Sacralisation du sexe vs prosélytisme BDSM

Traduction maison d’un article qui fait écho à l’un de mes axiomes. Il est écrit par girlonthenet, une bloggeuse sexe grand-bretonne qui mêle dans ses pages des récits érotiques (très crus) autobiographiques ou fictifs avec de belles analyses sur la sexualité en général.

Un ostensoir qui fait grille-pain

Un grille-pain mais qui fait aussi ostensoir, si jamais…

Abordons la question de la sacralisation du sexe, en commençant par une savoureuse métaphore autour du pain grillé.

Je ne crois pas que le pain soit quelque chose de sacré. Mais je n’empêche personne de le croire. Par exemple, certain-e-s d’entre vous pratiquent peut-être ce machin dans les églises, où l’on s’incline à l’autel et où le prêtre nous donne soit littéralement le corps du Christ, soit quelque chose qui s’en rapproche suffisamment pour qu’il soit sacrilège de vouloir le passer au grille-pain. Si je me souviens des cours d’éducation religieuse, il y a aussi des trucs assez cool avec du pain sacré dans le judaïsme. Ou bien si vous observez le Ramadan et que vous mangez du pain pendant la rupture du jeûne, et bien vous pouvez vous émerveiller de ce que Dieu fait/est/signifie pour vous, et profiter d’un agréable moment contemplatif.

Mais pour moi, le pain n’entre pas dans un rite religieux — je me contente de le faire griller, de le beurrer, puis de le manger debout dans la cuisine.

Et en gros, c’est la même chose pour le sexe.

Hier, un ami m’a transféré un message dans lequel l’expéditeur évoquait la magie — la sainteté — du sexe. Il ne s’agissait d’aucune religion en particulier mais il brassait de nombreux concepts spirituels : la communion des âmes, le pouvoir de guérison de deux personnes, la ‘connexion’, la ‘pureté authentique’ et quelques autres mots-clé à la mode.

Pourquoi ça me fascine

Je trouve ce genre de choses totalement fascinant, principalement parce que c’est tellement loin de mon expérience personnelle que c’est un peu comme de visiter un pays étranger : similaire mais différent. Là-bas comme ici, les gens s’achètent à manger, mais ils font leurs emplettes au marché plutôt que dans une grande surface. Ils ont leur façon unique de se dire bonjour ou de s’habiller. Et même si je n’ai pas tellement envie d’adopter instantanément toutes leurs coutumes à ma descente d’avion, je trouve ça sympa de m’asseoir à la terrasse d’un café et d’observer pour en apprendre un peu plus.

Lors d’une conférence Eroticon il y a quelques années, je suis allée à un atelier sur le sexe et la spiritualité. Comme c’était un atelier d’écriture, les participants s’attachaient à capturer cette notion de sacré dans le sexe quand ils écrivaient des textes érotiques. Et je me souviens de longues discussions pour tenter d’expliquer la nature de ces sensations — le sexe ressenti comme ‘guérison’, ou bien la ‘connexion intense’ entre deux personnes qui se sentaient spirituellement entrelacées.

Ça ne m’a pas parlé du tout mais c’était rigolo à entendre. De la même manière que j’aime bien écouter quelqu’un me parler de son fantasme même si je ne le partage pas, ou bien d’un film qu’il a surkiffé : ça me donne l’occasion de goûter un peu à quelque chose de nouveau, à travers les yeux d’une autre personne.

Pourquoi ça peut devenir problématique

Ce qui est ennuyeux, c’est qu’un grand nombre de ceux qui voient le sexe comme quelque chose de sacré considèrent qu’il ne peut pas en être autrement. Puisque pour eux le sexe est une connexion intense entre deux personnes (et je précise ‘deux’ personnes délibérément puisque c’est le nombre généralement invoqué bien qu’il soit possible d’avoir des expériences très belles en groupe ou bien tout seul), alors ça devrait être pareil pour tout le monde.

Et donc dans le message que mon pote m’avait transféré, il y avait un passage qui disait en substance :

“Si on comprenait pleinement le pouvoir de l’énergie sexuelle, on arrêterait d’avoir des aventures légères.”

