Couples atypiques : on vous attend au tournant

L’hétérodoxie sociale, même quand elle est plus ou moins tolérée, est un aimant à explications post hoc. Et s’il t’arrive une tuile, de même qu’on cherche ses clés sous le lampadaire, tout le monde voudra imputer la cause de ton infortune à tes déviations par rapport à la norme sociale. Et ainsi, les couples atypiques sont quasiment condamnés à l’exemplarité.

Portrait crayon Meta Tshiteya par Audren

Meta Tshiteya (dessin d’après photo piochée sur lutinelefilm.wordpress.com/ )

Ou dit autrement : si tu ne suis pas la même route qu’eux, les braves gens qui te tolèrent plus ou moins t’attendront quand même au tournant.

Il y aurait des milliers d’exemples. Contentons-nous ici des cas d’hétérodoxie sexuelle et relationnelle :

  • Si tu es en couple avec quelqu’un du même sexe et que ton gamin a des difficultés scolaires, c’est parce qu’il lui faut un père et une mère.
  • Si tu vis avec deux femmes et que vous vous gueulez dessus régulièrement, c’est parce que le polyamour est une utopie.
  • Si vous êtes en couple libre et puis que vous divorcez, ça sera évidemment parce que vous étiez en couple libre.
  • Si tu es amoureuse d’un homme marié et qu’il finit par se lasser de toi, c’est parce qu’il est marié.
  • Si toi et ton homme êtes libertins et que votre grande fille enchaîne les petits copains sans jamais se « ranger », c’est évidemment à cause de l’exemple parental.
  • Si tu vis seule en invitant tes amants au gré de tes envies, et tu as parfois des épisodes dépressifs, ne cherche pas plus loin.
  • Si tu as épousé un homme bien plus jeune que toi et qu’un jour il part avec la nounou, c’est à cause de la différence d’âge.
  • Si ta femme fréquente les clubs BDSM et toi tu souffres de troubles de l’érection, c’est ses fréquentations perverses qu’on pointera du doigt.

Sauf les manchots, ça va de soi

Mais si vous êtes en couple ‘normal’ hétéro, exclusif, cohabitant, procréatif et fusionnel, il peut bien vous arriver n’importe quoi :

  • séparations à répétition
  • tromperie et mensonges
  • ennui mortel
  • engueulades et mépris
  • divorce avec pertes et fracas

… personne ne s’avisera de pointer du doigt vos pratiques monogames, puisque c’est évident que ça n’a rien à voir.

22 réponses à “Couples atypiques : on vous attend au tournant

  1. A reblogué ceci sur Opinion sur rueet a ajouté:
    si tu ne suis pas la même route qu’eux, les braves gens qui te tolèrent plus ou moins t’attendront quand même au tournant.

  2. Ohhh! J’adore ce dessin! Merci!
    Et oui, on se sent évidemment attendu au tournant. On developpe du coup une sorte d’hyper-vigilance, spécialement concernant les enfants. Pour notre fille, on se creuse les méninges sur le moindre changement dans ses rapports sociaux : Elle est timide ? Trop démonstrative ? Elle refuse de faire des bisous ? Elle en fait trop, à tout le monde ? Qu’est-ce qui relève de sa personnalité propre, des étapes « normales » de son développement social et affectif et de l’exemple que lui donnent ses bisounours de parents ? On a tellement intériorisé le regard critique qu’on finit par s’attendre nous-mêmes au tournant! Et puis, la petite merveille est merveilleuse.. et comme de bien entendu, elle n’y est pour rien : « normal! t’as vu son environnement ? 3 parents pour elle toute seule!  » c’est un peu frustrant de se dire que quoi qu’elle devienne, ce ne sera pas porté à son seul crédit (ou débit).
    Sur le plan sentimental par contre, même si le fait de se trouver face à des situations inhabituelles nous oblige à être créatifs pour trouver des solutions, la conscience d’être attendus au tournant, de partir avec un certain handicap (si c’était facile, ça se saurait), ça nous rend plutôt fiers de tenir la route et du coup, quand ça tangue vraiment, c’est un repère de plus auquel s’accrocher.
    C’est donc à double tranchant, il ne faut pas négliger la vanité de réussir là où tout le monde attend qu’on échoue 😀

    PS : Tu me dédicacerais l’ori du dessin ?

    • Le dessin n’a pas d’original proprement dit (je fais tout sur tablette).
      Mais je peux t’envoyer la pleine résolution pour valoir ce que de droit.

      Et mille fois merci pour le témoignage.

