Mariage, divorce, code civil : fidélité vs loyauté

Dans le code civil, il est écrit que les époux se doivent fidélité (et assistance mutuelle). Mais le code civil ne définit pas ce qui est entendu par fidélité. En particulier, il ne dit pas si sucer c’est tromper. Et moi je dis que si c’était pas exprès, c’était quand même bien vu.

Un flou sémantique de bon aloi

Je soupçonne en fait le législateur d’avoir intentionnellement évité la question parce qu’elle n’était pas très confortable. On parle d’une époque où l’adultère féminin était passible d’emprisonnement, quand l’adultère masculin, ben pas (et même genre pas du tout s’il n’était pas pratiqué au domicile conjugal). En gros, la fidélité n’avait pas le même sens pour l’époux et pour l’épouse : pour lui, il s’agissait d’un devoir de loyauté, et il serait modérément inquiété s’il faisait ses petites affaires discrètement ; pour elle, il s’agissait en plus d’exclusivité sexuelle, et elle serait jetée à la rue si elle osait coucher ailleurs. On ne pouvait pas décemment écrire ça noir sur blanc dans le code civil.

Le mot fidélité était donc bien trouvé puisqu’il pouvait assez facilement s’interpréter de deux manières : au sens large de la loyauté ; au sens strict de l’exclusivité sexuelle : la jurisprudence se chargerait de faire le tri entre les maris égarés et les épouses criminelles.

Deux tendances opposées

Avance rapide jusqu’en 2016 : ce qui est très intéressant, c’est de voir les trajectoires divergentes qu’ont pris la jurisprudence d’un côté et les références culturelles de l’autre.

Sur ces dernières décennies, le droit est allé de plus en plus dans le sens d’interpréter la fidélité au sens de la loyauté ; l’infidélité sexuelle est de moins en moins souvent considérée comme motif de torts exclusifs en cas de divorce, en tout cas pas sans circonstances aggravantes (du genre humiliation publique, intention de nuire, etc.). La personne trompée peut bien sûr demander le divorce mais quasiment au même titre que si on n’arrivait pas à s’entendre sur le fait d’avoir ou non des enfants, par exemple.

Notons que même s’il y a éventuellement faute, cela ne change en général pas la question d’une prestation compensatoire. Même si c’est Madame qui est allée voir ailleurs et que Monsieur décide qu’il ne peut pas pardonner ou qu’il ne peut plus vivre avec elle, son devoir de loyauté l’oblige à compenser le différentiel de revenu pour que le divorce ne laisse pas Madame sur la paille (et inversement si c’est Madame qui gagnait beaucoup plus). Les questions de garde ne sont pas non plus directement assujetties à la fidélité sexuelle.

Et donc au niveau du droit, on est en train d’assister progressivement à un glissement de l’interprétation du mot « fidélité » vers le sens de la loyauté : la société civile a raison d’insister pour que les époux se soutiennent et puissent compter l’un sur l’autre — et pour que chacun-e puisse partir sans se sentir piégé-e ; mais le sens de l’histoire (cf. le mariage entre personnes de même sexe), c’est qu’elle se fiche de plus en plus de ce qu’on fait de nos miches — et c’est carrément tant mieux.

A l’inverse, du côté des postures culturelles mainstream, on a l’impression que le jugement collectif autour de l’adultère s’est passablement crispé. L’époque des frasques pardonnables chères aux Vaudeville et à notre royauté est bel et bien révolue. Et même si l’on sent frémir une liberté de parole autour du couple libre, du libertinage ou du polyamour, ça va presque dans le sens de renforcer l’intransigeance de la réaction en cas d’infidélité, dès lors que le contrat n’était pas explicitement non-exclusif.