Ce qui n’est que foutaise. La même foutaise que si moi je disais :

“Si on comprenait pleinement à quel point les plans d’un soir peuvent être réjouissants, on arrêterait d’insister sur l’intimité émotionnelle. »

Et de même que certains choisiront de ne jamais goûter le plaisir d’une séance de baise crapuleuse avec un inconnu, de même certains autres ne ‘comprendront’ jamais cette sensation de communion spirituelle intense et profonde dont parlent les fans du sexe sacré.

En tout cas je crois que ça ne m’est jamais arrivé.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit — il m’est arrivé d’avoir des sentiments forts pour quelqu’un. J’ai tressailli de désir, j’ai été désespérément amoureuse, et j’ai parfois ressenti une vague de bonheur intense me traverser quand un mec pour qui j’éprouve ces sentiments pose sa main sans ménagement sur mon sein. Mais je ne crois jamais avoir ressenti quelque chose de l’ordre du spirituel. Rien ne tout cela ne m’a évoqué une entité supérieure : ça se passe à l’intérieur de moi, bien plus bas.

Les évangélistes du sexe

Tous ceux et celles qui aiment le sexe adoptent des postures plus ou moins prosélytes en faveur du genre de sexe qu’ils/elles préfèrent. Je plaide coupable de mon côté, surtout quand j’ai commencé à écrire ce blog. J’ai écrit des articles où je disais combien je détestais l’idée de ‘faire l’amour’, et d’autres où je disais que tout le monde devrait aimer les fessées ; ou bien pourquoi les mecs devraient baiser exactement de la manière que moi j’aimais, ou enfin que tout le monde devrait essayer les genres de fantasmes qui me parlent parce que je les trouve objectivement plus excitants.

Dans la communauté BDSM, il traîne un acronyme, probablement inventé par quelqu’un avec un penchant pervers pour les sigles à rallonge : YKINMKBYKIOK (Your Kink Is Not My Kink But Your Kink Is OK). (NdT : littéralement ‘ton fantasme n’est pas mon fantasme mais je ne le juge pas’, ou bien tout simplement « chacun son truc »). J’imagine que l’expression a été proposée après de trop nombreuses discussions dans lesquelles l’un-e ou l’autre essayait vainement d’expliquer à tout le monde en quoi son truc était la meilleure et la seule façon de jouir, cependant que les autres n’en pouvaient plus de lever les yeux au ciel.

Et donc de la même manière qu’aucun fantasme ou aucune pratique BDSM particulière (coucher avec un-e inconnu-e, se barbouiller de nutella et de chantilly, câliner avec des ours en peluche, que sais-je encore) ne sera susceptible de faire tripper tout le monde, de même la notion de sacré dans le sexe ne convient pas à tous. Si vous parvenez à une forme de communion intime et spirituelle à travers le sexe, tant mieux pour vous. Et ça ne me viendrait pas à l’idée de me pointer dans votre chambre pour vous dire de faire ça moins solennellement, pas plus que de venir troubler l’office du dimanche à ma paroisse pour leur expliquer comment on doit manger le pain.

Et donc je vous en prie, trouvez votre bonheur dans votre intimité spirituelle et par la signification profonde du lien qui vous unit quand vous baisez, mais tâchez de ne pas partir en croisade comme s’il ne pouvait y avoir d’autres façons de vivre le sexe. Je comprend qu’il soit quasi impossible de demander à quelqu’un d’ultra-religieux d’éviter de faire du prosélytisme — il/elle croit sincèrement œuvrer au salut de nos âmes. Mais si vous vous contentez de ressentir des élans spirituels quand vous couchez ensemble, sans appartenance religieuse directe, alors merci d’éviter le prosélytisme à outrance.

D’ailleurs, si le caractère sacré de la sexualité vous semble si évident, c’est peut-être parce que depuis des siècles la question sexuelle a été jumelée à la morale, en insistant que l’acte sexuel était moralement plus acceptable quand il s’accompagnait du sentiment amoureux que quand il s’agissait purement de plaisir physique. Les croyants purs et durs resteront convaincus. Mais ceux et celles d’entre vous qui aspirent à une forme de spiritualité sans nécessairement pratiquer de religion pourront — je l’espère — faire preuve de tolérance. Et comprendre que pour certain-e-s, devoir envisager le sexe comme quelque chose de sacré ait un puissant effet inhibiteur. En particulier pour moi. Et ce n’est pas une chose que j’ai besoin d’apprendre à aimer, ou bien à laquelle il me faille ouvrir mon cœur : c’est plutôt juste comme une pratique BDSM qui ne me parle pas. Mais genre pas du tout.

