Homophobie : la technique du contre-feu

Jouons avec le feu. Et utilisons contre la virulence des homophobes leur propre homophobie. Pour faire court : « Les plus virulents des anti-gays sont souvent des homos refoulés. Donc si tu ne veux pas passer pour un homo auprès de tes potes homophobes, laisse les homosexuels tranquilles ».

ouroboros - dessin numérique à l'encre à partir d'une photo de sculpture en bois par ljotunnr

Si l’homophobie pouvait se bouffer la queue… (ref. photo & sculpture (c) Ljotunnr sur deviantart.com)

Les plus anti-gays sont souvent gays

La régularité avec laquelle les porte-parole anti-gay les plus virulents s’avèrent être gays eux-mêmes est déconcertante. De nombreuses études nous montrent que ce n’est malheureusement pas une coïncidence : l’homophobie est souvent l’extériorisation d’un conflit personnel non résolu d’orientation sexuelle.

Les participants qui se disaient hétérosexuels alors qu’ils avaient [lors des tests] une attirance cachée pour des personnes de même sexe étaient le plus souvent ceux qui témoignaient de l’hostilité à l’égard des homosexuels, qui assumaient leurs attitudes anti-gay, ou qui approuvaient les politiques discriminatoires, telles que des sanctions plus sévères pour les homosexuels.
Traduit d’un article de Scientific American

Alors certains se plaisent à brandir ces études et la longue litanie des homophobes tirés du placard pour dire que « les homophobes sont tous homo ». Comme c’est bien souligné dans cet article (par une blogueuse queer irlandaise), c’est pourtant débile de vouloir utiliser un argument homophobe contre l’homophobie.

La technique du contre-feu

Mais à y regarder de plus près, est-ce qu’on ne pourrait pas travailler l’argumentaire un peu plus subtilement que « c’est çui qu’y dit qu’y est » ? Le but n’étant pas de diminuer le sentiment d’homophobie chez les homophobes mais de faire baisser la virulence de ses manifestations publiques.

Je pense que ça ne serait pas totalement contre-productif, quand on doit réagir à des propos homophobes, de souligner la statistique (les homosexuels refoulés sont souvent parmi les plus homophobes) et donc de suggérer que ceux qui expriment leur homophobie un peu trop bruyamment risquent fort d’attirer sur eux un soupçon que leurs convictions homophobes leur dictent d’éviter à tout prix.

Ce faisant, je ne prétends pas changer quoi que ce soit auxdites convictions homophobes des intéressé(e)s. Je cherche juste à utiliser leur propre homophobie (et quelques résultats scientifiques) comme un frein à leur zèle homophobe. Car l’homophobe –comme le misogyne ou le raciste– se croit toujours entouré de semblables. Cet effet de cocon idéologique est largement renforcé par les réseaux sociaux, ce qui généralement encourage la surenchère.

Peut-être justement qu’en rappelant que le zèle homophobe est suspect, il se produirait une désinflation collective des comportements homophobes dans les cercles homophobes (et ailleurs), de peur de passer pour un homo auprès justement des homophobes qu’on cherche à impressionner par son zèle. Que l’intéressé-e soit crypto-gay ou hétéro, je m’en fiche : il suffit qu’il soit homophobe pour qu’il n’ait pas envie de prendre le risque de la surenchère.

S’il y a moyen d’allumer ce contre-feu dans les réseaux qui vont bien (je pense à la manif pour tous et autres flippés du djendeur), ça permettrait peut-être de calmer un peu le vacarme homophobe ambiant.

Précision de contexte

Oui, en tant que mec hétéro cisgenre blanc et socioculturellement favorisé, je suis fondamentalement mal placé pour parler d’homophobie (d’un peu tous les sujets de société, d’ailleurs, malheureusement). Et même en me planquant derrière mes « élucubrations éhontées », ben je ne me sens pas super à l’aise. Disons que je vous autorise à exprimer l’ampleur de votre désaccord dans les commentaires.

