Peut-on se faire confiance malgré les silences et les menteries ?

Le bonheur relationnel est-il réservé aux champion-ne-s de la communication ouverte ? Peut-on construire une vie de couple (exclusif ou non) quand l’un ou l’autre ne met pas toutes ses cartes sur la table ? Peut-on se faire confiance malgré les silences ou même les mensonges ? Je pense que parfois oui.

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Peut-on se faire confiance ? (ref. photo (c) xrozyx sur deviantart.com)

Seulement pour une élite ?

La vie en couple, et donc aussi la vie en couple libre, c’est une question de confiance. Ce n’est certainement pas une question de transparence. Et malgré ce qu’on lit ou dit partout, ce n’est pas forcément non plus une question de communication — en tout cas pas forcément de communication verbale.

Certes, c’est infiniment plus facile de dépatouiller les situations compliquées en parlant ou en écrivant, en tout cas pour celles et ceux qui savent parler ou écrire. Mais tout le monde n’est pas comme moi, et il n’y a pas de raison que l’entente conjugale ou la non-exclusivité soient réservées aux pipelettes de l’introspection psychologique, aux champions de l’écoute attentionnée et à ceux qui arrivent à étaler leur coeur sur la table.

Il y a des personnes qui se sentent tellement mal quand il leur faut remuer et exprimer des sentiments profonds qu’elles trouveront tous les moyens pour fuir si on les y presse, parfois jusqu’au mensonge. Pour que la relation laisse respirer chacun, y compris les taiseux-ses et les complexé-e-s, il faut laisser de la place aux timidités, aux omissions, aux silences, aux mystères, et même à certains mensonges.

Faire confiance à quelqu’un qui ment ?

« Mais comment peut-on faire confiance à quelqu’un qui ment ? » La culture populaire néo-puritaine veut nous faire croire qu’en matière de mensonge, « qui vole un oeuf vole un boeuf ». C’est rigoureusement débile. D’ailleurs, pas besoin de réfléchir longtemps pour se rendre compte qu’on passe sa journée à mentir à divers degrés pour des myriades de raisons plus ou moins bonnes. Rien qu’à voir le ressort comique de ces fictions où personne ne ment (voir par exemple Mytho-Man / The Invention of Lying) ; ou bien les difficultés qu’ont les personnes atteintes du syndrome d’Asperger à naviguer parmi les allusions, les non-dits, les demi-vérités et autres euphémismes ordinaires, on voit bien à quel point le mensonge est un lubrifiant social indispensable. Et dans ce monde de mensonge nécessaire et généralisé, on sait parfaitement faire confiance à certaines personnes et se méfier d’autres.

Sur quoi peut-on se faire confiance ?

L’important n’est donc pas de savoir si l’autre dit toute la vérité ou pas, mais bien de savoir sur quoi on peut lui faire confiance. Car il ne faut pas jeter la poutre avant l’eau des orties : on sait qu’il y a tout un tas de trucs sur lesquels on ne peut déjà pas se faire confiance à soi-même. Et donc même notre âme soeur la plus parfaite aura ses zones d’ombre et ses faiblesses. Il serait fort de café d’attendre de notre chéri-e qu’on doive pouvoir lui faire une confiance aveugle, si soi-même on n’est pas fiable à 100%.

En apprenant à se connaître l’un-e l’autre, on finira peut-être par savoir ce sur quoi on peut se faire vraiment confiance. Et à mesure, décider si c’est acceptable. Ca peut passer par le discours, ça peut passer par des gestes, des attitudes, des comportements : tout ce qui permet de se connaître assez soi-même et l’autre pour ressentir profondément les thèmes sur lesquels on peut se faire intégralement confiance et les sujets sur lesquels il faudra faire semblant de se faire confiance.

A partir du moment où j’ai confiance en la bienveillance de ma partenaire, je sais vivre avec des non-dits ou des demi-vérités sur ses aventures, sans avoir l’impression que le monde s’écroule juste parce qu’elle n’a pas su me dire qu’elle prévoyait de retrouver un ex à sa « soirée entre copines ».

D’ailleurs, contrairement à certains inconditionnels de la communication, j’ai presque de l’admiration pour les couples qui ont réussi à négocier tacitement un virage vers la non-exclusivité qui aurait été inenvisageable verbalement pour tout un tas de raisons, où chacun a son petit bobard pour sauver les apparences mais où nul n’est dupe : « bon match, chéri ; et amuse-toi bien si vous allez au bar ensuite » / « bon week-end ma belle – mes amitiés à ta cousine ».

28 réponses à “Peut-on se faire confiance malgré les silences et les menteries ?

