Où j’explique ma position iconoclaste concernant l’infidélité, à travers un exemple très concret. Ou pour résumer mon propos : tant que mes choix ne débordent pas concrètement sur la vie de l’autre, tant qu’il s’agit avant tout de ma vie, de mon temps, de mon corps, je n’ai pas à me plier à ses caprices et à ses tentations d’ingérences.
Je veux illustrer ici un principe qui revient assez souvent en filigrane de ce que j’écris, en particulier sur l’infidélité et la transparence : quand je prends des décisions qui concernent ma vie, mon corps, mon temps, et qui n’ont concrètement aucun impact sur la vie de l’autre, alors ces décisions ne regardent que moi. Que mesdites décisions, si elles sont découvertes, puissent avoir un impact psychologique et faire énormément souffrir la personne que j’aime n’enlève rien à leur légitimité profonde : ça reste ma vie, mon corps, mon temps. Et autant je veux bien faire preuve de compréhension et de diplomatie, autant il serait inacceptable de laisser l’autre empiéter sur ma liberté sous le prétexte de ses névroses, ses blocages, ses faiblesses.
« Je ne pourrais pas le supporter »
Dans un épisode du podcast de Dan Savage, un mec décrivait son dilemme avec sa girlfriend vegan : produits animaux interdits non seulement à la maison mais aussi à l’extérieur. A force d’insistance, elle lui avait effectivement fait promettre de ne plus toucher à la viande, ni avec elle, ni sans elle. Quand il lui arrivait de craquer (en particulier lors de fêtes avec ses amis à lui), il lui avouait ses écarts, elle lui faisait de violentes scènes. Donc il avait fini par ne plus lui dire.
Mais un jour, dans une photo sur le facebook d’un collègue de son mec, elle le reconnaît en train de manger une cuisse de poulet à une soirée paella lors d’un voyage professionnel en Espagne. Il en était pourtant revenu en affirmant qu’il n’avait mangé que des fruits et des légumes quand elle l’avait questionné. Pétage de plombs mythique de la fille qui s’est sentie salie, outragée, trahie.
Où est la légitimité ?
Oui le mec a menti. Et aussi il a promis un peu vite de s’en tenir à un régime qu’il croyait pouvoir adopter. Mais on ressent surtout que la fille outrepasse sa liberté quand elle attend de lui qu’il se plie de façon aussi stricte à son choix de vie à elle. Quelque part, le jugement collectif pencherait donc plutôt pour dire que les pétages de plomb de la fille ne sont pas légitimes et qu’à partir du moment où le mec ne mange pas son steak devant sa nana, il devrait être libre du contenu de son assiette, et qu’elle n’a pas à le tanner ni à l’espionner pour découvrir s’il a ingurgité des protéines animales.
Je veux justifier ici rationnellement le bien fondé de l’avis collectif : ce n’est pas parce que notre monde est principalement omnivore que le mec est dans son bon droit et que sa nana fait de l’ingérence. Ce n’est pas une question de culture culinaire majoritaire. Le choix du mec est légitime parce que c’est son corps à lui et que le contenu de son assiette n’a pas d’influence concrète sur la vie de sa copine quand elle n’est pas là. Personne ne la force à manger de la viande, il ne va pas la contaminer, et elle n’est pas un poulet. S’il faut qu’elle espionne son facebook pour éprouver de la détresse, c’est bien que c’est elle-même la propre cause de sa détresse, pas lui.
Par ailleurs, faire promettre à son mec de ne plus jamais jamais toucher de viande en aucune circonstance même quand il est à 10000km, c’est à peu près aussi peu légitime que de lui faire promettre d’arrêter de fréquenter untel, d’écouter du Julien Clerc dans le bus ou de fantasmer secrètement sur Scarlett Johansson. Et en plus c’est invérifiable sans espionnage.
Cela dit…
Toutefois, si la fille ressent réellement de la détresse à l’idée que son homme soit libre de manger de la viande, même si cette liberté est légitime, on ne peut pas non plus nier la réalité de son ressenti et lui demander de faire semblant qu’elle ne souffre pas. Ainsi, même si sa douleur vient d’elle-même et donc même si ce n’est pas la faute de son mec, elle est entièrement libre de le quitter à cause d’une cuisse de poulet et de choisir de ne se remettre en couple qu’avec un vegan pur et dur.
