« Ah, ben si maintenant on peut plus draguer/rigoler/badiner… » – je tente ici une réponse à ce genre de propos qu’on entend encore trop à chaque fois que des histoires de harcèlement sexuel ou de rue parviennent à franchir le mur du silence. Et quitte à décevoir les Hubert Bonisseur de la Bath de ce monde, je dis que tant que le rapport de pouvoir restera déséquilibré au détriment des femmes, (au travail ou dans la rue), la drague et l’innuendo sexuel devront rester confinés aux espaces et aux circonstances prévus à cet effet.
préambule auto-contradictoire
Dans ma liste (que je compte écrire bientôt) de ce qu’on peut faire pour l’avancement du schmilblick « en tant que mec [qui se pense] féministe », il y a « savoir écouter et fermer sa gueule quand les nanas ont enfin une chance de l’ouvrir ». Et aussi, « savoir que c’est des sujets casse-gueule quand on les vit seulement de l’extérieur et/ou quand on n’est pas suffisamment renseigné, donc ne pas s’étonner puis pleurnicher si on se fait pourrir parce qu’on n’a pas su suivre le précepte précédent ». Ça me fait deux bonnes raisons d’arrêter l’article ici.
Pour une fois, je déroge. Disons à ma décharge que je m’adresse surtout aux mecs et à tous ceux qui voudront bien leur faire passer le message.
le pouvoir se ressent surtout d’en bas
Il y a un truc dont on ne se rend pas compte quand on est dans une position de pouvoir : c’est justement à quel point on est dans une position de pouvoir.
Quand au boulot tu te fais vouvoyer par un-e stagiaire (surtout quand tu as à peine trois ans de plus), ça fait d’un coup bizarre et tu précises tout de suite en souriant : « ah non mais ici, on se tutoie, on est tous potes et puis surtout je ne vais pas te mordre ». Il n’en reste pas moins qu’un jour la cheffe viendra te demander comment ça se passe avec Julie-n, et qu’en trois mots tu peux entièrement biaiser l’éventualité ou la tournure d’un entretien d’embauche. Le déséquilibre de pouvoir est immense, et pourtant, seul-e le/la stagiaire le ressent. Moi-même, je me ressens comme amical, bienveillant, et surtout je sais que je n’ai pas changé depuis que j’étais stagiaire et que je ne ferais pas de mal à une mouche. Sauf que c’est pas marqué sur mon front.
Et ainsi, si je veux mieux appréhender ce que ça fait d’être le récipiendaire d’une remarque « taquine » ou d’un compliment « gentil » de ma part, il faut que j’oublie que ça vient de moi (que je connais bien et qui suis évidemment bienveillant), et qu’à la place, j’imagine ce que ça me ferait si c’était mon N+3 ou la responsable du personnel (que je ne connais pas bien et qui planchent sur le nouveau plan de réorg) qui me les faisaient.
Il se trouve que malheureusement, on vit dans un monde où les rapports de pouvoir sont déséquilibrés en faveur des mecs, mais comme les principaux intéressés ne s’en rendent pas compte, ils minimisent toujours la situation. Dans ce monde de mecs, les nanas sont un peu partout l’équivalent des stagiaires. Et les mecs s’étonnent quand on leur met le nez dans la réalité.
territoires inhospitaliers
Le milieu professionnel et l’espace public font partie des endroits les pires (au moins dans notre occident) quant à cet écart de pouvoir qui n’est ressenti principalement que d’un seul côté. Ce sont des territoires qui ont été faits par des mecs blancs, cis-, hétéro. Quand tu fais partie du groupe, tu ne t’en rends même pas compte. C’est juste infiniment plus confortable au quotidien pour toi que pour les autres. Malheureusement, tu ne peux pas te mettre facilement à la place des autres pour ressentir la différence.
Comment peut-on objectivement savoir que ces territoires sont faits pour nous (les mecs) et pas pour tout le monde ?
- D’abord, en écoutant les autres, et quand les témoignages sont en décalage avec notre ressenti personnel, en évitant de leur expliquer qu’elles en rajoutent, mais plutôt en se demandant d’où vient cet écart dans l’expérience subjective.
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Ensuite, objectivement, pour le cas des espaces publics, en voyant la réaction générale dans les médias ou les commentaires de comptoir en cas d’agression ou de viol : il y a toujours plein de voix pour dire « mais aussi, qu’est-ce qu’elle foutait à se balader là / à cette heure-là / habillée comme ça ? » – sous-entendu : ce n’est pas son territoire, elle ne peut y évoluer qu’en prenant des précautions particulières. Des remarques de ce genre, on ne m’en ferait à moi que si j’allais m’aventurer en zone de guerre ou en haute montagne en short, CQFD.
