La preuve qu’on reste toujours deux

Parce que je suis en plein dedans et parce que le constat m’a bondi aux yeux : c’est en partageant la bibliothèque au moment de se séparer qu’on a la preuve absolument irréfutable que malgré tout ce qui nous pousse à croire qu’un couple ne fait qu’un, on est bien toujours deux.

Lectrices de concert (ref. photo par secoramoondragon sur deviantart.com)

Lectrices de concert (ref. photo par secoramoondragon sur deviantart.com)

A toi les livres sur les médecines douces
A moi les bouquins de cuisine et de dessin
A toi Pennac et Anna Gavalda
A moi Tolkien et Michael Connelly
A toi l’informatique
A moi le graphisme et la typographie

Et à part quelque beau livre à caractère sentimental offert à nous deux, le partage ne soulève aucune hésitation, comme si mes livres avaient toujours été peints en vert et les tiens en orange malgré l’intime mélange alphabétique (et la couche uniforme de poussière). Et dans la chronologie, pas non plus la moindre démarcation ni tendance qui témoignerait d’un début à l’unisson suivi d’un éloignement progressif : pour les livres achetés dans nos cinq premières années ensemble, c’est tout aussi facile de décider qui prend quoi que pour les acquisitions plus récentes.

Peut-être que parmi les personnes qui me liront, certaines auront en tête des contre-exemples criants mais je suis prêt à parier qu’il y en aura bien davantage, séparés ou encore ensemble pour de longues années, qui seront en train d’opiner silencieusement du bonnet, en jetant à leur bibliothèque un œil curieux, inquiet ou amusé.

Car non seulement le partage entre les intéressé-e-s est sans équivoque, mais en plus de nombreux observateurs extérieurs peuvent même deviner le partage à leur place, quand ils les connaissent un peu. Chez nos frères et sœurs, chez nos amis, chez nos parents, on fait presque le tri inconsciemment en parcourant des yeux les tranches bariolées des volumes alignés. (D’ailleurs au passage, on peut aussi remarquer que quand on veut offrir un livre, c’est généralement impossible d’en trouver un qui plaira à deux personnes.)

Chez mes parents, c’est encore plus facile : d’aussi loin que je m’en souvienne ils ont carrément fait bibliothèque à part. Ils sont pourtant d’une génération où l’on a fait absolument tout à deux, à la croisée des chemins entre les représentations romantique, égalitaire et chrétienne du couple. Et si dans la bouche des amis et de la famille les deux prénoms se retrouvaient le plus souvent prononcés accolés, comme si chacun avait perdu son identité propre dans le creuset du mariage, il aurait été totalement incongru de vouloir désigner leurs livres comme « les livres de Philippe et Marie ». Il y avait évidemment ceux de Philippe, ici, et ceux de Marie, là.

On est deux, et on le reste

Sur ces objets si intimement attachés à notre personnalité, quand on voit que les préférences sont à ce point dissemblables et même carrément disjointes entre les deux moitiés d’un couple, ça veut bien dire que tout le bourrage de mou sur le thème « homme et femme ne feront qu’un » et autres rêves fusionnels à la Tristan et Iseut ne sont que poudre aux yeux : on est deux, et on le reste.

8 réponses à “La preuve qu’on reste toujours deux

  1. Chez moi c’est encore plus évidemment: mon compagnon est étranger. Bien que nous lisions parfois des ouvrages dans la langue de l’autre, une répartition selon la langue est évidente.
    Pour revenir à ton article, même dans le couple monogame « moderne » je pense que beaucoup savent que les deux personnes en couple sont…deux personnes.

    • On le ‘sait’, certes; mais je pense qu’il y a encore énormément de traces semi-conscientes d’un idéal culturel fusionnel (l’état amoureux étant un moteur fort de fusionnalité, et auquel les stéréotypes romantiques déroulent le tapis rouge) qui trouve son chemin dans toutes sortes de façons d’envisager le couple, de se comporter à deux, de se comporter chacun vis-à-vis des couples qu’on connaît.