Ca ressemble à du chantage mais ça n’en est pas : elle ne peut pas le forcer à manger selon ses principes à elle ; il peut encore moins la forcer à rester avec lui, pour quelque raison que ce soit : la liberté de consentement est souveraine et la légitimité n’entre pas en ligne de compte.
Je crois quand même que ce n’est pas la meilleure solution, et qu’il vaut mieux qu’elle travaille sur elle, parce qu’il n’est pas extrêmement sain d’avoir besoin de restreindre la liberté de ceux qu’on aime pour se sentir bien avec eux.
D’autres exemples
Le père raciste qui découvre que le copain de sa fille est noir. En l’occurrence, même si la fille avait l’intention de l’épouser (et donc potentiellement ça deviendrait public et ça pourait avoir un impact très concret sur la vie du père à cause du qu’en-dira-t-on dans son périmètre social raciste, surtout si on s’imagine en 1930), on serait à 100% en faveur du choix de la fille, quelle que soit la détresse du père.
Les parents très tradi qui apprennent que leur fille est lesbienne ou que leur fils est homo. « Tu as pensé à nous ? » est l’un des premiers cris de douleur des parents quand leur enfant fait son coming-out. Au-delà du jugement autour de la sexualité plane l’idée que notre corps ne nous appartient pas totalement et qu’on a en quelque sorte un devoir de procréation pour que nos géniteurs ne soient pas privés de la joie d’être grand-parents.
Le mec qui refuse à sa nana de se faire un tattoo ou un piercing. Certes, ça a une influence concrète (minime) sur sa vie à lui puisqu’il va le voir souvent, le tattoo ou le piercing, mais c’est d’abord et avant tout son corps à elle.
Dernier exemple, pour finir
Et vous aurez compris où je veux en venir : quand il s’agit d’une infidélité ponctuelle qui n’a aucune influence concrète sur la vie du conjoint (pas d’absences répétées, pas de séparation à l’horizon, pas de scandale public), qui ne cache aucune espèce d’intention de nuire, et qui nécessite un espionnage actif pour être démasquée, je prétends que l’exigence de transparence et même la promesse d’exclusivité sont essentiellement illégitimes. Il s’agit d’abord et avant tout de mon temps, de ma vie, de mon corps.
Et ce n’est pas parce que notre monde penche majoritairement pour blâmer l’infidèle qu’on devrait faire une exception à ce raisonnement.
Mais je dis aussi que l’autre a entièrement le droit de souffrir après avoir appris mon écart, et que je n’ai aucun droit à l’empêcher de partir. C’est dommage mais c’est comme ça.
Je veux désamorcer ici le reproche que de nombreux-ses lecteurs-trices végéta*ien-ne-s ne manqueront pas de vouloir me faire : que je ne devrais pas faire de parallèle entre l’infidélité et la consommation de produits animaux, puisque baiser avec quelqu’un, c’est lui faire plaisir donc c’est bien, alors que manger des animaux, c’est les tuer, donc c’est mal.
Alors d’abord, je suis assez d’accord avec le constat : des deux comportements qui cherchent à contrôler l’autre, on devrait plutôt excuser davantage celui de la fille vegan que celui du cocu jaloux. Notre culture fait l’inverse (y compris Dan Savage), et je le déplore.
Je veux toutefois ajouter un bémol à l’argumentaire qui invoquerait la notion de bien et de mal pour justifier la réaction véhémente de la fille vegan : quand bien même son mec s’amuserait une fois par an à torturer des bébés chatons, à dealer du crack ou à incendier des bars gays, s’il ne le fait pas exprès pour faire souffrir sa copine, si ça n’a aucune répercussion sur la vie du couple, alors elle ne devrait pas se sentir personnellement trahie ou bafouée. La réaction n’est pas « tu me fais du mal à moi et je ne peux pas le supporter » mais « tu fais du mal aux autres et je ne peux pas laisser passer ça ». Bon, le résultat est le même, mais je tiens à la nuance et j’en ferai peut-être un article.