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En ce qui concerne le milieu professionnel, c’est encore plus facile à piger : tant que la moitié des chefs ne seront pas des nanas, pas besoin d’être un génie pour piger que les dés sont pipés.
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D’ailleurs, quand tu es un homme blanc cis hétéro et que tu galères dans ton poste ou que tu te plantes dans un projet difficile, il n’y aura personne pour faire remarquer que c’est parce que tu es un mec. Quand tu es une femme, ou quand tu es queer, ou quand tu fais partie d’un groupe racisé (et alors je te laisse imaginer le niveau +++ quand tu cumules), c’est évident pour tout le monde qu’il ne faut pas chercher ailleurs la raison de tes difficultés.
Pas besoin alors d’un niveau surhumain d’empathie pour comprendre que quand tu évolues dans un territoire inhospitalier voire hostile (pense à la savane tanzanienne sans fusil, à ton premier jour à Fleury-Mérogis pour fraude fiscale, ou juste à la cour des primaires quand tu étais en maternelle), tout devient vaguement déstabilisant ou carrément menaçant. Le rapport de pouvoir et l’impression de vulnérabilité accentuent l’impression de danger et paralysent la riposte.
Et donc toute remarque déplacée, quelque sincère, gentille ou inoffensive que la juge son émetteur, sera ressentie comme une agression. C’est tout.
Ah ben donc on peut plus draguer ou faire de compliments ?
Ben non. Et on pouvait déjà pas avant, même si les nanas se taisaient plus souvent.
C’est pas que c’est devenu mal. C’était déjà mal. Et ça le restera tant que nos espaces ne seront pas strictement égalitaires. De la même manière que jusqu’à une époque pas si lointaine certains se permettaient de tutoyer les personnes de couleur dans la rue : c’était mal et on a décidé d’arrêter.
Donc le sourire insistant, le regard appuyé, le clin d’œil, et même le compliment sincère (sur la tenue, le physique, ou toute autre qualité présumée féminine, et qui n’a généralement rien à voir avec la compétence professionnelle), on s’en abstiendra et puis c’est tout. Je ne parle même pas des mains aux fesses et autres avances physiques, puisque d’abord tu n’es pas de ceux-là, et puisque ensuite, en vertu de l’image de ta première journée à Fleury-Mérogis que je viens de te mettre dans la tête, tu imagines maintenant un petit peu à quel point le geste serait contre-productif.
Idem dans la rue, car même si les rapports de pouvoir y sont parfois moins méchants qu’au boulot, chaque remarque, chaque sifflet admiratif, chaque requête lourdingue vient s’ajouter à la tonne de conneries et autres micro-agressions que la fille en question a subies depuis le matin, depuis lundi, depuis le 1er janvier, depuis qu’elle a treize ans…
En plus je pense que la proportion de belles histoires d’amour (ou de belles histoires de cul, ne soyons pas sectaires) ayant commencé par un compliment au boulot ou un « t’es trop bonne » dans la rue est suffisamment faible pour qu’on soit collectivement d’accord qu’on ne perdrait pas grand-chose…
Mais alors qu’est-ce qui reste, comme espaces de badinage entre inconnus ?
- les soirées,
- les bars,
- les boîtes de nuit,
- les amis d’amis,
- les sites de rencontre,
- facebook..
Donc en gros, il reste les espaces et les circonstances prévus à cet effet, plus égalitaires, et où se font déjà 99.99% des rencontres.
Et on pourra remettre de la drague et des allusions ambiguës dans la rue et au boulot quand ces espaces seront devenus totalement égalitaires, sans rapports de pouvoir genrés.
(Quant à la possibilité qu’un jour les attentions physiques non-sollicitées puissent devenir acceptables au boulot ou dans la rue, réfléchis juste à la question de savoir si tu aimerais que n’importe qui -pas juste les jolies filles, et pas seulement non plus Kevin Spacey- puisse te mettre la main au paquet ou se frotter contre ton jean dans le métro ou dans l’ascenseur.)
Ah, et en ce qui concerne cette exception culturelle de grivoiserie légère et décomplexée qui a toujours fait le charme de la France : on s’en cogne.
De la très bonne lecture ailleurs (et par des nanas)
Dans The Guardian, Sexual harassment 101 : une réponse point par point, didactique, à ce même genre de protestations.