  3. « Juger autrui, c’est se juger. »
    de William Shakespeare
    « Il faut apprendre pour connaître, connaître pour comprendre, comprendre pour juger. »
    de Narada
    « La nature a donné aux grands hommes de faire, et laissé aux autres de juger. »
    de Vauvenargues
    « En tous pays, avant de juger un homme, le monde écoute ce qu’en pense sa femme. »
    de Honoré de Balzac
    « Nous ne sommes si enclins à bien juger autrui que parce que nous tremblons pour nous-mêmes. »
    de Oscar Wilde
    « Il est encore plus facile de juger de l’esprit d’un homme par ses questions que par ses réponses. »
    de Duc de Lévis

  4. @ Meta : tiens, ravie de vous croiser ici ! (même si j’aurais du m’y attendre). J’avais vu le reportage TV consacré à votre « trouple » (le correcteur de mon iPad refuse ce mot, CQFD) et avais trouvé votre style de vie très attirant. Certainement pas simple à vivre mais très attirant. Je vous souhaite à tous 4 tout le bonheur possible.

    @Audren : il me semble avoir déjà lu ici le même genre de réflexions, ou je me trompe ? 😉
    Quoiqu’il en soit, je ne peux que réagir au point n°4, parce que je m’y retrouve un peu : « Si tu es amoureuse d’un homme marié et qu’il finit par se lasser de toi, c’est parce qu’il est marié. » > Oui et non. Si on entend par là que marié ou en couple = amour impossible ailleurs, c’est effectivement erroné. On peut considérer, en revanche, que marié ou en couple monogame = pas libre à 100% de ses faits et gestes = obligé de dissimuler > dans ce cas, la lassitude me semble plus le fait d’une accumulation de difficultés que liée à la tierce personne elle-même.
    Reste que, dans le cas du polyamour, il me semble tout de même qu’on opère forcément une hiérarchie dans ses relations. J’aime mon mari et mon amant (ou ex-amant, snif !), mais mon mari passe avant tout. Meta elle-même a fait le choix de favoriser UN de ses hommes, et eux-mêmes vivent avec Meta et pas une autre. Autrement dit, on ne se lasse peut-être pas mais j’ai encore du mal à comprendre comment se positionne l’élément un peu mis de côté dans cette belle harmonie. Il doit falloir une sacrée dose de confiance en soi et en l’autre, et d’abnégation…

    • Quant à la hiérarchie entre les relations, je ne crois pas que ce soit une fatalité. J’aime souvent faire des parallèles avec le boulot : il y a sans arrêt des tiraillements entre la vie de famille et le boulot. Et heureusement, la plupart du temps, on parvient quand même à trouver un équilibre. Ça ne va pas sans difficultés, mais le boulot ne nous oblige pas à divorcer, et le couple ne nous oblige pas à démissionner.

    • Bonsoir!
      Je suis une lectrice fervente quoique généralement discrète de ce blog que j’aime beaucoup. (Discrète parce que le fait d’être apparue notamment à la télé fait que mes interventions ont tendance « confisquer » un peu une parole que j’espère au contraire aider à se libérer). Ravie en tout cas de lire de temps en temps que ces apparitions trouvent un écho positif chez certains.
      Je dirais que mon mode de vie n’est ni plus ni moins simple qu’un autre dans l’absolu. Il me serait beaucoup plus difficile de vivre dans un couple traditionnel. J’ai effectivement établi une hiérarchie dans mes relations mais par entre mes deux compagnons. Il se trouve que je n’ai qu’un seul utérus et que l’un d’eux avait très envie d’un enfant en même temps que moi. C’est ce seul critère qui a prévalu dans la décision de vie commune. Nous espérons d’ailleurs déménager dans un lieu qui nous permettra de vivre tous ensemble et d’élever d’autres enfants. Donc non, je ne privilégie pas l’un de mes deux « maris ». En revanche, toutes les autres personnes qui entrent ou désirent entrer dans une relation sentimentale avec moi sont au fait de la situation et conscients que agenda ne me permet pas forcément de leur consacrer beaucoup de temps ou d’énergie. Cela ne m’empêche pas de nouer des liens très forts. De la même manière, mes compagnons entretiennent des relations profondes et durable avec d’autres femmes et il n’est pas exclu qu’une ou plusieurs autres personnes viennent élargir notre famille. Mais pluralité ne signifie pas universalité. Nos histoires sont (s)électives et nous essayons de cultiver leur qualité. Le défi pour intégrer une nouvelle personne serait qu’elle plaise à toute la famille et c’est sans doute la principale différence avec ceux qui n’ont à choisir de compagnon de route que pour eux-mêmes 🙂

  5. Vivant dans un couple atypique (avec deux hommes depuis plus de 20) j’ai tout a fait ce sentiment… Même en inverse, à chaque fois que mes enfants réussissent on s’étonne, on vit depuis 20 ans ensemble on s’étonne, on se dispute pas : on s’étonne… C’est comme ci le fait que ma vie de famille est cool c’était bizarre…

    • C’est ça le pire : qu’on en soit fier(e) comme Meta, ou qu’en s’en étonne, on se retrouve soi-même à donner plus de poids qu’il n’en faudrait à ce qui nous différencie de la norme.