Deuxième commentaire : je ne fais en aucun cas l’apologie de toutes les formes d’infidélité. Je ne légitime que celles qui rentrent sous le critère très étroit du « c’est mon corps et ça n’a pas de conséquences concrètes sur notre couple ». Même quand elles restent secrètes, les aventures extra-conjugales « suivies » ont souvent un impact réel sur la vie du couple. A ce titre, maintenir le conjoint dans l’ignorance d’un fait majeur susceptible de chambouler la vie du couple (je suis amoureuse de quelqu’un d’autre et ça explique pourquoi tu me trouve distante, et je ne sais pas encore si j’ai envie de rester avec toi ou si je vais tout plaquer avant l’été), c’est aussi grave que de lui cacher qu’on est en train de faire une dépression nerveuse ou qu’on va bientôt être muté-e en région parisienne.
Ah oui, et un dernier truc : je suppose que les rapports sont protégés. J’ai d’ailleurs prévu depuis longtemps d’aborder la question des ist, quand j’aurai assez enquêté pour ne pas dire trop de bêtises parce que ce n’est pas totalement anodin.
Parenthèse pour les animaux: leur corps, leur temps, leur vie… La seule difference c’est la légitimité de l’epoque et ses lois, comme les blacks et l’esclavagisme autrefois.
La comparaison scandalise, mais on est sur le bon blog pour faire travailler nos 50 nuances de matière grise.
Je suis bien d’accord, cf mon premier commentaire.
Mais justement, attention à la nuance : c’est leur vie, pas celle de la nana. Donc on n’est pas dans le même registre. Ce n’est pas « tu me fais du mal », mais « tu fais quelque chose de mal ».
Toujours aussi percutant 🙂
Je suis d’accord avec ton raisonnement, complétement.
Mais en même temps, l’intérêt d’une aventure qui ne nous chamboule pas me semble vraiment minime. Vaut-elle la peine qu’on y aille? (J’aurai même tendance à penser et à me souvenir que l’idée du possible est nettement plus agréable que ça mise en pratique. Mais il est vrai que l’impulsivité de mes 20 ans est maintenant loin…)
Et si elle nous chamboule, n’est-il pas illusoire de penser qu’elle n’aura pas de conséquence sur notre vie, et donc sur celle de notre compagnon de vie?
En vous lisant, deux questions me viennent : Pourquoi minimiser l’intérêt du désir et du plaisir partagés, de la rencontre érotique ?
Pourquoi la seule rencontre qui vaudrait la peine devrait être sentimentale ?
J’allais poser les mêmes questions. Quand il s’agit d’amitiés « non-sexuelles », on n’a pas ce genre de hiérarchisation (« ah, non, si c’est pas pour y aller avec un meilleur copain pour toute la vie, il n’y a pas d’intérêt à faire une sortie cinéma ou un weekend d’escalade avec un pote… »). Probablement que la raison est justement dans la disproportion des réactions entourant l’exercice de la liberté sexuelle extra-conjugale : puisque sortir avec un mec, même juste pour la découverte et le plaisir, risque à ce point de foutre en l’air mon mariage, alors il vaut mieux que je m’en abtienne tant que le jeu n’en vaut pas absolument la chandelle.
L’enjeu de la pérennité du couple est probablement une des explications (surtout que le couple est vraiment devenu une sorte de graal).
Je me disais en vous lisant qu’il y avait aussi peut-être de cette idée « morale » qu’une relation sentimentale « vaut » plus qu’une relation sexuelle.
Ou pour reprendre votre analogie avec les différentes formes d’amitié : être « amis pour la vie » c’est vachement mieux que d’être « potes ». C’est ainsi que la plupart d’entre nous structurons nos relations, sans y penser.
Or, pour ma part, je ne peux être « amie pour la vie » qu’avec un nombre très limité de personnes (et c’est normal), mais j’ai également besoin de l’amitié plus distante de mes autres relations amicales (potes, copines, you tell…). Et si j’ai désiré cette variété, c’est parce que chacun d’eux m’apporte quelque chose de singulier.
Concernant les relations érotiques, en revanche, il est totalement inacceptable en effet de pouvoir dire « j’en ai besoin » (comme « j’ai besoin d’avoir des potes et des amis ») et d’envisager que ça n’enlève rien à mon amoureux.
J’ai envie d’apporter 2 réponses légèrement différentes à vos questions et réflexions.