11 réponses à “Homophobie : la technique du contre-feu

  1. D’ailleurs, ça marche probablement aussi contre les propos et les actes misogynes — ont doit pouvoir suggérer que les plus virulents sont ceux qui doutent le plus de leur masculinité.

    • ça marche aussi contre les misogynes, en effet, et c’est d’ailleurs la même chose : voir les remarquables analyses de Stoltenberg dans Refuser d’être un homme autour de l’idée que l’identité sexuelle masculine se construit toujours par négation de l’autre. L’idée de Stoltenberg est que « l’homme » tel que défini dans l’idéal viril n’existe pas, ne correspond à aucune réalité ; par conséquent les hommes se sentent couramment comme des imposteurs par rapport au modèle du « vrai homme », et la négation de l’autre (rabaissement des femmes, mépris, viol, violences, stigmatisation des hommes perçus comme « moins virils, homophobie – tout ça est un continuum) sert alors à les rassurer sur leur propre virilité ; d’où le viol et la violence comme moyen de réaffirmer sa virilité lorsqu’on se sent moins homme. « L’homme » tel que défini par le patriarcat n’obtiendrait d’existence qu’en détruisant ce qui n’est pas lui.

      Et pour faire plus simple : l’homophobie inclut par définition la misogynie, puisque pour l’homophobe un homosexuel (toujours masculin) est inacceptable parce qu’il « fait la femme » – c’est donc qu’il est dégradant d’être une femme…

  2. J’avais déjà entendu cette théorie, et ma foi elle me semble cohérente et offrir un angle d’attaque contre l’homophobie. Du moment qu’on n’oute aucun homophobe (outer : révéler l’homosexualité d’une personne contre son gré) je suis pour.

    Après pour le coté « homme blanc cis-genre vanille socio-culturellement favorisé », je pense que l’on peut avoir malgré tout un avis pertinent sur ces questions. Tant qu’on garde conscience que l’on ne voit pas tout. Après tout ce sont des hommes et non des femmes qui ont légalisé l’IVG et la contraception (et d’autres hommes qui ont hué Simone Veil à l’assemblée nationale…). Et sans les nobles, la Révolution Française aurait capoté assez vite.

  3. I’m not sure I agree with your methods for getting homophobes to shut up, but I am sure you’re wrong about your last comment. As a straight white cisgendered heterosexual middle-class male, you’re actually *exactly* the kind of person who needs to be talking about combatting racism, sexism, homophobia, transphobia and the rest. What we need is people with social privilege and power—earned or not—to fight actively and vocally against these problems.
    Generally speaking, women aren’t committing violence against women, paying themselves less, impeding their own career progress or treating themselves like objects—men do that. Generally speaking, black/Aboriginal/Maghrebian/pick-your racialized-group are not the ones sending themselves to underresourced schools, throwing themselves into prisons or blocking themselves from meaningful employment—policies and practices set by middle-class white guys are. Generally speaking, LGBT people aren’t the ones trying to impede or take away civil rights from gay people,tragetting and killing trans people, or breaking up queer families—straight cis people are doing that.
    Women have been talking about sexism for centuries. Within shorter fime frames, the same is true for people of colour and racism, LGBT people and homo-/transphobia, etc. We in the marginalized groups know which -ism is being directed at us and how to denounce it. Of course it doesn’t hurt if we speak up about it more, but if that’s all it took, the problems would have been solved ages ago. What we need is for the people with social capital to use that capital to stop enabling a culture where any of those things are acceptable ways of behaving or thinking.
    So I would say that despite perhaps not being the target or victim of the -isms, you’re not at all mal placé to talk about them. On the contrary, I could argue that as someone who very obviously cares deeply about your fellow human being, you have a kind of positive obligation to use your privileged social positions to talk about the social evils of the world and help dismantle the cultures that enable them.

    • I agree with what you say. I am in an ideal position to *push against* homophobia, sexism, racism, what have you. But I do feel am not in an ideal position to *comment* on homophobia.

  4. Hello Audren,

    Personnellement je suis un peu dubitatif quant à l’approche que tu décris ici.

