Tchplu ta copine !

A part en maternelle, c’est assez rare que les amitiés se finissent en ruptures explicites. En général, on assiste plutôt à un effilochage progressif de la relation entre ami-e-s mais qui est le plus souvent réversible. Par contraste, les amours sont bien moins fluides. Je dis que c’est parce qu’on y met trop d’enjeux et trop d’exclusivité, ce qui pousse à des comportements malsains et des raisonnements binaires

kid sulking big time - digital pencil drawing

Tchplu ta copine ! (ref. photo (c) Yllas on deviantart)

Je t’ai proposé qu’on se voie parce qu’il faut qu’on parle. Ca me fait de la peine de te le dire mais je pense que notre amitié ne va nulle part depuis un bon moment. T’es pas vraiment venue m’aider pour mon déménagement ; je sens que tu préfères passer plus de temps avec ton équipe de roller derby qu’avec moi ; je vois bien que mes concerts de harpe te lassent un peu et qu’on se skype moins souvent qu’avant. Je ne t’en veux pas que notre amitié n’ait pas marché, je sais que je ne peux pas t’obliger à rester mon amie. Je préfère que les choses soient claires, et je te propose qu’on arrête complètement de se voir et de s’écrire à partir d’aujourd’hui, ça sera mieux pour toutes les deux.

Evidemment, ça fait sourire. En général, une fois passée la maternelle, notre façon d’envisager l’amitié s’accompagne rarement de serments empressés, et encore moins de sms de rupture (sauf crasse impardonnable). Quand on est super potes on se trouve plein d’occasions de se voir, et puis quand on passe à autre chose, ou bien quand on s’éloigne géographiquement, on se contente de moins se voir, en laissant les points flotter nonchalamment autour des i. On ne claque pas la porte, on ne se supprime pas dans les contacts, on ne se défriende pas sur facebook. Et puis à l’occasion, on se redécouvre parfois des atomes crochus qui n’avaient pas disparu et on reserre un peu une amitié qui était juste restée en suspens.

Cette fluidité décontractée des rapports amicaux, j’ai l’impression qu’elle doit beaucoup à trois choses :

  • l’amitié n’est pas conçue comme exclusive,
  • les excès émotionnels y sont culturellement découragés,
  • et on y met beaucoup moins d’enjeux.

L’amitié n’est pas exclusive

Quand on peut avoir autant d’ami-e-s qu’on veut, et comme on n’a pas à proclamer à la collectivité que celui-ci ou celle-là est notre seul-e et unique meilleur-e pote, pas besoin de faire le ménage parmi les anciennes amitiés un peu distendues pour pouvoir en nouer de nouvelles.

Quelque part, dans nos références culturelles d’ici et maintenant, nos rapports amicaux sont expressément non-exclusifs, au point que le nombre d’ami-e-s facebook est un signe de valeur sociale (au contraire du nombre d’amant-e-s ou d’ex, qui est un signe de salopitude). Ceux qui n’ont strictement qu’un-e seul-e ami-e sans qui ils ne font jamais rien sont quasi catalogués comme asociaux.

L’amitié n’est pas passionnelle

On a tous en tête des exemples littéraires d’amitiés passionnelles, où la relation entre deux BFFs est décrite dans les mêmes termes d’exaltation sentimentale que le romantisme choisira plus tard de reprendre pour décrire la passion amoureuse. Je peux me tromper mais je crois que notre capacité à ressentir quelque chose de très fort pour une autre personne n’est pas toujours corrélée au désir sexuel.

Simplement dans nos références locales et actuelles, l’expression de la passion hors du cadre de la relation romantique (ou du militantisme) est maintenant découragée. Pas question de pleurer un quart d’heure dans les bras du copain qu’on accompagne au train du retour ; pas question de dire à sa meilleure amie, à genoux en lui tenant les mains, les yeux humides et le coeur battant, combien on la trouve resplendissante, combien on tient à elle, et comme on panique à l’idée qu’on pourrait un jour ne plus être copines.

Car les usages nous inculquent assez tôt qu’il convient de savoir apaiser les émotions qu’on ressent dans le cadre amical. A contrario, la littérature et la culture nous encouragent à exalter celles qu’on ressent dans les relations amoureuses, souvent jusqu’à l’excès. Nos amitiés, dépassionnées, sont ainsi décrispées — et peut-être par contrecoup un peu moins passionnantes que celle de Montaigne et La Boétie.