Assez différent (mais passionnant en ces temps de récupération de causes féministes) la différence entre le féminisme (progressiste) et l’instrumentalisation de sujets féministes (pour servir des thèses conservatrices) : Feminism is not about women, it is about power imbalances
Épilogue (ajout du 7/11/2017) : le test imparable
Si après tout ça c’est toujours pas clair, twitter m’a donné un test imparable pour que n’importe quel mec puisse décider par lui-même si un mot ou un geste constitue du harcèlement ou non. La force du test est qu’il marche même en l’absence totale d’empathie ou de culture féministe, puisqu’il ne s’appuie strictement que sur une peur égoïste et des préjugés machistes. Il suffit de se demander :
« Est-ce que je ferais ça à la fille du grand chef ? »
Salut, l’article est pas mal mais bon y a un truc qui est faux : environ 30% des rencontres se font au travail ; un lien parmi d’autres : http://madame.lefigaro.fr/societe/amour-avec-un-collegue-44-des-salaries-francais-ne-seraient-pas-contre-070715-97375
Du coup “la proportion de belles histoires d’amour (ou de belles histoires de cul, ne soyons pas sectaires) ayant commencé par un compliment au boulot” n’est pas vraiment négligeable en fait.
Certes. J’avais un peu fait exprès d’omettre ce fait gênant. La question reste de savoir si les comportements initiaux qui ont suscité la rencontre auraient pu être perçus comme du harcèlement s’ils avaient été le fait d’un-e autre collègue, ou s’il s’agit dès l’abord de situations clairement consensuelles (voire égalitaires, on peut rêver). Dans le premier cas, c’est vraiment une épine dans le pied.
Justement n’est-il pas temps de leur faire entendre que leurs agissements en SONT PAS de la séduction ?
Ce qui contribue à entretenir la confusion me semble contre productif.
Peut-être aussi, tout simplement que les couples qui se forment en entreprise n’ont pas commencé par un compliment sur le physique …
J’entends mais ça reste gênant d’omettre un tiers de la réalité, ça décrédibilise le reste du propos, qui ne le mérite pas.
Par ailleurs ça sent un peu la fesse triste non, cette séduction censément égalitaire et consensuelle ? (J’ajouterais bien que les boîtes de nuit ne sont pas spécialement conçues comme un espace égalitaire mais plutôt que leurs gérants utilisent les filles comme appât à mecs pour que ceux-ci achètent de l’alcool – bref la réalité est encore bien complexe et le changement devra être systémique).
Je crois que vous omettez le fait qu’une bonne proportion des rencontres (responsable de belles histoires d’amour etc…) se font avec des gens que l’on fréquente.
Or une bonne proportion des gens que l’on fréquente sont des collègues de bureau.
Donc pas besoin de dire à un-e collègue qu’on le-la trouve particulièrement bien habillé-e aujourd’hui pour apprendre à le-la connaître et apprécier sa personnalité puis donner naissance à une belle histoire d’amour ( ou de cul ?).
Plus égalitaires les bars et les boites de nuit 😮 ? Je ne dirai pas ça. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de rapport hiérarchique qu’il n’y a pas de pression ni de rapport de pouvoir.
Ensuite, l’article passe à côté du point clé qui pose problème = les dragues lourdingues et le harcèlement n’ont RIEN à voir avec de la séduction.
Je pense sincèrement qu’aucun être humain au monde n’a le moindre problème avec la séduction. Mais dans les comportements que nous, les femmes, dénonçons, il n’est pas question de séduction !
Dans la séduction, il y a un rapport d’égal à égal. Il y a du respect pour la personne dans son ensemble (pas juste pour son corps, même si c’est pour un coup d’un soir).
Dans la drague lourdingue, la femme est juste un trophée dont le mec pourra se vanter (et encore pas sur !).
Sentir que le mec en face vous considère comme une personne à part entière – et ça ne veut pas dire discuter pendant des heures, juste qu’il vous considère comme un être humain, pas comme un bout de viande – ça change tout.
Il y a une façon simple de faire la différence : comment réagirez-vous à la réponse de la personne que vous cherchez à conquérir ?
Si votre estime ou votre respect pour elle augmentent – elle dit oui, vous la trouvez merveilleuse et vous demandez comment être à la hauteur ; elle dit non, vous admirez qu’elle sache ce qu’elle veut (ou n’importe quoi d’autre :-D) – c’est de la séduction.