  1. Pingback: On a dit « couple libre  : pourquoi tu continues à me mentir ? | «les fesses de la crémière·

  2. Tout à fait d’accord avec toi, Audren! Avec les années, je suis revenue de la notion de « transparence », d’une part parce qu’il est impossible de « tout dire » de ses sentiments vu que souvent on ne comprend pas soi-même tout ce qu’on vit et ressent, d’autre part parce que l’exigence de « transparence » masque souvent une volonté de contrôle sur l’autre:  » A défaut d’exclusivité sur ton corps, je veux un droit d’entrée absolu dans ton cerveau et ton cœur ». A partir du moment où l’on a envisagé et choisi d’être librement amoureux, il suffit de prévenir quand on sort et si on rentre ou pas (pour des raisons essentiellement pratiques, organiser la garde des enfants, ne pas angoisser l’autre si on ne rentre pas, etc). Cela n’empêche nullement, un soir où on est en confiance pour se confier, de parler de ce qu’on vit, mais il n’y a là aucune obligation. Lorsqu’on se fait vraiment confiance, me semble-t-il, on n’a plus besoin de tout savoir.

  3. @ Audren: Lecture qui mène, une fois n’est pas coutume, à l’introspection. Merci.

    @ Françoise: Je crois que ta dernière phrase résume tout!
    Il faut juste du temps pour s’en rendre compte. 😉

  4. Inspiré, Audren ! Je retiens particulièrement « le mensonge, lubrifiant social », qui me paraît extrêmement clairvoyant et drôle, et « jeter la poutre avec l’eau des orties ». Et ta conclusion me remplit d’espoir…
    Merci, donc, encore une fois.
    Camille

  5. Faire confiance malgré quelques non-dits, ok… faire l’éloge du mensonge parce que « tout le monde fait ça », c’est vulgaire, irresponsable, et certain(e)s prennent ce raccourci trop facile-ment.

    « dans ce monde de mensonge nécessaire et généralisé [sic], on sait parfaitement faire confiance » … à ceux qui sont honnête envers nous et se méfier de ceux qui nous jouent dans le dos ? à moins d’aimer se faire… « utiliser » disons. « Sweet Dreams are made of this, who am I to desagree… » hehe.

      • hahaha! Bien sur!
        « Si vous faites le mal, faites-le bien, car un mal bien fait ne fait jamais bien mal. »

      • Ca me rappelle une  » conversation  » avec des collègues qui parlaient d une connaissance a l une d elle en disant ….qui a trompé trompera …..et moi de penser très fort  » mais j espere bien !! «  » Dommage de devoir  » tromper  » l autre j aimeraî tellement pouvoir être entendu dans mes désirs …..

  6. Bien sûr que la transparence est une illusion, et une prise de pouvoir déguisée. Mais dans les couples non libres que je côtoie, le mensonge n’est pas une manière élégante et subtile de se faire confiance. C’est du bon vieux mensonge qui tache et qui menace d’exploser à la figure des deux protagonistes.
    Disons que je veux bien croire que la situation que vous décrivez existe, et je m’en réjouis. Mais je pense qu’elle est bien rare…

    • C’est pour ça que j’ai dit « savoir ce sur quoi on peut se faire vraiment confiance. Et à mesure, décider si c’est acceptable. » Certains mensonges sont évidemment inacceptables. Je dis seulement qu’il y a des chapardeurs d’oeufs à ne pas enfermer avec les voleurs de bétail.

  7. a mon avis, ça s’expérimente et je suis d’accord avec le commentaire de Françoise. totalement d’accord. C’est bien un parcours et trouver ces marques prend du temps.
    Pour nous le plus important n’est pas forcément de tout se dire mais de ne pas trahir le couple que nous sommes. Mais pour l’instant nous nous disons beaucoup de choses et nous cherchons nos limites. la notion de limite , de ce qu’on va se dire ou pas est très difficile à percevoir et à définir. chaque histoire, chaque moment étant différent.

  8. Je plussoie le « Il serait fort de café d’attendre de notre chéri-e qu’on doive pouvoir lui faire une confiance aveugle, si soi-même on n’est pas fiable à 100%. ».
    Et c’est bien vrai également, que l’on ment bien plus souvent qu’on ne voudrait le croire, ne serait-ce que par omission, souvent pour protéger l’autre…
    PS : Rien à voir, mais tu l’as lue l’interview chez moi sur le couple libre (http://belleblonde.net/un-couple-libre-comment-ca-fonctionne/ )… ? Parce que je l’ai publiée en pensant à toi, quand même, il faut le savoir ^^
    ++

  9. Le mot-clef est « bienveillance » (tout au début).

    Lorsqu’on sait profondément que l’autre n’a aucune envie de nous nuire, seulement de se protéger, on n’a plus peur de lui accorder le droit de mentir et de dissimuler. Puisque cela ne nous concernera pas et touchera essentiellement à sa liberté, son intimité, sa psychologie (peur d’être mal vu, orgueil, éviter les complications, les vexations…) et que ce ne sera pas une manipulation ou un tort volontairement orienté contre nous.

    Et il se trouve que l’amour aide beaucoup à partager cette bienveillance ! Mais aussi un certain état d’esprit, plutôt détaché et libre, respectueux de la liberté individuelle, une nature confiante et peu directive… et surtout pas un comportement susceptible, jaloux, à cheval sur les principes de propriété et d’honneur ! Le mensonge est justement le moteur principal de ces gens-là, et ils sont incapables de distinguer le bon du mauvais mensonge.

