Histoires d’amours plurielles : échantillon de biodiversité amoureuse

A voir : un joli site qui collecte nos confessions, et ouvre ainsi une fenêtre au-delà du stéréotype ‘mono-normatif’

dessin numérique au crayon mains sur un buste de femme

amours plurielles (ref. photo (c) danielk78 sur deviantart.com)

Ethnocentrisme et mono-normativité

Des histoires pour enfants aux romans policiers, des faits divers aux chansons d’amour, des magazines féminins aux propos des thérapeutes de couple, le modèle des relations amoureuses tel que véhiculé dans notre bain culturel nous est systématiquement présenté comme :

  • hétérosexuel (et ça, heureusement, il y a déjà pas mal de voix pour le dénoncer)
  • amoureux (c’est d’ailleurs l’amour qui rend le sexe fréquentable)
  • exclusif (sinon tu veux me faire du mal)
  • mutuellement possessif (« Tu me prêtes ton mec cinq minutes ? Il faut qu’on discute »)
  • cohabitant (« Bon c’est quand que vous emménagez ensemble ? »)
  • fusionnel (du point de vue de l’administration et des amis, on n’est plus que Machine & Machin ou M. & Mme Machin)
  • procréatif (au tournant de la trentaine, la pression en ce sens est sacrément lourdingue)
  • idéalement éternel (une rupture étant la preuve qu’on s’était trompé de personne)
  • nécessaire (les célibataires ayant vocation, in fine, à se caser, sous peine de « tu finiras tout-e seul-e »)

Ce modèle étant intimement associé à l’idée de normalité, les déviations sont vues comme mauvaises, voire pathologiques :

  • ceux et celles qui vivent leurs histoires d’amours et de sexe sans construire un « couple » standard souffrent forcément de solitude
  • les couples qui ne cohabitent pas ne sont considérés « en couple » que si leur éloignement est dû à un choix professionnel (ah, la toute-puissance du travail comme excuse universelle)
  • les couples qui continuent à vivre ensemble et se dire très attachés mais qui reconnaissent ne plus être amoureux-ses sont décrits comme des parasites (« tu restes parce que tu ne veux pas renoncer à ton petit confort personnel » — notez comme le confort est toujours petit ou égoïste, à moins qu’il s’agisse d’acheter une voiture ou un canapé)
  • les libertins sont des bêtes de foire (qui mettent leur couple en danger / donnent une importance honteuse au sexe / « mais vous avez pensé aux maladies ? »)
  • les infidèles sont des monstres d’égoïsme (qui n’ont qu’un seul but dans la vie : faire souffrir leur partenaire)
  • les polyamoureux sont des extra-terrestres (qui ne savent pas faire un choix adulte / qui n’ont pas trouvé le Vrai amour / qui finiront seul-e-s)
  • et j’en passe

J’aurais beaucoup à critiquer sur ce mélange d’idéologie de contes de fées et de tradition chrétienne, mais je ne veux retenir ici qu’une seule critique centrale : son ethnocentrisme. Alors qu’il s’agit seulement du modèle occidental majoritaire d’aujourd’hui, on nous le présente comme universel, incontournable, immuable.

Histoires d’amours plurielles

C’est pour ça que je salue l’initiative d’Audrey et de son site Histoires d’Amours Plurielles.

C’est un site où vous et moi (mais vous ne saurez pas que c’est moi) sommes invités à écrire nos témoignages d’histoires qui sortent du moule. Pour qu’on puisse prendre conscience de la diversité réelle des situations, une fois débarrassées du filtre du couple exclusif.

L’initiative est assez innovante et trouve (à mon avis) parfaitement sa place à côté des groupes de discussion et des ouvrages sur le polyamour :

  • les témoignages sont sans commentaires : le but n’est pas de demander l’avis à d’autres internautes, simplement de raconter.
  • on ne cherche pas à faire rentrer les témoignages dans des cases : on se fiche de savoir si telle circonstance se rapproche davantage du lutinage ou du libertinage, s’il s’agit d’infidélité ou de polyamour, s’il s’agit de sexe ou de sentiments. Et on ne veut surtout pas savoir si c’est « bien » ou si c’est « mal ».

J’y vois au moins deux grands mérites :

  • nous fournir un confessionnal, à nous-autres qui pouvons rarement parler de nos histoires atypiques à nos amis sans nous sentir jugé-e-s (même par les mieux intentionné-e-s). De plus, écrire son témoignage peut aider à y voir plus clair, et aussi servir de tremplin pour un « coming-out » grandeur nature.
  • rassembler ces témoignages à un seul endroit pour donner à tout le monde une petite fenêtre ethnographique sur la grande biodiversité amoureuse (j’emprunte à Françoise Simpère cette analogie avec la biodiversité écologique) et voir par contraste à quel point le moule du couple exclusif ne convient pas à tout le monde.