Si votre estime ou votre respect pour elle diminuent – elle dit oui, vous êtes content sur le moment mais vous vous dites que c’est une salope tout juste bonne à tirer un coup ; elle dit non et vous vous demandez pour qui elle se prend pour vous refuser quelque chose – c’est de la drague lourdingue, voire de l’agression, dont nous ne voulons pas.
Bien d’accord. Le ton de l’article est délibérément ironique sur la confusion harcèlement/séduction parce que la rengaine des harceleurs, c’est bien de se cacher derrière la séduction pour justifier leurs agissements (ou leurs velleités d’agissements)
Effectivement on sent bien que vous vous mettez exprès du côté des harceleurs pour mieux démonter leurs arguments ou leurs plates fausses excuses.
Au delà du pouvoir qui rentre aussi en ligne de compte dans la séduction … que dites vous du fantasme de se faire séduire par son patron ou sa patronne … quid aussi des histoires d’amour qui débutent entre chef et employé, et oui ça existe … ou des histoires de sexe !
En tout cas Le harcèlement commence à mon sens réellement quand il y a répétition insistante malgré la manifestation claire que l’autre n’est pas intéressé et ouvert à la séduction.
Bien que nous devions partir de généralités pour établir des règles et entendre ces femmes qui à juste titre osent parler aujourd’hui, il n’en reste pas moins que chaque personne est différente et chaque situation et donc rencontre potentielle reste unique.
Qu’il doit être dur parfois d’être un homme dans notre société. Tantôt il vous sera reproché d’en faire trop, d’être macho et tantôt de manquer de courage dans la séduction
Ce n’est pas qu’une question de considérer l’autre comme un bout de viande. C’est comment on se sent soi quand un homme exprime un désir sexuel, comment on se sent dans son corps pour assumer que l’autre Le désire au delà de notre personnalité.
Le harcèlement commence quand l’autre est nié dans son altérité.
Ravie de vous avoir lu à nouveau
Justement n’est-il pas temps de leur faire entendre que leurs agissements en SONT PAS de la séduction ?
Ce qui contribue à entretenir la confusion me semble contre productif.
Merci pour cet article, je partage votre point de vue.
J’aimerais avoir votre avis en ce qui concerne les comportements acceptables dans les ‘espaces de badinage entre inconnus’ ? Notamment dans les bars, soirées et boite de nuit, où l’alcool vient souvent s’en mêler.
Oui sur ce qui est dit dans l’article. Le harcèlement est une plaie tant pour les femmes (ça semble évident) que pour les hommes (manque de réciprocité dans les échanges notamment) Toutefois, deux ou trois choses me posent question ici et dans les “débats” (qui virent souvent au pugilat) autour de ce sujet :
– Tout d’abord je pense qu’il y a une confusion entre la notion de pouvoir et celle de domination. Dans le cas de la domination, impossible de faire quoi que ce soit : je suis à la complète merci de la personne qui me domine et qui peut me faire agir comme bon lui entend ; je peux même ne pas avoir conscience que je suis dominé. Concernant le pouvoir c’est plus subtile : les relations de pouvoir sont inhérentes à toute relation sociale. Quand je vais chez le médecin, cette personne aura le pouvoir sur moi car je n’y connais rien en médecine ; quand je suis en cours, mon prof a le pouvoir sur moi car il peut m’imposer le silence et détient des connaissances plus importantes que moi ; idem dans les relations de travail etc (voir ce que dit Foucault sur le sujet). J’ai l’air de pinailler mais la différence est importante. Pour beaucoup de gens, dans le cas de la domination, l’ennemi détenant le pouvoir est clairement identifié et le renverser suffirait à faire tomber la domination et nous permettrai tous et toutes de vivre dans la joie et la félicité. Mais c’est une illusion car nos sociétés sont plus complexes que le simple dualisme personnes dominantes/dominées, harcelants/harcelées. L’important est, à mon sens, de donner aux personnes les possibilités de vivre leur vie comme elles l’entendent sans que quiconque ai quoi que ce soit à redire sur le sujet ;
– Les possibilités, justement, parlons en. Une chose qui me surprend dans tous ces échanges, c’est l’absence de réflexion sociologique élémentaire. Quand tu utilises (notamment) le concept de “cisgenre” Audren, il est inaudible pour un bon 95% de la population. C’est un concept d’universitaires, de militant(e)s et de quelques personnes s’intéressant à ces thématiques donc perçu par une partie de la population comme un concept de privilégiés/bourgeois (ce que les fachos/réac/masculinistes tournent en “bobo-islamo-gauchistes”). Et dans une période de creusement des inégalités et de fortes tensions sociales – je suis surpris qu’on ne se soit pas encore toutes et tous sautés au visage pour s’entretuer – la remise en question des habitudes des gens est vue comme une lubie de riches