On y met moins d’enjeux

Hormis la situation très stigmatisante du pariah qui n’a vraiment aucun-e ami-e, il y a peu d’attentes culturelles autour de nos amitiés. On les noue un peu comme on veut. On peut avoir quelques super potes ou 350 amis facebook. On peut débarquer en vacances avec une copine du yoga sans que toute la famille en fasse un fromage. On peut avouer lors d’une conversation que ça fait trois mois qu’on n’a pas revu l’ex coloc sans que l’interlocuteur-e se sente obligé-e de faire un commentaire « oh, je suis désolé-e pour vous, ça doit être dur, on peut en parler si tu veux. » On peut se pointer avec un pote à une soirée sans avoir à préciser ce que l’on est l’un pour l’autre « salut, je vous présente Romain – on se connaît depuis notre année de licence ; on n’est pas colocataires mais on passe souvent nos soirées l’un chez l’autre ; on prévoit même d’aller faire le GR20 à deux en septembre ».

C’est très libre et pas grand monde essaie de mettre les amis dans des cases pour savoir lesquelles sont des amitiés sérieuses et lesquelles pas. Et personne ne définit comme critère de succès de sa vie ni le fait d’avoir ou non un-e meilleur-e ami-e, ni la durée de chacune des amitiés.

Et moi je dis : prenons-en de la graine.

13 réponses à “Tchplu ta copine !

  1. Ne pas fermé les portes dans la relation. C’est quelque chose que je suis en train d’apprendre. Je pense que c’est fameux. Que ce soit en amitié ou en amour. C’est une une amante qui m’a enseigné ça. Et c’est vrai que c’est toujours bien de pouvoir appeler quelqun qu’on aime pour lui dire simplement : »on se voit ? ».
    Je pense que la différence entre une amitié et un amour n’est seulement le mots qu’on pose dessus.

  2. Voilà bien pourquoi je parle d’amitié naissante quand j’envisage une liaison. Cela laisse mes (éventuellement futurs) amis dubitatifs.
    Et pourtant … Un vrai pacte de loyauté et de franchise en toute liberté, sans aucune exclusivité, bref, un rêve de relation humaine.

  3. Aussi en amitié, on a moins peur de blesser l’autre car on n’est pas à fleur de peau. La relation est plus fluide, plus saine, la communication est facilitée. Quelle magie que ces amitiés-amoureuses où on est libre de rire en buvant une bière ou bien de passer la soirée au lit à faire l’amour ou des câlins. Quelle liberté ! Après, reste à trouver un amoureux qu’un tel comportement avec nos amis ne choquera pas. Et qui pourra aussi faire pareil de son côté.

  4. C’est marrant moi j’ai les défauts des qualités que tu décris, j’entretiens aussi mal les relations amicales qu’amoureuses. Je ne fais pas vivre les relations au « quotidien », les liens sont plutôt très ténus et les amitiés se font par circonstances, uniquement sur certaines activités par exemple (sportive ou culturelle) mais sans pour autant déborder sur d’autres, je pourrai faire l’analogie avec les sexfriends avec lesquels on ne se verrait que pour la gaudriole, une sorte de cloisonnement en fait.

  5. et moi j’dis: j’avais eu l’idée aussi, mais c’est pas si facile…. because le désir, le sexe et la libido…. et ça tu le sais bien.

  6. Mais je suis bien d’accord avec toi sur le 1er paragraphe.
    La suite, pas forcément… des amitiés peuvent s’avérer très toxiques…
    Mais je suis plutôt du même avis que toi globalement… et ça fait du bien quand même de te lire ! 🙂
    ++

  7. Tout d’abord, j’adore le titre et l’image ! C’est meugnon tout plein 🙂

    Les trois raisons listées me semblent très justes (non-exclusivité, mesure émotionnelle et moindres enjeux). J’en ajouterais une quatrième : l’amitié ne fait pas partie des situations qui sont « ritualisées » dans le schéma social (pas de contrats, pour faire court).

    L’amitié fait partie de nos moments et de nos choix « libres », dans cette architecture sociale très organisée, de ce qui permet de fluidifier la vie sociale malgré ses contraintes et ses obligations. On n’y met pas de début ni de fin, on attrape ce qui vient et on le fait durer autant qu’on le souhaite. Rien ne nous est imposé.

