien il éclatera. Mais sinon, de la même manière qu’on ne balance pas brutes les vérités qui fâchent à la gueule des gens qu’on aime, on peut adoucir la transition avec un peu de souplesse casuistique.
Rébellion ?
Et si on continue dans cette direction, on a le cas où le couple (soi-disant) libre est juste une extension de la tentation classique d’hégémonie possessive : en proposant un peu de liberté contre une exigence de transparence totale, un-e partenaire garde le contrôle sur l’autre, ses faits et gestes et in fine sur son corps.
Et dans ce cas, il me semble parfaitement justifié de se rebeller un peu contre la transparence. Si ça passe, tant mieux. Si ça casse, tant mieux aussi, puisqu’il ne vaut mieux pas rester dans une relation qui ne prévoit pas un espace de liberté pour chacun, à fortiori quand en plus c’est sensé être un couple libre.
Conclusion
Et moi je dis qu’à part le premier cas où le mensonge est intentionnellement manipulateur, on peut garder l’espoir qu’il soit possible de gérer la relation même quand l’un ou l’autre ne met pas toutes ses cartes sur la table.
Car je prétends que le mensonge n’empêche pas toujours de se faire confiance. Et je m’en expliquerai très bientôt.
Peut-être la raison pour laquelle certains mentent est qu’il leur est nécessaire de mentir pour draguer.
Par exemple: une femme ou un homme en couple ne va pas se présenter comme tel(le) à ses amant(e)s potentiel(le)s, si le fait d’annoncer son statut d’être en en couple implique un râteau assuré. Une fois que le pli est pris de mentir, il n’est pas non plus facile de revenir à la maison et de dire: « chéri(e), j’ai trouvé un(e) amant(e) formidable, mais surtout ne lui dit rien parce que je lui ai raconté des bobards sur notre relation ».
C’est pas faux. Le plus drôle c’est quand un infidèle et une infidèle se rencontre dans un bar et prétendent chacun l’un à l’autre qu’ils sont célibataires… d’où l’intérêt des sites de rencontre spécialisés 😉
Personnellement, mon copain et moi sommes en couple libre. Et c’est vrai, qu’il n’est pas évident quand on rencontre d’autres personnes, de dire directement « Je suis en couple mais c’est un peu différent, attends je vais t’expliquer » ça peut refroidir l’autre en face de suite. Après, lui comme moi, nous ne mentons pas. On peut toujours rester vague, du moins au tout début pour avoir le temps de « contruire » un petit (vraiment début) de relation avec la tierce personne. Je m’explique.
Je pense donc qu’au début, on n’est pas obligé de tout dire sur notre couple aux nouvelles personnes avec qui on aimerait aller plus loin. On voit la nouvelle personne, une fois, deux fois, trois fois (sans forcement coucher), puis à chaque fois, on commence à être un peu plus éloquent sur nos attentes. Genre « tu sais, je tiens beaucoup à ma liberté […] je prends la vie comme elle vient, je me prends pas la tête […] L’exclusivité n’est pas une chose qui me convient » Et peu à peu, on introduit le fait qu’on est en couple libre avec une autre personne (ou pas d’ailleurs, une fois qu’on a dit qu’on était en couple libre, on est pas obligé d’être transparent, comme dit dans l’article).
Comme ça, on n’a pas menti en disant « je suis célibataire » mais en même temps, on a pu créer un premier attachement/intérêt chez la tierce personne, qui fait qu’elle aura peut être envie de creuser un peu avec toi, même si elle sait que pour autant l’exclusivité n’est pas possible.
Par exemple, pour citer un exemple concret, mon copain cotoyait une autre fille pendant quelques mois, il a fini par lui dire qu’il etait en couple libre assez vite. Au début, elle a dit « ah c’est pas trop mon truc » mais elle a voulu revoir mon amoureux, ce qui prouve qu’elle est passée outre. Apres, il est clair qu’elle aurait bien voulu l’exclusivité avec lui, mais elle a vite compris que ce n’était pas possible ! 😀 Mais, bon ça c’est son problème. Mon copain n’était pas responsable des projections qu’elle s’était faite puisqu’il avait été clair assez vite sur sa situation de couple.
Pour moi, la raison la plus fréquente vient du fait qu’on ne sait pas jusqu’à quel point chacun désire de la discrétion dans ses amours respectives.