  10. Je trouve que tout cela est du discours, je regrette. Du discours sur ce que doit être un « bon couple » (ouvert ou non), emplit d’une morale petite-bourgeoise qui est au couple ce que le bio est à l’alimentation des gens qui non seulement cultivent des croyances plus ou moins fondées mais en plus les diffusent comme des vérités universelles. Mais bon…

    « qu’elle n’a pas su me dire qu’elle prévoyait de retrouver un ex à sa soirée entre copines ».

    Elle « n’a pas su » ou « elle n’a pas voulu »… La confiance, c’est une chose (bof… après tout, faire confiance pour quoi faire?) mais le respect en est une autre et tout un chacun avec une intelligence moyenne est en mesure d’évoluer vers le respect d’autrui. Laisser croire à quelqu’un quelque chose qui n’est pas (en toute conscience), c’est tout de même un peu le prendre pour un con. C’est un petit peu pas très malin d’écrire sur un blog qui fait sa promo un peu partout dans les médias qu’abuser de la confiance d’autrui est juste une question de point de vue. Vous savez, il y a des gens qui ne meurent psychiquement ou physiquement de se sentir humiliés en découvrant qu’ils avaient mis leur confiance (autrement dit qu’ils s’étaient remis « corps et âme ») à une personne qui a fait de ça un plat en sauce pour son plaisir personnel… « parce qu’elle n’a pas su… »? ben voyons!… Eloge de la manipulation.

  11. Je n’aimerais pas qu’elle me mente. D’autant qu’elle ment très mal et que, du coup, le soupçon s’installe. J’aimerais autant savoir, mais je ne l’obligerai jamais à me le dire. Je préfère qu’elle me le taise, plutôt que de me mentir. Le silence fait partie du jeu, le mensonge est un poison pour moi.
    (considérations tout à fait perso sur ma relation très amoureuse, non exclusive et à distance actuelle)

    • Taire n’est pas toujours possible. Le silence peut sembler aussi suspect et encore moins naturel que des demi-vérités qui rassurent. A la question « tu as fait quoi ce week-end ? », essayez donc de répondre « je préfère ne pas répondre », et voyez donc l’effet que ça fait. Si à la place vous dites la vérité, que vous avez été à la mer, mais sans dire avec qui, ça passe tout de suite bien mieux. Sauf que dans un couple qui s’attend à « la vérité » et qui est paranoïaque quand il s’agit de sexe, cette vérité qui omet le détail crucial sera forcément perçue comme un horrible mensonge.

      Pas facile…

      • oui je crois qu’on est d’accord. Par « taire », j’envisageais le »j’ai été me promener » en taisant « avec Machin ».
        En effet, ce n’est pas faclie. Mais tellement beau quand ça marche !
        (Merci pour ce blog, il m’est d’un grand secours dans les quelques moments de doute)

  12. Pingback: L’infidélité n’est pas une pathologie | les fesses de la crémière·

  13. Bien évidemment une relation, quelque soit son cadre (exclusive/non exclusive) suppose de définir ses fondamentaux (propres à chacun) piliers de la confiance.

    Nous sommes également d’accord que toute vérité n’est pas bonne à dire… Qu’il faut parfois s’accommoder de pieux mensonges et autres poncifs, soit…

    Mais il y’a une question que vous éludez au gré de votre argumentaire sur les vertus (réelles et/ou supposées) du mensonge…
    Que se passe-t-il lorsque, lorsqu’en dépit des ruses de sioux, pourtant éprouvées, l’autre découvre par lui/elle-même le(s) mensonge(s) et qu’il/elle en est ébranlé, blessé?
    S’il /elle en souffre de cette accumulation de petits mensonges car, au-delà de la confiance nourrit à l’égard de l’autre, cela sape sa propre confiance en lui/elle-même? Si toutes ces petites lâchetés sont ressentie comme une trahison majeure?
    Le point de non retour n’est-il pas alors atteint? Je m’interroge donc sur la légitimité du mensonge et ses limites. N’est-il pas préférable de s’armer de courage, au moins parfois, pour dire certaine vérités, sans doute douloureuses (puisque l’on a pensé à les dissimuler), et justement faire confiance à l’autre pour (ou du moins tenter de) comprendre? Lui laisser au moins cette opportunité…

  14. Pingback: Couple libre : revisiter nos codes de conduite | les fesses de la crémière·

  15. Merci pour cet article ! Cela fait du bien de lire exprimé si lumineusement ce que j’essaie de mettre en place pour moi même depuis quelques temps…
    J’adorerais le faire lire à ma taiseuse-menteuse-omisseuse préférée, mais je craindrais qu’elle n’en profite pour ne plus faire un pas vers la communication 😉
    Car c’est tout de même agréable que, moi j’apprenne à être bien avec un peu de cachoteries 😉 ET qu’elle apprenne à mieux exprimer les choses aussi 🙂

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