    Le rêve du polyamour consiste justement à libérer l’amour de cette emprise sociale (la société nous disant ce qu’on doit faire une fois qu’on a fait un choix de longue durée ou engageant) pour retrouver cette simplicité auto-équilibrée qui est l’apanage de l’amitié.

  8. Voilà un sujet qui me plait…
    Finalement réintroduire plus de passion dans les relations d’amitié permettrait d’éviter que toute notre charge émotionnelle ne soit dirigée que vers une seule personne, ce qui est à l’origine de la peur panique de la rupture (les polys, bienheureux, ont déjà au moins un parachute).
    Le couple est un trop petit clan, définitivement.
    Moi mon grand rêve dans la vie ce serait d’avoir un ami très proche sans que tout le monde se demande si on ne couche pas ensemble. Il n’y a que ça qui intéresse le peuple : qui couche avec qui. Si l’exclusivité disparait, soit les gens deviendront moins bête, soit ils s’ennuieront à mourir… Il faudrait leur trouver un autre interdit sociétal à surveiller. Tiens, peut-être que tout le monde se mettrait (enfin) à faire la chasse à la corruption?
    Mais je m’égare 🙂

  9. J’aime beaucoup ton article et partage largement ce point de vue. Je rajouterais juste qu’il y a aussi cette différence que les grecs avaient identifiée déjà entre Philia et Eros. Cf cette page très chouette je trouve : http://philovive.fr/?2009/04/12/142-lerotisme-lamitie-lamour-du-prochain-eros-philia-et-agape . Culturellement on a en effet associé Philia à l’amitié et Eros à l’amour, avec toutes les conséquences désastreuses que l’on connait. Et quand on sait que Philia est aussi l’Amour de soi… et que tout commence par là…

  10. Je ne suis pas d’accord.
    Tout d’abord sur l’amitié, certes ce que tu décris « on y met moins d’enjeu » est rare mais cependant… Tu cites plus haut crasse impardonnable, est-ce qu’on ne souffre pas de la trahison ? Est ce que ça ne fait pas vraiment mal un ami qui trahit ?
    On y met moins d’enjeu, certes, mais le cas d’un ami qu’on enterre ? Ça ne fait pas mal ça ? Ces sentiments là sont-ils fades, creux ?
    Ensuite je n’aime pas ton amalgame. Ce n’est pas seulement toi, mais il semble que ça devient la mode d’affadir les sentiments, amour ou amitié. Je lis entre les lignes : pourquoi ne fusionnerait-on pas l’amour et l’amitié, tiens oui pourquoi pas ?
    Je reste ami avec mon ex… mouais on affadit l’amour et on déprécie l’amitié. L’amitié se construit petit à petit. Et quand on s’est vraiment aimés, c’est triste mais ça finit souvent mal, même si cela peut s’apaiser après surtout si on a eu des enfants. Parce qu’on en veut à l’autre d’avoir cassé la magie…
    Entendons nous bien, je n’ai absolument rien contre le polyamour (même si je l’appellerais autrement) mais je ne suis pas trop d’accord pour le sentiment. Pour moi les partenaires sont des « béguins » (démodé je sais). ça peut être plus ou moins fort, ça peut durer plus ou moins longtemps, et je conçois parfaitement que l’on ait besoin de s’attacher, de complicité pour faire l’amour.
    Mais aimer deux personnes à la fois ? Mon auteur préféré est Francesco Alberoni, je te le conseille. Je ne sais pas si je m’explique bien mais je voulais t’expliquer pourquoi je ne suis pas d’accord ! 😉

    • Mais on peut aimer de différentes manières. Difficile de partager de la passion avec plusieurs personnes, mais l’amour, la tendresse, l’attachement, et à plus forte raison le désir, ne sont pas réservés à une seule personne. Il ne s’agit pas de mélanger amitié et amour, mais de reconnaître que si les engagements ne sont pas les mêmes, des sentiments très forts peuvent naître et durer, avec une intensité parfois surprenante. Sinon, comme il vient d’être dit, les trahisons, le manque de délicatesse, ne blesseraient pas autant, sans doute ….

  11. J’adore ! C’est sympathiquement écrit et je partage en tous points vos propos. Chouette site… bravo !

  12. En fait ce n’est pas non plus une vérité absolue même si votre description de l amitié permet de comprendre les relations libres. Certains, certaines mettent l amitié et les relations intimes sur le même plan et donc ont autant de peine de perdre un ami que de perdre une relation intime.

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