Et donc je n’ai pas davantage besoin de spiritualité dans mon lit que les catholiques d’un grille-pain à la messe.

10 réponses à “Sacralisation du sexe vs prosélytisme BDSM

    • Amen Ou merde.

      Ça me fait chier car c’est mon éducation. Puis c’était cohérent quand on regarde tout ces coeurs brisés chez les fornicateurs-trices, et les païens même les Chinois-es. Mais cette exigence de sacré de perfection c’est quand même lourd.

      • j’ai peur de comprendre de travers la référence aux païens et aux chinois – vous pouvez compléter ?

  1. Merci, oui, chacun fait comme il le sent, bien-sûr.
    Je me demandais juste si tu ne confonds pas spiritualité et religiosité dogmatisme.
    Je me permets de te témoigner de ma propre expérience. Allez, yessss
    Il y a quelques temps de cela, j’ai proposé à mon ex la relation libre (idée venue en lisant tes articles)… échec… manque de garde-fou….bref
    Je disais toujours que je faisais du sexe, comme une activité de loisir et je m’y suis adonner corps et ….
    Je précise que la vie m’a donné l’empathie à profusion; en clair, je peux ressentir les émotions des autres et les énergies (le Qi, dont parle les chinois depuis des millénaires, hihihi )
    Et puis j’ai rencontré un homme qui m’a fait ressentir la spiritualité, rhooo… en gros, je me suis mise à écouter mes sensations, (les siennes aussi du coup,hihihi ), avec une attention à chaque instant (c’était chiant au début, j’avoue )
    J’ai ressenti des vagues de plaisir envahir tout mon corps ; c’était comme jouir mais en mieux puisque tout mon corps en profitait, je me sentais joyeuse, légère… et je faisais l’amour comme jamais auparavant !
    Alors j’ai compris ce qui n’était pas vraiment juste dans ma sexualité, car aujourd’hui, le mot sensualité me convient mieux.
    Ce qui va suivre utilise des mots qui pourront choquer les âmes sensibles à la dite spiritualité (dont on se fait une imaaaage erronée)
    En tant que femme, je suis un espace dans lequel l’homme peut entrer. Ben d’abord, la porte ne s’ouvre pas en quelques secondes avec un lubrifiant qui écarte le réel ressenti.
    Elle s’ouvre quand l’homme, rempli de bienveillance, avec le seul objectif mon bien-être, ainsi qu’une bonne connaissance anatomique (non, le clitoris n’est pas que la p’tite boule qui dépasse de son fourreau, c’est juste son gland et notre clito est aussi grand que la plupart de vos attributs virils !
    Ben ouais !! ), découvre que la porte s’ouvre à lui. Alors, il se sens honoré de ce «privilège» (côté sacré ! ) il entre avec curiosité et honneur. Et même si cet homme à des années d’expériences sexuelles, il sera à l’écoute de ce sexe qui l’emmitoufle, et une danse comme, à l’écoute des deux sexes, les laissant «vibrer» ensemble… la jouissance (l’ejaculation …) n’est pas un but en soit…
    Pour moi, j’y trouve bien plus en intensité ( le regard permanent yeux dans les yeux, d’âme à âme y contribue ), l’attention et l’intention bienveillante en sont la base.
    Je ressens l’amour à travers mon corps, c’est une énergie, pas un sentiment… et quand mon partenaire à envie de contribuer à faire circuler cette énergie, les corps se rapproche nt et dansent ensemble sans que nous y mettions ni volonté, ni excitation.
    Voilà, brièvement mon expérience dans mon changement de point de vue, je dirais même, point de ressenti à propos de la sexsensualité
    Merci pour vos articles qui «secoue le cocotier» pour permettre plus de liberté …
    (Lien qui me tiens à coeur, «Au-delà des écrans», un homme )
    Merciiiiiiii, love