(A noter que ce n’est pas le seul sujet de société où l’exercice du droit est finalement en avance sur les mentalités, par simple application des principes fondamentaux des droits humains et de cohérence dans le raisonnement. L’exemple du mariage pour tous dans des pays où on ne l’attendait pas du tout (Espagne, Irlande, USA, Brésil, Argentine, Afrique du Sud) en est un autre. Et l’exemple de la peine de mort est assez frappant à cet égard, en particulier quand on voit son traitement dans les films de justiciers.)

Plus de pitié pour Emma Bovary

Je soupçonne deux origines à cette crispation culturelle.

La première serait exogène : c’est la mentalité puritaine outre-atlantique qui déteint sur nos codes sociaux, par l’ampleur de la pénétration des productions cinématographiques ou télévisuelles américaines ; c’est peut-être aussi les traditions méditerranéennes plus patriarcales et religieuses qui finissent par percoler dans la culture française à travers les enrichissements successifs au XXe siècle (d’Italie, d’Espagne, de Portugal, d’Afrique du Nord).

La deuxième serait endogène, et je la crois plus importante. Je pense que dans l’inconscient collectif, l’adultère a systématiquement été considéré soit comme un acte de pure méchanceté, soit comme une échappatoire quand on était enfermé-e dans un couple sans possibilité de se séparer, le cas d’Emma Bovary étant l’archétype littéraire. En gros, l’extra-conjugalité n’était pardonnable que parce que c’était la conséquence de l’impossibilité de divorcer, associée à la tradition des mariages arrangés. Et donc par retour de bâton, plus on se marie par amour, plus c’est facile de se séparer (et aussi dans une moindre mesure plus c’est possible de choisir explicitement un arrangement non-exclusif), et plus l’infidélité devient impardonnable.

En gros, l’existence de voies honorables de sortie amène une posture de zéro tolérance à l’égard de celles et ceux qui continuent d’emprunter les chemins de traverse. Avec derrière tout ça l’idée que toute violation de l’engagement d’exclusivité est un acte conscient et délibéré, voire pathologique, et qu’il faut brandir toujours plus fort la menace de la lapidation pour s’en protéger.

La suite

Je ne pense pas que cette divergence idéologique entre les mentalités et le droit puisse perdurer éternellement. Déjà, j’imagine qu’il doit y avoir des tas d’époux trompés (des deux sexes) qui tombent de très haut au premier rendez-vous avec leur avocat-e, quand ils comprennent que le divorce ne va pas être cette arme de vengeance absolue avec laquelle ils comptaient hacher menu leur moitié infidèle.

Alors soit on va voir les mentalités se détendre et se mettre à nouveau à considérer l’adultère comme un accident de parcours normal que les couples doivent savoir affronter s’ils veulent durer (genre Bill et Hillary Clinton) ; soit on va voir des jeunes mariés déçus par le laxisme de la loi se mettre à rédiger des contrats de mariage bien plus précis et restrictifs que le code civil et tenter de trouver un notaire qui voudra bien les valider (y compris l’article 12.7 sur le fait que sucer c’est tromper et que ça coûte la moitié de la baraque et la vaisselle de grand-mère.)

12 réponses à “Mariage, divorce, code civil : fidélité vs loyauté

  1. la fidelité vaste sujet !!!
    ou commence t elle ou finit elle?
    un regard d ‘envie n est il pas une entorse a la fidelité ?
    avoir des rapports sexuels avec un autre partenaire n ’empeche pas d aimer son conjoint !!!!

  2. Dès le départ pour le mariage je n’ai pas promis l’exclusivité sexuelle, simplement parce que dans mes principes je ne fais que des promesses que je tiens et que vu notre passé « relationnel », il me semblait impossible qu’il ne se passe pas des choses différentes de ce que l’on pouvait imaginer. L’avenir m’a donné raison, juste pas tout à fait dans le sens le plus imaginé et prévisible^^
    Sur le fait de mariage « d’amour », je te rejoins sur le fait que ça en devient en fait encore plus incertain, les contrats financiers, immobiliers ou d’affaires sont plus « prévisibles » et organisables que des sentiments humains.