qui, parce qu’ils ont une vie confortable et n’ont pas à se soucier de l’état de leur compte en banque, peuvent se payer le luxe de penser à autre chose que leurs besoins physiologiques (voir la pyramide des besoins de Maslaw à ce sujet) On peut s’en désoler (c’est mon cas), hurler au scandale et taper du pied par terre mais ça ne changera pas les faits. Les individus ont besoin d’une boussole interne pour s’orienter dans le grand bain du social. Or les précaires n’ont pas nécessairement le temps ou les moyens – et je ne parle pas des moyens intellectuels mais économiques – de s’intéresser à ces questions là. Donc ils se raccrochent à ce qu’ils connaissent, donc à des comportements sexistes parce c’est ce qu’ils ont intégré. Et cela prendra du temps pour faire changer les habitudes. Commençons déjà par appliquer la loi comme les cours d’éducation à la sexualité et de sensibilisation aux questions sexistes (qui date de 2001 et prévoit cela dès le CP ! mais qui n’est pratiquement jamais appliquée dans les faits) ou les lois condamnant justement le harcèlement. Les ados sont sensibles à ces questions pour peu qu’on prenne le temps de leur expliquer les choses, sans nécessairement utiliser un vocabulaire abscons et excluant : j’ai réussi à parler homophobie et transphobie avec des élèves d’un lycée pro venant tous d’un milieu rural et populaire ce qui les a passionné – l’un d’entre eux m’a même dit “tu sais on fait nos mecs, on dit qu’on n’aime pas les pédés mais dans le fond ce sont que des mots, on s’en fout et on apprécie tout le monde”. Je suis d’accord quand tu listes les lieux possibles de badinages avec des inconnus (je mettrai un bémol concernant la séduction sur Facebook qui est considérée comme intrusif par certaines personnes). C’est là où je rencontre en général mes partenaires. Mais tout le monde, hommes et femmes, n’ont pas les moyens de se rendre dans ces lieux. Les soirées ? Encore faut-il avoir l’espace et le temps suffisant pour cela, en plus de savoir si ces soirées sont mixtes (une personne en école de commerce à 10 000€ l’année aura des tonnes d’occasions et d’opportunités, la personne habitant un 20m² dans un HLM en banlieue beaucoup moins) Les bars ? Ça coûte rapidement cher. Idem pour les boîtes de nuit et elles ne sont pas toujours mixtes, socialement parlant (entre la boîte de riches à 50-100€ l’entrée et le Macumba où se rendent les prolos il y a un gouffre) C’est sensiblement la même chose concernant les sites de rencontre où l’homogamie sociale fonctionne à plein les ballons (j’ai fait une étude là-dessus – je suis sociologue – et chacun reste bien sagement avec les membres de son groupe et par conséquent avec les codes – extrêmement genrés ou non – de ce dernier)
– J’en viens à mon dernier point, qui est lié à tout ce que je viens de dire. Ces questions de harcèlement sont liées, en partie, à des questions sociales. Elles interrogent le vivre-ensemble, entre hommes et femmes, entre majorité et minorités sexuelles, entre personnes privilégiées et précaires. S’il y a urgence à sanctionner lourdement les personnes s’adonnant au harcèlement (tout en prévoyant les gardes fous juridiques pour éviter les fausses accusations) ces témoignages doivent aussi nous amener à nous interroger sur le patriarcat qui n’est pas la domination des hommes sur les femmes (ce serait trop simple, comme toute chose qui concerne le concept de domination) mais qui est un système qui place le masculin au-dessus du féminin. On ne naît pas femme, on le devient. Mais on ne naît pas homme non plus. Il faut en finir avec “la fabrique des garçons” (Sylvie Ayral), cette masculinité qui force certains hommes à avoir des comportements violents – envers les femmes mais aussi envers eux-mêmes (voir les livres “Les coûts de la domination masculine” de Delphine Dulong et “le mythe de la virilité” d’Olivia Gazalé) et pousse certaines femmes à attendre un comportement viril et à disqualifier tout comportement qui s’écarterait de cette norme virile. Dans un premier temps, réglons ce problème de violences faites aux femmes car il s’agit d’une question de vie ou de mort. Mais le problème ne sera réglé à 100% que lorsque l’on s’interrogera collectivement sur les conséquences néfastes du patriarcat (donc beaucoup d’hommes sont victimes – et non je n’utiliserai pas le piège sémantique des masculinistes qui mobilisent ces arguments pour que rien ne change – comme le montre Sonia Feertchak dans son ouvrage “les femmes s’emmerdent au lit”) Et surtout, bordel de diou, ÉDUQUONS ! Prenons le temps de faire des interventions dans les écoles pour apprendre tout ça aux jeunes. Car il est facile de s’intéresser à ça quand on a le temps, quand on a les ressources (culturelles, économiques et/ou sociales) beaucoup moins dans d’autres milieux où le moindre écart à la norme, fût-elle sexiste au dernier degré, est lourdement sanctionnée.