La première est que je ne voulais pas parler de la motivation de la relation, mais d’implication. Qu’elle soit purement sexuelle ou sentimentale, la situation est pour moi la même: si je n’ai pas de papillons dans le ventre, si je ne fantasme pas (le « possible », qui n’a pas forcément besoin de se projeter au delà de la soirée), je ne pense pas que ça en vaille la peine. Le seconde est que vos questions touchent quand même bien à ma réalité. Le plaisir et l’érostisme n’ont pas été à la hauteur de mon désir dans mes relations éphémères. En tout cas, pas comparables à ce que j’ai pu vivre dans des relations suivies pour lesquelles il y a confiance et connaissance intime de l’autre.
On s’en lasse pô de ces articles. Je tombe d’accord avec tes positions, je pense qu’elles pavent la voie, dans un continuum « libertaire », vers une sorte d’ère des individus. Utopie sur le papier, mais qui sait…
J-E
Il y a une question qui me taraude : j’ai l’impression que les droits humains sont un pied dans la porte pour une éthique individualiste. Et que si depuis les Lumières, on ne fait qu’observer le lent glissement des valeurs sociales vers l’individualisme, c’est parce qu’à partir du moment où l’on considère que l’intérêt du groupe n’a pas à piétiner le libre arbitre et la dignité de chacun, et bien l’intérêt du groupe perd peu à peu la bataille — et l’idée du couple libre est encore une conséquence du même phénomène. Lubie de ma part ? J’essaierai d’explorer ça dans un article.
Le problème majeur à mes yeux dans les cas que tu décris, est la question du respect. Respect de l’autre : faire pression sur quelqu’un, surtout dans le cadre du couple, est inacceptable. Mentir, dissimuler, est parfois une option mais ne devrait pas être fait à la légère, par exemple « pour avoir la paix ».
Hélas, le couple non négocié se construit sur des bases tacites, dont la monogamie et une certaine solidarité idéologique, censées aller de soi et donc êtes exigibles. Il est parfaitement possible de les remettre en cause, c’est même souhaitable quand elles ne conviennent pas, et le faire de manière ouverte me semble un meilleur choix.
Respect de soi-même : accepter que l’autre nous dicte nos conduites, exerce une pression, exige, c’est accepter de ne pas être respecté. Face à ces pressions cela peut paraitre inévitable, ou le « moins mauvais » choix. Il est légitime de céder à cette pression en faisant les promesses exigées, et tout aussi légitime de les enfreindre. Mais cela implique de se mettre en position de coupable : c’est toi qui n’as pas tenu ta promesse.
Quelle sorte de relation cela construit-il ? L’un ne respecte pas l’autre, qui l’accepte et ne peut plus faire preuve de franchise. Culpabilité, soupçon, frustration, rancune… Je considère que c’est le droit des gens de de ne pas trouver le courage de remettre les pendules à l’heure, comme de préférer un couple bancal à pas de couple du tout ; mais je ne peux m’empêcher de trouver ça dommage.
Selon moi, l’attitude qui pose vraiment problème est la volonté de contrôle de l’un ; mais l’attitude de pseudo-soumission de l’autre ne fait qu’entériner cette violence et repousser les ennuis.
Je suis bien d’accord. Et un but affiché de ce que j’écris, c’est de remettre suffisamment en cause les présupposés culturels tacites pour que tout le monde arrive à les mettre explicitement et calmement sur la table. Un peu comme dans cet article.
Je voudrais illustrer mon point de vue par un exemple personnel.
Quand j’avais vingt ans, je trompais mon copain qui était aussi le père de notre bébé. Il était très jaloux, évidemment monogame (nous n’avions rien négocié à ce sujet) et plutôt que la franchise, j’avais opté pour le mensonge et la culpabilité.
Nous n’avions plus de rapports sexuels, quand je me suis retrouvé’ enceinte de mon amant. Lui avouer tout ça ne me paraissait pas une option. C’est là que cette situation bancale nous est retombée dessus de toute sa force.
Je me suis imposé des rapports sexuels avec lui, afin de pouvoir prétendre -avec une mauvaise foi évidente dont il s’est satisfait- que c’était de là que venait cette grossesse non désirée. Je me suis infligé un rapport sexuel qui relevait du viol, et je lui ai infligé le fait d’être l’agent de cette violence, qui était assez évidente car tous ces mensonges ne tenaient pas vraiment la route.
La responsabilité de ce désastre repose selon moi sur ses exigences à mon égard, assez classiques mais néanmoins violentes, et sur ma passivité face à ces exigences.