    • les promesses !! je n ai pas reflechis a cela il y a 45 ans ! et quand j ai fait ma promesse j etais sincere ! je ne m imaginais pas infidele !

      • C’est normal que personne ne s’imagine être infidèle au départ : en plus d’être obnubilé-e par la passion du début, on se représente tous l’infidélité comme quelque chose d’anormal ou de pathologique. Les comportements anormaux, c’est toujours pour les autres. Donc on ne se sent jamais concerné-e.

      • Il y a nous et les autres
        Nousnoussaurons tenir
        Nous serons fideles
        Les autres non
        Mais nous n avions pas envisage que nous changerions
        Et que rien ne nous empechera de vivre ce ui tente

      • Je me souviens, à 26 ans, j’engageais ma 2e « grande » relation (c’est à dire : je m’apprêtais à vivre avec une femme dont j’étais amoureux), j’avais une bien faible expérience des couples longues durée (ma précédente relation avait duré 2 ans, sans infidélité – pour moi – ce qui ne veut pas dire sans tentation d’infidélité), et j’ai dit à ma partenaire dont j’étais raide-dingue amoureux que « je ne m’imaginais pas fidèle à tout jamais ».
        Γνῶθι σεαυτόν, en quelque sorte 😉

      • C’est courageux. Cela dit, il n’y a pas forcément besoin de beaucoup se connaître pour pouvoir dire ça : il suffit de regarder les statistiques pour savoir que ça n’arrive pas qu’aux autres. Donc la position rationnelle consisterait à s’avouer qu’on n’est probablement pas exceptionnel-le et que donc l’infidélité est une éventualité (et la tentation d’icelle une évidence).

  3. bonjour,
    Je retrouve des traces de mes articles dans le votre, ce serait bien de citer vos sources et rendre hommage à ceux qui vous inspirent…
    cordialement
    Olivia Chalus Pénochet

    • Je viens de lire votre article ‘infidélité et mariage’… pour la première fois. Je n’ai pas le souvenir d’avoir trouvé de l’inspiration ni dans cet article (fort intéressant au demeurant et effectivement très similaire dans son message). Cela vous semble-t-il si extravagant que je sois arrivé (par mon parcours de mari cocu) aux mêmes conclusions que vous ?

  4. Merci pour votre site qui permet de découvrir une autre approche du couple.
    J’ai été confronté a l’adultère.
    Je crois, pour moi, que le problème se situe plus dans la perte de confiance que dans une perte de propriété de l’autre.
    Et je pense que plus la société sera ouverte au polyamour, aux couples libres, moins elle pardonnera aux tricheurs. Car après tout, si cela devient si simple et facile de rompre le couple pour toujours ou pour une nuit, il n’y a plus de raisons de le faire en cachette.
    L’adultere étant pour moi plus de la lâcheté que l’expression de sa propre liberté.
    Le couple c’est une histoire de confiance en l’autre et en soi. Si l’autre ment et triche comment conserver cette relation.

    • Ca ne sera jamais simple et les choses de l’intime sont parfois si difficile à dire à quelqu’un qu’on aime qu’il restera toujours du mensonge. De la même manière qu’un ado à qui l’on dit « mon loulou, je t’aime, tu sais que tu peux tout me dire » sait très bien qu’il y a un paquet de trucs que jamais il n’avouera à son daron, malgré tout l’amour et la confiance qui peut exister, de même il restera des choses qu’on ne pourra pas partager entre amoureux, même dans le couple le plus libre et le plus communicant (en tout cas, j’en suis convaincu). C’est pourquoi je pense que la confiance, la liberté, le respect, ne doivent pas passer par une attente de transparence mais par une attente de bienveillance.

      • La part de l intime du jardin secret doit etre respectee
        N est ce pas ce mystere de l autre cette partie jamais devoilee qui plait tant et attire .LaLiberte de l autre est dans cette partie secrete adultere ou pas elle nous appartient

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