Le polyamour est un moyen d’interroger nos habitudes relationnelles (donc sociales). Cela va plus loin que la simple question de “puis-je aimer plusieurs personnes en même temps et comment ?” car cela interroge nos façons de faire couple, les relations entre les genres etc. Cela peut aussi être un moyen d’interroger les normes genrées donc patriarcat non ?
Dire qu’en France, l’espace public a été concu pour les mecs blancs, cisgenres, blabla… est une grave erreur de perspective. Un des traits les plus frappants de la société francaise a été au contraire historiquement la place importante qu’occupaient les femmes dans la rue, sur les marchés, jouant un role clé dans le colportage des informations, sur la facon de faire ou défaire une réputation… N’importe quelle étude sur le Paris de l’ancien régime ou de la Révolution, par exemple, vous le démontrerait. Le principal risque que recouvre votre grille de lecture, c’est de réduire la complexité des rapports entre les hommes et les femmes a une simple contrainte unilatérale. Ce qui n’enlève rien à la nécessaire lutte contre la violence ou le harcèlement, mais on sent à l’oeuvre une volonté de caricaturer qui tient plus de l’idéologie que de la recherche nuancée des faits.
@Basile, le Paris de l’Ancien Régime … mais le Paris moderne 🙂 ?
@Larbredesandra, ce fantasme de séduction par le patron ou cette idée que les femmes veulent dire oui quand elles disent (et qu’elles aiment être violées même si elles disent le contraire) n’existe généralement que dans la tête des hommes …
Ce fantasme existe et aussi dans la tête des femmes. Je connais aussi une femme qui a épousé son patron … quant au viol : il est clair qu’aucune femme n’aimerait être violée. Cela va de soi … mais cela ne va pas dire qu’aucune femme ne fantasme sur le fait d’être violée. Le fantasme et la réalité c’est complètement différent.
Merci pour cette mise au point. Je me fais draguer, voire harceler, depuis plus de 20 ans au boulot et quand je vivais en France, j’étais constamment harcelée dans les transports en commun… surtout le soir.
Certains hommes ont l’air de penser que manifester un désir irrépressible (‘regarde tu me fais bander tellement que je soulève la table’ ou ‘regarde tu m’as fait faire des taches sur mon jean’) est flatteur pour une femme : pas du tout. On a l’impression de se retrouver face à un violeur récemment libéré de prison… et en manque. Par exemple, depuis quelques mois, je tombe quelquefois à mon club de gym sur un petit vieux d’une soixantaine, pas du tout appétissant, mais qui a visiblement décidé que j’étais la femme pour lui : à chaque fois, il essaie d’engager la conversation avec moi, me barre le chemin et essaie de me toucher comme par plaisanterie, me suit jusqu’aux vestiaires… Je suis parfois obligée de quitter la salle après 10, 15 minutes alors que j’avais prévu de rester une heure, et du coup je paye un abonnement pour rien. Idem pour les types qui se plantent devant vos fenêtres ou vous harcèlent de coups de téléphone, en particulier les vendredi et samedi soir, ou carrément en pleine nuit : j’ai dû changer mon numéro de téléphone x fois, et maintenant je fonctionne avec une douzaine de SIMs. Certains hommes ont une personnalité narcissique et ont l’air de penser que les femmes qui ne couchent pas avec eux passent à côté de quelque chose d’extraordinaire dans la vie. D’après mon expérience, et celle de nombreuses autres femmes, c’est rarement le cas.