Comme de nombreux-ses lecteurs-trices m’écrivent pour me faire part de leurs histoires personnelles, j’imagine que certain-e-s seront tenté-e-s d’aller y faire un tour pour s’y confier. Les témoignages sont anonymes (et Audrey veille à ce qu’il n’y ait pas trop de détails personnels qui pourraient faire qu’on vous reconnaisse). Et les autres seront évidemment tenté-e-s d’y faire un tour par simple curiosité.

Donc c’est là : Histoires d’amours plurielles (et revenez régulièrement, à mesure qu’il y aura de nouveaux témoignages)

15 réponses à “Histoires d’amours plurielles : échantillon de biodiversité amoureuse

  1. Y a-t-il plus beau cadeau que d’être encouragée par son propre mentor et sauveur (de la méchante Reine Monogamie) 😉 Merci Audren. Mon petit coeur a fait Boum à la lecture de ce magnifique article (comme d’habitude). Tendrement, Audrey.

  2. La variété des témoignages permet une non stigmatisation et une non exclusion, ce qui est très positif et j’espère ouvrira l’esprit des gens

    • J’ai moyennement espoir que des gens à l’esprit fermé atterriront sur le site et prendront le temps de lire les textes, mais oui, c’est l’idée 😉
      Mais j’espère que ça finira par percoler.

  3. Merci pour ce lien : je vais bien évidemment aller y faire un tour, voire plus !
    Et merci une fois de plus pour tous ces articles très pertinents.

    Je rebondis sur une phrase : « écrire son témoignage peut aider à y voir plus clair ». Les polyamoureux seraient-ils donc à ce point embrouillés dans leur vision du couple ? Personnellement, même si mon expérience est toute limitée et à sens unique, je la vis on-ne-peut mieux (cachotteries et peur de se faire gauler mises à part). J’aime mon mari et mon amant, de deux façons différentes et parce qu’ils m’apportent tous deux des choses différentes. La plus perplexe quant à ma situation est… ma psy, initialement consultée pour d’autres problèmes, mais qui s’étonne de me voir vivre tout ça aussi bien. Ce n’est apparemment pas le cas de ses autres patients infidèles.

    • Merci. Ce genre d’expérience est toujours intéressant mais très délicat à interpréter tant il est dur de démêler les postures culturelles et sociales des réactions authentiques. Et cet article n’échappe pas aux traditionnelles interprétations tautologiques que je reproche à une certaine version « grand public » de la psychologie de l’évolution.

  4. Merci pour cette très belle initiative curative ! En effet, contrairement à cette fidélité qui se veut « respectueuse » de l’autre, au contraire, il me semble que sortir de ces terminologies possessives permets en réalité de vraiment aimer et respecter quelqu’un, tel qu’il est, avec ses beautés et ses failles, ses envies divergentes, et ainsi de sortir du moule de l’objetisation idéalisée de l’autre qui fait que certains ressentent le besoin dévastateur de couper de facon violente leur lien/ amour avec quelqu’un dès lors que leurs yeux se pose sur un nouvel objet exitant à conquérir..
    C’est beau de se dire que c’est un sacré cercle vertueux (comme il n’ en a pas tant) ! Tout « simplement ».
    🙂 Plein de bonnes choses pour votre projet.

    • …le même moule qui fait que certains sont prêts à jeter à la rue une personne qu’ils aiment et qui a simplement profité librement de son corps.

      • Exactement…c’est fou ce que ces idées préconçues et soit disant « morales » à la con peuvent être destructrices. Des blessures gratos pour tout le monde !.. Les émotions « vraies » et « simples » n’ont pas le beau rôle dans ce monde restrictif

  5. Pingback: Quasi-mono (monogamish) – de ces couples presque monogames | les fesses de la crémière·

  6. Hey,

    Sexe et amour sont pour moi de beauté égale, autant qu’hommes et femmes, qu’ intersexué-e-s, trans et hermaphrodites peuvent l’être.

    Femme pan(sexuelle), poly, mais se refusant à un tri sélectif confortable, aimant le sexe (autant que le romantisme et l’amour si toutefois…), je me demande: où suis-je donc chez moi.

    Où suis-je donc chez moi quand dans les tavernes féministes je suis mal vue (corps trop normé parait-il, et esprit pas assez radical disent-elles), où suis-je donc chez moi, quand chez moi les hommes refusent d’accepter mes règles (et pas mes menstrues) alors que je chez eux je me plie aux leurs.

    Où suis-je donc chez moi… la liste est trop longue.

    Vous me direz: HS, je vous dirais que je suis fatiguée de chercher où donc je puis enfin m’exprimer en paix.

    Qu’elle vous accompagne.

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