      • Oh oui. Je ne dis pas que ça n’existe pas. J’ai des exemple autour de moi de couple dont les personnes qui les composent ne sortent pas l’un sans l’autre. Mais même si c’était l’idée il y a un certain temps, je pense que petit à petit ça change et que beaucoup de gens ayant un semblant de réflexion sur le couple savent que garder son espace et tout simplement sa personnalité, ses désirs en dehors du couple est en fait fondamental.

        Mon plus gros travail personnellement à ce sujet quand je rencontrais des couples ou quand je parlais des couples dont un était plus connu du groupe a été de ne pas utiliser « Le copain de/La copine de » et de rapidement passer au prénom.
        Donner une identité autre que celle du couple à une personne, ça n’a pas été si évident!

        Il y a sûrement encore beaucoup de couples qui fonctionnent selon l’idéal fusionnel effectivement bien relayés par un certain nombre de fictions « romantiques ».
        Mais autour de moi, dans la génération des nouveaux trentenaires, c’est quelque chose qu’on ‘sait’ mais aussi qui se vit.
        J’ai une personne de ma famille en couple avec quelqu’un qui n’est pas très indépendant, et quand pour des raisons professionnelles ils ont dus s’éloigner…ça a été terrible. Et bizarrement beaucoup de personnes de ma famille critiquaient ce manque manifeste d’indépendance, cette tendance à la fusion maladive qui n’était pas sain.
        Pourtant ce sont des personnes de 50-60 ans. Mais je crois que beaucoup se rendent compte que la fusion, c’est surtout l’effacement de sa personnalité.

        Bref tu as raison, mais il y a de l’espoir.

  2. Ce texte m’a beaucoup touché. Merci.
    Je suis très liée à mes livres et… après 10 ans de vie de couple un peu trop « une », j’apprends avec mon homme à être deux. Je pense que je regarderais ma bibliothèque différemment 😉

  3. Eh bien le voilà le contre-exemple 😉 en se séparant on a redistribué les livres (et les BD aah les BD…) et il a fallu racheter ceux qu’on n’avait pas en double… bien sûr certains restaient plutôt liés à l’un qu’à l’autre, mais plus du fait de l’usage que de l’achat.
    Bizarre de contempler sa bibliothèque ensuite, elle semble comme amputée d’une part d’elle-même.
    Aujourd’hui on se prête les livres qu’on lit, et on conseille ou on offre à l’autre les livres qu’on a aimés et qui lui plairaient, forcément. La preuve que même séparés il reste des endroits communs à nous deux. 🙂
    Créer de l’espace commun est peut-être l’inverse de la fusion, au final, et cela peut vivre quelle que soit la forme que prend la relation.

  4. Je me suis souvent dis cela. Ça marche aussi avec la musique.
    Et quelque part oui, j’avoue, c’est terrible de réaliser qu’on ne « vibre » que très rarement pour les mêmes choses. Parce qu’on est fondamentalement attirés par l’altérité, la différence. Et je suis persuadée que c’est cet écart-type avec l’autre qu’il s’agit de maintenir dans la durée… et qui nous retient tout naturellement auprès de lui/elle, quand la monogamie est choisie et non subie.

  5. En cours de séparation, nous n’avons eu aucun problème pour reprendre chacun nos livres, mais même l’ensemble des possessions meublant la maison : était comme gravée l’origine de chaque objet.
    « Ca c’était ton meuble, tu l’as apporté quand on a emménagé ensemble » ; « Ce truc c’est mes parents / mon frère / ma cousine qui nous l’ont offert, donc je le garde ».
    Et pour le (très) peu de bien achetés en commun, aucun soucis de répartition. Il y en avait si peu, et leur valeur sentimentale était nulle.
    A croire qu’on n’ait jamais fait UN.

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