    Un premier point déjà qui me semble important, est que l’étude citée dans l’article du Scientific America montre que les homos refoules sont souvent parmi les plus virulents anti-gays, et on le contraire. L’étude n’indique absolument pas, contrairement à ce que l’article sous-entend, et ce que tu reprend explicitement dans ton paragraphe d’introduction, que les plus virulents anti-gays sont souvent des homos refoules. Il est possible que la proportion d’homo refoulés soit plus importante chez les virulents que les modérés, mais je doute qu’elle en représente une majorité. Pour ma part je pense au contraire que les homophobes les plus virulents sont en grande partie hétérosexuels.

    En parallèle, je pense aussi que la peur d’être homo décrite dans l’article n’est pas l’apanage des homos refoulés. En effet, dans les pays occidentaux, les gens n’ont pas besoin d’être homosexuels pour avoir peur d’être homosexuel. Chez les hommes notamment, je pense qu’on est quasiment tous imprégné d’une homophobie latente, qui nous pousse à avoir peur de ressentir des choses pour un autre homme, ou de laisser croire que c’est le cas. L’approche de Stoltenberg décrite par Manuelle en est une explication possible.

    Par ailleurs, je ne vois pas trop en quoi cette approche est différente de celle dénoncée par Aoife O’Riordan, et je peine à en voir l’utilité : un homophobe à qui on parle de cet article pourra répliquer la même chose que mon début de commentaire, voire, plus probable, refuser tout en bloc, car après tout « il y a des raisons rationnelles de s’opposer à la propagande homosexuelle ». Voire même, comme à leur habitude, partir dans des parallèles douteux avec la pédophilie, la zoophilie, ou autres (du style : « je suis radicalement contre le meurtre, donc je suis un assassin refoulé ? »). Bref, je ne suis pas sûr que cet argument fasse mouche.

    Pour ce qui est de s’attaquer au zèle homophobe, un angle d’approche qui serait à mes yeux plus efficace serait celui de la peur. La virulence dans l’homophobie est pour moi fortement liée à la peur, que ce soit la peur de soi ou la peur des autres. Dénoncer cette peur, c’est exposer l’irrationalité dans la virulence, c’est forcer les gens à agir calmement pour être crédibles. Et c’est éventuellement (on peut toujours rêver) inciter les gens à se remettre en question.

    Voilà, j’ai honteusement profité du droit de critique, j’espère que je n’en ai pas trop fait 😛

    • Je souscris à tes réserves.

      La différence avec l’article d’Aoife ORiordan, à mon sens, est qu’on ne s’appuie pas sur une homophobie implicite de la société dans son ensemble, mais à semer le doute au sein de réseaux homophobes. En cela, je me rapproche de la posture de Dan Savage qui se complaît à citer les nouveaux cas d’homophobes enragés qui se retrouvent exposés comme gays : il ne critique jamais l’homosexualité des intéressés mais il insiste souvent pour signaler aux homophobes qu’ils devraient considérer entre eux le zèle comme suspect.

      Je préciserais aussi que la posture dans l’article n’est pas destinée à être tenue en discussion en tête à tête avec une personne homophobe (peine perdue) mais à la cantonade en réaction à des propos homophobes rapportés ou entendus (que ça soit dans les réseaux sociaux, ou bien IRL).

  5. Ceci d’un point de vue purement logique et statistique le raisonnement est incorrect. Ce n’est pas parce que, en caricaturant, tous les homosexuels refoulés seraient homophobes que tous les homophobes sont des homosexuels refoulés. C’est le même raisonnement erroné qui dit : tous les consommateurs d’héroïne consommaient du lait étant bébé donc tous les consommateurs de lait étant bébé consommeront fatalement de l’héroïne à l’âge adulte. (Et en passant interdisons la consommation de lait, surtout maternel, aux bébés, vous voyez ou cela mène)

    • Il faut relire. J’ai justement fait attention à ça. On sait juste qu’il y aura statistiquement davantage de gays refoulés chez les homophobes que dans la population générale.

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