Les dragueurs les plus agressifs tendent à être des types qui vous dominent d’une manière ou d’une autre: votre prof à l’université, votre supérieur hiérarchique au boulot, un client (pas seulement quand vous êtes serveuse, mais aussi quand vous êtes comptable, kiné, dermato…) ou votre proprio. Dans la majorité des cas il s’agit de quadras, quinquas ou sexas, petits, ventripotents… et avec des problèmes d’érection (si c’étaient des Brad Pitt ou des Rocco, ils n’auraient pas besoin de forcer des femmes à coucher avec eux). Malheureusement, il est rarement possible de porter plainte pour harcèlement sexuel au boulot : toutes les fois où cela m’est arrivé, le harceleur était, soit mon employeur (micro entreprise), soit le DRH, soit l’un des PDG et actionnaire de la compagnie… invirable. Trois des boites ou j’ai travaillé (pour un total de dix ans) avaient recours à un nombre élevé d’intérimaires et la meilleure façon d’obtenir un CDI était… de coucher avec le DRH. Dans quatre autres (sept ans au total), l’entreprise organisait une ‘fête’ pour Noël, généreusement arrosée. Cela se terminait souvent par des collades dans des chambres d’hôtel, dans des voitures et dans un cas… dans les toilettes pour femmes. Les types responsables étaient toujours au minimum des managers, souvent mariés et pères de famille (ayant parfois leurs gosses dans des institutions catholiques) et les femmes… leurs subordonnées. L’une d’elles avait juste 16 ans, le type avait deux fois son âge. Il y a aussi les types qui vous forcent à faire des heures sup non payées, en tête à tête avec eux, quand tout le monde est parti… Evidemment, dans ces cas, ce sont les femmes qui démissionnent, pas les harceleurs. Le fait de devoir changer de boulot et de logement régulièrement… ne met pas d’humeur à batifoler. Je me souviens d’une soirée passée avec deux autres jeunes femmes rencontrées dans une auberge de jeunesse : nous avons ‘fantasmé’ sur un parfum qui repousse les hommes, un peu comme les sprays anti moustiques ou anti chiens. Il y a quelques années, une de mes colocataires payait carrément un homme pour faire semblant d’être son petit ami, afin de tenir à distance les indésirables : elle était docteur mais avait dû démissionner de son premier emploi suite à un problème de harcèlement sexuel à son hôpital, et pour retrouver un autre emploi, cela n’avait pas été facile, elle avait dû acheter une voiture et déménager dans une autre région, en puisant dans ses économies, cela avait retardé de plusieurs années son accession à la propriété, et pour compenser elle avait pris des gardes supplémentaires le weekend et la nuit dans un deuxième hôpital, d’où.. carence en sommeil et 0 disponibilité pour les amourettes.
Une autre raison pour limiter la drague à des temps et lieux ‘adéquats’ : si vous essayez de draguer une parfaite inconnue dans la rue/au supermarché/à la bibliothèque, ou une collègue que vous ne connaissez que de manière professionnelle, cela pourrait vraiment être le mauvais moment. Par exemple, la cible vient de perdre son emploi, son propriétaire vient de lui donner congé, elle vient de recevoir un diagnostic de cancer ou attends le résultat de tests médicaux, le traitement médical qu’elle suivait a cessé d’agir, quelqu’un est gravement malade ou vient de mourir dans sa famille, elle est en période d’examens et n’a vraiment ni la tête à ça ni le temps, elle a ses règles ou est en plein syndrome prémenstruel… A ces moments-là, un type qui vienne vous faire des propositions, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase… et bien souvent la réaction du type c’est ‘mais elle est pas bien celle-là, il faut te faire soigner !’.
J’ai rencontré il y a une quinzaine d’années un homme marié mais dragueur émérite, qui se permettait 2-3 fois par an des escapades, notamment quand il devait vivre quelques mois à l’étranger, loin de sa femme, pour raisons professionnelles. Il disait que si on était pressé, il fallait choisir une femme laide : les femmes belles, les hommes leur tournent autour comme des moustiques, donc quand un type lambda essaie de leur mettre le grappin, comme c’est le énième de la journée, elles ne sont pas flattées, elles sont exaspérées. Evidemment, il séduisait uniquement des femmes belles, mais il prenait son temps et leur donnait le temps de réfléchir et de donner leur libre accord ou non : il m’avait raconté qu’étant adolescent il avait commencé à se comporter en Don Juan et à briser des cœurs, et les pères des jeunes filles étaient venus se plaindre à son père, en utilisant notamment l’argument ‘ton fils, quand il aura fini de faire l’inventaire de nos filles, il commencera à s’intéresser à nos femmes !’. Son père avait eu une longue discussion avec lui, lui expliquant notamment que ‘les femmes sont aussi des êtres humains’, l’avait envoyé en pension jusqu’au bac, puis l’avait incité à se marier dès la fin de ses études, ce qui lui avait permis de se calmer un peu… et de devenir très bon au lit (c’est en forgeant qu’on devient forgeron)!