Voilà, tirez-en la leçon que vous voudrez. Je demande seulement aux gens qui ne trouveraient pas légitime le mot « viol » de garder leur opinion pour elleux, c’est mon vécu et la décision de le qualifier ainsi m’appartient.
Bonjour,
il y a un point que vous n’abordez pas qui me semble essentiel qui est: Dans cette relation avec votre partenaire, est-ce clair dès le départ que vous pouvez être infidèle? Si oui, alors je suis d’accord avec votre argumentation de bout en bout. Si elle décide de se mettre avec vous c’est en toute connaissance de cause, même si elle peut en souffrir quand même, et elle aura le choix de vous quitter si elle en souffre justement. Si non, je pense que la relation est mal équilibrée au départ, et elle peut légitimement se sentir trahie. Ce n’est pas tant le contrôle de l’autre qui est en jeu que la relation de confiance.
Bonne journée.
Je ne suis pas d’accord. S’il fallait mettre toutes les cartes sur la table pour démarrer une relation « en toute connaissance de cause », on ne se mettrait jamais en couple (« oui, alors il faut que je te dise, je sens de la bouche le matin quand j’ai mangé de la viande le soir, je n’aime pas sortir le dimanche, je perds souvent mes lunettes, j’ai des goûts de chiotte pour la déco, je crie sur les gamins, je ne veux pas voir tes parents, j’ai eu des problèmes de discipline au lycée, je suis un maniaque de l’hygiène, je fais une retraite bouddhiste d’une semaine chaque année dans un ashram, je ne bois jamais de bière, je ne supporte pas le jazz, … »). Si on accepte que toutes ces choses se découvrent et se négocient à mesure mais que par contre la question de la liberté sexuelle doive explicitement être abordée sinon c’est la clause d’exclusivité qui s’applique par défaut, et que la moindre entorse sera vue comme une trahison qui tue tout espoir de confiance, ça montre bien deux choses :
– on donne à la question du sexe une importance démesurée (je parle ici juste d’infidélité ponctuelle qui ne rejaillit pas matériellement sur le fonctionnement du couple)
– on suppose que tout le monde est exclusif sauf mention contraire — comme à l’époque où l’on supposait que tout le monde voulait se marier, faire des enfants, et que toutes les femmes s’arrêteraient de travailler pour les élever, sauf mention contraire. C’est à dire que c’est une norme sociale, pas un vrai choix.
Le jour où ça sera un vrai choix comme la décision de se marier ou pas, alors oui vous aurez raison. Mais ce jour là, je soupçonne que comme pour le mariage, les gens grimperont nettement moins au rideau quand leur partenaire suggère vouloir dévier de la norme antique, et que donc la question sera moins brûlante.
🙂 Je suis d’accord avec votre argumentation, et pourtant je reste chiffonnée. Disons qu’intellectuellement ça se suit bien, après on est beaucoup à être pétri et empêtré dans une culture et ses codes, sur lesquels nous devons nous questionner. Merci pour votre blog.
Je voudrais revenir sur une phrase de L’épicène » le couple non négocié se construit sur des bases tacites, dont la monogamie … » C’est ça. On est tous prêt à accepter de découvrir que l’autre ronfle ou se révèle faignant car c’est implicite du « couple non négocié », et on n’est pas prêt à ce que l’autre aille voir ailleurs car pareil la monogamie est une base tacite de ce couple. Cette base tacite est la réalité de la plupart des gens, on ne peut pas la nier, et peu importe que dans ces gens là la moitié ait envie d’aller voir ailleurs, ils pensent que c’est mal de le faire à cause des bases culturelles implicites sur lesquelles s’est fondé leur couple. Donc j’en reviens à mon idée première, vu que le couple « non négocié » comporte sa série de codes culturels communément admis, pour que ce genre de pratique potentielle se passe au sein d’un couple sans pouvoir parler de « trahison », je pense qu’à la base le couple doit être négocié. Si les mentalités évoluent vers votre vision du couple, alors le problème ne se posera plus.
Bien dit.