  6. Mariée et poly depuis 40 ans, j’ai d’abord entendu « ça vous passera quand vous serez plus mûrs », puis « quand vous aurez des enfants, ça vous passera », puis « vous êtes jeunes, mais quand vous serez vieux, vous serez malheureux »… bref, ça devait forcément s’arrêter un jour ou foirer lamentablement. Quand on a eu des crises- comme toutes personnes qui se côtoient depuis longtemps- c’était forcément dû à notre vie, tout comme la crise d’ado de nos filles , qui sont parfaitement épanouies aujourd’hui. Effectivement, on est attendu au tournant, mais il y a longtemps que je n’y fais plus attention, sachant que même si on se séparait aujourd’hui, après 40 ans de bonheur, les bonnes gens diraient « on vous l’avait bien dit que ça ne pouvait pas durer, leur truc! »

    • D’un côté, c’est décourageant ; de l’autre, au moins, ça incite à éviter de se mettre la pression, puisque quoi qu’on fasse, on n’y échappera pas.

  7. Vivant une relation qui comporte 4 sorties de l’orthodoxie (poly, BDSM, différence d’âge et distance), je dois avouer que c’est pas super facile d’en parler au proche. On se dit toujours « bon je leur raconte un point, ils vont être super choqués, et après j’évite de mentionner le reste… »

    • Ah oui, j’ai aussi envie d’en parler bientôt, de l’indigence des avis d’amis en la matière (ce qui amène à douter de la pertinence des conseils d’amis sur la vie en général, d’ailleurs).

  8. Bah… le phénomène ne touche pas que les relations amoureuses, sort d’une normalité quelconque et tu y as droit. Je discutais récemment avec des amis à propos d’une gamine de notre entourage qui souffre de problèmes sérieux d’élocution. Ils n’ont pas trouvé mieux que de mettre en cause son statut de fille adoptée ; son adoption l’a tellement traumatisée, la pauvre, qu’elle en a perdu l’usage de la parole !!!

    J’ai une amie qui m’a confiée récemment qu’elle se faisait draguer par un jeune de 22 ans son cadet et qu’elle ne savait pas quoi faire. Je lui ai répondu, s’il te plaît, profites-en, vis le moment présent ! Rien n’est simple, rien n’est garanti ! Je suis d’avis que quelle que soit le chemin qu’on veuille prendre il est semé d’embuches, rien n’est facile, il n’y a pas de formules magiques, le polyamour n’est pas une formule magique, la relation monogame ne l’a jamais été non plus… autant prendre la direction qui nous convient le mieux (ou qui nous attire le plus!)

    • « sors d’une normalité quelconque et tu y as droit » — parfaitement.
      C’est d’ailleurs pour ça que j’ai dit que je me restreignais au champ de l’hétérodoxie relationnelle parce qu’il me venait tellement d’exemples que ça faisait froid dans le dos.

  9. Par contre, en ce qui concerne ceci : « Mais si vous êtes en couple ‘normal’ hétéro, exclusif, cohabitant, procréatif et fusionnel, il peut bien vous arriver n’importe quoi : séparations à répétition, tromperie et mensonges, ennui mortel, engueulades et mépris, divorce avec pertes et fracas… personne ne s’avisera de pointer du doigt vos pratiques monogames, puisque c’est évident que ça n’a rien à voir. »

    Heu… si, on accuse de plus en plus le mariage -à tort ou à raison- d’être une prison qui conduite à tous ces problèmes… Le couple monogame exclusif est encore bien « vendu » mais le mariage de moins en moins. Je suppose que c’est une étape vers l’éclatement du couple exclusif, non ?!!!

    • Je ne sais pas. Peut-être, mais pas vite. J’ai presque l’impression au contraire qu’il y a plus de libertins mariés que pas…

      Je me dis que comme système de protection juridique du partenaire le plus faible et de prise en charge des enfants, le mariage c’est pas si mal, exclusivité ou pas. Et il n’y aurait même pas à changer le code civil pour rendre optionnelle l’exclusivité sexuelle. Il suffit d’interpréter « fidélité » (le terme officiellement employé) dans son sens large de loyauté plutôt que dans son sens étroit d’exclusivité sexuelle (ce qui est quasiment déjà le cas) pour que le mariage ne soit absolument pas antinomique de liberté affective et sexuelle. (tiens, une idée d’article)

      • Je connais un homme qui vit en couple, a des enfants et une maison sur le dos qui ne veut absolument pas se marier. C’est psychologique, il a l’impression de se lier définitivement. J’avoue que de nos jours je trouve cette attitude ridicule 😉 Qu’est-ce qu’un bout de papier va changer de plus ??? Ce qui change c’est la façon dont on décide de vivre ce mariage !

  10. Pingback: Parcours de lecture (à caractère subliminal) | les fesses de la crémière·

  11. Ha, elle est belle, Meta! Et mère d’une petite humanité… 🙂 (…une connaissance)

  12. Pingback: Polyamour | Pearltrees·

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.