On peut certes annoncer une phrase-clef signifiant « je sors, ou je couche, ou je dors avec quelqu’un d’autre, pendant tant de temps », lorsque la pratique a été clairement instituée.
Mais l’omission est le plus souvent la règle. Dans ce cas, comment justifier l’absence, la durée, l’injoignabilité… si ce n’est par une pirouette (au mieux), ou un bête mensonge évoquant un autre type d’activité crédible ? « Un mensonge de finesse », comme disait Fernandel. Parfois complice (« OK, je vois… »), parfois litigieux (« hmm… réalité ou coucherie ? »), parfois abusé (« j’espère qu’il ne dépasse pas nos règles »)…
Selon le principe de l’omission, chacun sait que l’autre ment (ou peut mentir), mais joue le jeu consciemment, respectant ainsi une forme d’hypocrisie sociale « façon couple libre » !
Oui. J’en parle un peu dans le prochain article.
J’ai bien tout relu, plusieurs fois, mais je ne comprends pas ton paragraphe sur la manipulation.
Si on désire la non exclusivité pour soi mais qu’on la refuse à son partenaire, et qu’on lui jure que jamais ses yeux ou son coeur, ou tout autre partie… ne se porte ailleurs, alors on n’est pas un couple libre, on est infidèle?
Pour qu’il y ait couple libre, il faut que la question de l’exclusivité ait été soulevée, et que chacun des protagonistes donne son accord sur la « liberté ». Même si effectivement cela n’exclu pas les mensonges par la suite.
et s’il y avait une distinction à faire entre intimité (d’un couple) et jardin secret (ce qu’on ne partage qu’avec soi-même) ? Il me semble que tout ne se dit pas, même dans un couple libre… Pas sûr que la transparence totale soit un Graal…
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J’aime bien cette analyse. J’ajouterai deux autres explications:
– Frisson : pour les gens qui trouvent excitante le double-jeu en soi même. Au plus extrême ça peut être malsain : instrumentaliser son copain/sa copine, en trouvant excitante de lui mentir, créer des excuses élaborées, lui rouler dans la farine. Ça entre dans la manipulation, mais pour des raisons autres que celles que tu évoques. Mais de forme légère le frisson me paraît bien facile à comprendre : avoir un secret en commun, trouver des petits codes pour communiquer sans que les autres se rendent compte, c’est très habituel dans les nouvelles relations, même celles qui n’ont rien de clandestin. C’est une forme normale de créer une liaison plus forte (du « bonding ») avec quelqu’un nouveau.
– Protection : les nouveaux sentiments sont fragiles, d’en trop parler trop tôt casse quelque chose. C’est connecté avec la pudeur de que tu parles, mais mélangé avec un certain égoïsme : on peut avoir envie de profiter de ces douces sensations avant d’en parler avec son partenaire, surtout si parler risque de déclencher une petite crise d’insécurité, avec besoin de réassurance, d’expliquer, de se positionner, de rationaliser ce qu’on ressente, de projeter ce qui va se passer ou non.
Un homme plutôt… J’annonce la couleur à mes amants et ils s’en fichent… Mon mari annoncent la couleur à ses amantes et elles s’en vont…
Dans le cadre « rébellion »: http://www.ted.com/talks/esther_perel_rethinking_infidelity_a_talk_for_anyone_who_has_ever_loved?language=en
Min 14:00: « Now some of you probably think that affairs don’t happen in open relationships, but they do. […] the fact is that it seems that even when we have the freedom to have other sexual partners, we still seem to be lured by the power of the forbidden, that if we do that which we are not supposed to do, then we feel like we are really doing what we want to. »
C’est marrant parce que je regardais justement cette vidéo hier et c’est le passage qui m’a le plus accroché. Pour le reste, j’ai trouvé Esther Perel un peu en retrait par rapport à ce qu’elle pouvait laisser entendre par le passé (on la sentait assez favorable au couple libre et au polyamour, maintenant on a l’impression qu’elle cherche beaucoup à rentrer dans le rang, et que son business à elle, c’est vraiment de réparer les couples après une infidélité pour que surtout ça n’arrive plus). Mais pour ceux et celles qui n’ont jamais regardé une vidéo d’Esther Perel, surtout cliquez sur le lien (en plus avec son accent, c’est impossible de ne pas la comprendre…)