« Toutefois, si la fille ressent réellement de la détresse à l’idée que son homme soit libre de manger de la viande, même si cette liberté est légitime, on ne peut pas non plus nier la réalité de son ressenti et lui demander de faire semblant qu’elle ne souffre pas. Ainsi, même si sa douleur vient d’elle-même et donc même si ce n’est pas la faute de son mec, elle est entièrement libre de le quitter à cause d’une cuisse de poulet et de choisir de ne se remettre en couple qu’avec un vegan pur et dur. »
C’est là qu’à mon avis le raisonnement montre sa faiblesse : un choix n’est pas libre s’il est pris sur la base d’une information fausse. C’est la base de la manipulation : présenter la réalité de façon déformée (« je ne mange plus de viande ») dans le but de faire prendre à quelqu’un une décision qu’il n’aurait pas prise autrement (« cette relation est conforme à mes attentes et je souhaite donc qu’elle se poursuive »), pour en final en tirer profit (« on reste ensemble alors que sans ça tu me quitterais »).
Dans la communauté polyamoureuse on prône souvent la communication ouverte et l’honnêté, il me semble que dans le cas que tu présentes, une personne a exprimé clairement ses limites, et l’autre, plutôt que d’adopter une attitude honnête et des les refuser puisqu’elles ne lui convenaient pas, a fait mine de les accepter pour les contourner en cachette et en tirer profit. Si on devait distribuer des mauvais points sur les critères de la communication et de l’honnêteté, à mon sens ce serait plutôt à cette deuxième personne.
Si on trouve qu’une condition n’est pas légitime, pourquoi l’accepter ?
Se demander « où est la légitimité ? » dans ce sens relève pour moi de la rationalisation. L’autre a fait un choix de vie qui ne nous arrange pas alors on se dit qu’on va reréfléchir les choses à sa place, on en conclut que le choix initial était mauvais (comme ça tombe bien !) et qu’on peut donc l’ignorer sans remord. Mais bien sûr on ne va pas l’assumer ouvertement, parce qu’alors on perdrait tout l’intérêt de l’opération.
Et pour justifier tout ça on inventera une condition, du genre « tant que ça n’a concrètement aucun impact sur la vie de l’autre, c’est bon j’ai le droit de mentir ». En plus d’être complètement arbitraire, cette condition est assez floue pour pouvoir être validée dans à peu près n’importe quel cas. On peut dès lors justifier n’importe quoi. Ainsi, c’est toi même qui qui nous sert l’exemple, torturer des chatons ou incendier un bar gay (tant que la personne n’est pas dans ledit bar gay) devient totalement légitime. Etre sadique, homophobe ou pyromane est tout à coup quelque chose de tellement insignifiant que ça ne devrait plus entrer en ligne de compte dans le choix d’un partenaire, que ça n’a même pas lieu d’être mentionné. Ah bon. Si tout cela n’est pas légitime, alors qu’est-ce qui l’est, au juste ?
Chacun a les exigeances qu’il veut concernant ses partenaires. Il y a longtemps, quelqu’un qui exigerait de son partenaire qu’il ne mange pas de viande m’aurait paru extrêmiste. Aujourd’hui plus du tout. Il y a longtemps, quelqu’un qui exigerait que de son partenaire qu’il soit de la même religion que lui m’aurait paru absurde, et aujourd’hui c’est toujours autant le cas. Il n’y a rien d’absolu là-dedans, il y a une grande part de subjectivité et il n’y a aucun problème à ce que tout le monde n’ait pas les mêmes choix de vie. Dès lors ça n’a pas de sens de décréter que certains choix sont illégitimes. Décréter cela c’est simplement essayer de coller son propre schéma de pensée sur le reste du monde.
En affichant chacun ouvertement ses préférences, désirs et limites, on facilite grandement ses chances de trouver des personnes qui nous correspondent.
Si au contraire on part du principe que nos attentes, désirs et limites n’ont aucune valeur et peuvent être balayées d’un revers de main et ignorées parce que jugées « pas légitimes » selon une analyse soumise à la subjectivité de chacun (parce que forcément ça marche dans les deux sens, si on se sent habilité à juger illégitimes les attentes des autres, cela implique que les autres ont le même droit nous concernant), alors au fond plus rien n’a d’importance, à quoi bon ?
Je pense qu’on oublie une dimension importante du problème : le temps. Certains contrats n’ont pas de valeur juridique si ils ne sont pas explicitement limités dans le temps. Mais parmi les relations amoureuses ou sexuelles, le couple semble avoir un statut spécial,qui le dispense de prévoir la moindre remise en cause ultérieure du contrat. On s’aime maintenant, tels qu’on est, donc pour s’aimer toujours on ne devra pas trop changer. Sérieusement ?