    • Personnellement, je ne confonds rien du tout : je traduis.
      Après, merci du témoignage.
      Je reste cependant un peu gêné par ce que vous écrivez, non pas par ce qu’il transparaît de spiritualité mais par le côté hétéronormatif (sexes complémentaires, etc.) Je crois sincèrement que deux femmes, deux hommes, voire toute combinaison de n personnes et quelle que soit leur identité sexuelle et de genre pourraient ressentir des choses fortes et à caractère semi-mystique (ou sacré, ou transcendant, selon l’ancrage spirituel de chacun-e) sans qu’il y ait besoin de ramener à ‘une femme + un homme’ (mais je comprends que c’est votre vécu à vous, et ça on ne peut pas vous le reprocher).

    • Très bel éloge d’un épanouissement « hétéronormatif » (ouh, la vilaine!) Tout un chacun avait compris que ce témoignage personnel peut se conjuguer à tous les genres…

    • Merci Isazen ! Je rejoins à 200% Même expérience et en tant qu’homme… qui m’a permis de comprendre plus de choses sur ce qui peut se jouer chez une femme en termes d’énergie et d’émotions quand elle fait l’amour lorsqu’elle ouvre son coeur. Et m’a permis de comprendre ces mêmes choses côté homme… et avoir accès à travers cette ouverture émotionnelle et énergétique à une sexualité masculine dont je n’avais jamais entendu parler… L’orgasme sans éjaculation, les orgasmes multiples, etc, c’est pas spirituel c’est très réel 🙂

      Et pour te répondre Audren ces énergies là peuvent bien sûr se vivre homme à homme et femme à femme, mais moi je n’aime pas trop être traité de « normatif » sous prétexte que je suis hétéro… désolé je suis comme ça il faut m’accepter ainsi… 😉 D’ailleurs quand on s’aventure sur ces terrains-là on réalise avec grande surprise que les énergies sexuelles masculine et féminine sont bien plus proches que ce qu’on croit…

      Appeler ça « sacré », « spirituel »… ou pas… honnêtement je m’en fous. Et je trouve dommage que l’auteure de cet article s’arrête finalement sur des mots qui « l’inhibent » comme elle dit et n’aille pas vraiment voir ce qu’il y a derrière.

      En fait ce qui me gêne le plus c’est qu’elle associe spiritualité à « entité supérieure », « morale » et « sentiment amoureux » alors que ça n’a strictement rien à voir, et à ce titre son dernier paragraphe ramène malheureusement tout son article à un nouveau bel exemple de qqun qui parle de qqchose qu’elle ne connaît pas… et sur lequel elle projette ses propres peurs… mais bon, je peux me tromper bien sûr 🙂 Perso le BDSM c’est pas du tout mon truc, je tolère et je respecte à fond, je crois même que les gens qui aiment ça peuvent vivre des trucs vraiment super… mais du coup je m’abstiendrai d’écrire un article pour dire (quand même, entre les lignes) en quoi ça me gêne…

      Le pire c’est quand même : « si vous vous contentez de ressentir des élans spirituels quand vous couchez ensemble »… là je rigole doucement désolé, mais moi parfois je peux me contenter d’être dans l’excitation, le jeu libre et sans limite, le désir, le sentiment amoureux très fort, et c’est super, et je trouve génial que des gens « se contentent » de ça, je tolère, je ne juge pas, etc, etc, mais parfois (souvent en fait…) elle et moi (…) nous allons au-delà… et nous on adore ça, et sur le moment on se fout éperdument d’appeler ça « sacré », « connexion » ou pas. On le vit et c’est tout. Et j’ai pas envie que qqun vienne me donner des leçons de tolérance parce que j’ai eu le malheur de prononcer un mot « tabou » pour lui/elle… 😉

      C’est rare Audren que je n’aime pas un article que tu publies, c’est rassurant de voir qu’on peut avoir aussi parfois des regard différents 🙂 Merci en tous cas pour ce partage !

  2. Très intéressant comme toujours.
    Possible que la sacralisation du sexe naisse d’un besoin de déculpabiliser en investissant l’acte d’exagération symbolique, un effet secondaire de la tension entre morale populaire et exigences sensuelles ?

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