Ce n’est pas que c’est devenu mal, c’est que c’était déjà mal… Tout à fait.
En ce qui concerne les lieux où ce serait permis, ou du moins toléré (je n’ai pas lu les coms) je dirai ce que j’ai lu : même si c’est en boîte ou dans un bar, la limite c’est le CONSENTEMENT. Si elle accepte un compliment (gentil) du genre vous avez un joli sourire, pourquoi pas.
Mais si elle n’est pas consentante, stop. Bien sûr certains ont leur propre interprétation du consentement ou de l’encouragement.
Parfaitement. Sauf que l’article abordait la question d’une première prise de parole ou juste d’une manifestation d’intérêt, même non verbale, avant même toute notion de consentement. Et qu’en gros, pour faire cesser le harcèlement, il faut commencer … par ne rien commencer du tout en-dehors des lieux et circonstances où c’est acceptable. Et donc a contrario, en boîte, c’est acceptable de faire une allusion sur le physique ou de faire un grand sourire en regardant dans les yeux. Et hors consentement, ben ça s’arrête là.
Cet article est d’un extrémisme odieux. C’est paternaliste à souhait et loin d’être innocent. Qui êtes-vous pour affirmer “Où” commence le harcèlement? Une femme, ok, en gros mon égale quoi… Mais sinon? Vous voulez un monde “adopteunclébar.com” “padalarue” c’est ça? J’ai une féministe engagée (associatif et pro) dans ma vie qui est loin, très loin, de partager votre point de vue qui a tout pour faire rougir d’envie sans problème les fascistes.
Très honnêment, je n’avais pas vu passer ce commentaire ci (des fois j’en rate, et ils se perdent dans le purgatoire des commentaires pas publiés mais pas complètement supprimés non plus, au cas où l’auteur.e vaudrait discuter de comment amender le propos — c’est arrivé). Je ne suis pas bien sûr de le comprendre, mais bon. Par contre, le plus récent a fait poubelle direct sans états d’âmes. A toutes fins utiles, on pourra lire ceci avant de m’insulter publiquement : https://lesfessesdelacremiere.wordpress.com/2013/02/07/quant-aux-commentaires/
Merci bcp et bravo pour ce bon et beau papier que chaque homme devrait lire et qui donne des arguments pondérés aux femmes pour expliquer ce qu’elles ressentent. Cela participe de la construction d’un dialogue le plus serein entre les sexes que l’on peut toujours espérer. Permettez moi toutefois de faire part d’une pub choquante pour les hommes : celle qui fleurit sur les murs du métro aux beaux jours pour un site de rencontre (“adopte un mec”) où l’on voit une femme mettre un “mec” dans son caddy sans autre commentaire. Personne ne s’étonne de cette pub, certes au 2ème degré mais que personnellement je ne trouve pas drôle du tout.
malheureusement si, certains s’en étonnent, chez les masculinistes et autres spécialistes du harcèlement de féministes du forum JVC.com tristement célèbre. Effectivement, la pub serait affreusement sexiste si on inversait les genres. Oui mais c’est différent. Pour comprendre pourquoi ce n’est pas du tout la même chose, il faut comprendre qu’il y a un groupe dominant et un groupe dominé (historiquement, et encore maintenant à bien des égards). Et donc quand le groupe dominé rue dans les brancards, c’est légitime (p.ex. « black lives matter ») ; quand le groupe dominant réprouve la protestation pour des arguments d’égalité (p.ex. « all lives matter », qui est en fait une réponse de suprémacistes blancs) et bien il en rajoute une couche dans le rapport de domination. Donc on pourra s’émouvoir de l’incitation à mettre les mecs dans des caddies quand l’égalité sera en vue. Je pense par exemple que la pub aum.com ne passerait pas très bien dans les pays scandinaves.
Le groupe dominé a évidemment raison de ruer dans les brancards, mais répondre à un groupe dominant bête et méchant par des arguments bêtes et méchants ne me semble pas faire avancer le schmilblic. Toute proportion gardée on en a des exemples quotidiens sur la scène internationale. On attend des défenseurs de la cause des femmes plus de subtilité dans la forme ce qui n’empêche pas (au contraire) la fermeté sur le fond.