Est-ce plus dur d’être monogame quand on est bi ?

Ni plus ni moins que pour les autres. Ce n’est pas comme si la diversité de l’humanité et des désirs se résumait à la distinction entre les possesseurs de phallus et les propriétaires de vagins. Et donc, à moins de n’être attiré-e rigoureusement que par un seul type très étroit de personne, l’engagement monogame nécessite de renoncer à l’expression de la plus grande partie de nos attirances, que l’on soit hétéro, homo ou bi.

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une fille blonde, brune, rousse, mince, ronde, sportive, grande… (ref. photo (c) par carvenaked sur deviantart.com)

Bisexualité et exclusivité

La question de la non-exclusivité est souvent soulevée dans les couples où l’un-e des deux est bisexuel-le, quand il/elle a eu l’audace de s’en ouvrir à son/sa partenaire.

D’abord, c’est une très bonne chose. Ensuite, ça se comprend bien. Demander l’exclusivité sexuelle à quelqu’un qui est attiré par les deux sexes, c’est lui demander de renoncer à un pan entier de ce qui fonde son identité sexuelle.

Dans la version la plus modérée de l’exclusivité, on pourrait se contenter d’attendre de l’autre qu’il/elle s’abstienne de donner une suite charnelle à ses attirances bi. Malheureusement, c’est en général la façon la plus commune et archaïque de concevoir le couple et la jalousie qui prévaut : on se sent menacé-e par le simple fait de savoir que le/la partenaire puisse se sentir attiré-e par un-e autre que soi et on espère (on exige) que l’amour et l’engagement d’exclusivité sachent étouffer tous ces autres désirs.

De facto, la personne bisexuelle (ouvertement ou non) qui prendrait un engagement monogame (explicitement ou non) se retrouverait partiellement dans la même situation qu’un-e homosexuel-le qui n’a pas fait son coming-out, à devoir en permanence cacher voire refouler une partie de ses désirs. Et même si ce n’est qu’à moitié pareil, vu le mal-être profond qu’entraîne ce genre de situations, on peut comprendre que le choix de l’exclusivité ne soit pas du tout anodin.

La même question se pose d’ailleurs concernant ceux et celles qui ont un fantasme (kink) très particulier et dans lequel leur partenaire n’est pas prêt-e à les accompagner. Soumission, bondage, latex, etc. : certain-e-s s’épuisent littéralement à réprimer quelque chose qu’ils/elles ressentent comme faisant profondément partie de leur identité sexuelle.

Dans ces deux cas de figure, même si apparemment chacun peut trouver la satisfaction de ses besoin sexuels élémentaires au sein du couple exclusif, on imagine facilement que la répression des autres désirs finisse par s’accumuler au point que le couple (et l’engagement d’exclusivité qui va avec) est perçu comme un obstacle à l’expression de ces désirs. Et donc l’engagement d’exclusivité qui était sensé protéger le couple est en fait son talon d’Achille.

Et nous autres ?

On pourrait s’arrêter là et concéder qu’il semble ‘structurellement’ plus légitime pour les bisexuel-le-s et les kinksters de négocier une forme de non-exclusivité dans leur relation. Et qu’à l’inverse, pour nous autres, l’exclusivité serait plus naturelle. Et en poussant le raisonnement à l’extrême, une personne bi pourrait réclamer la liberté pour elle tout en la refusant à son/sa partenaire non-bi ou négocier des arrangements symétriques absurdes (par exemple si une nana bi propose à sa compagne lesbienne un deal où toutes les deux ont le droit de voir d’autres personnes, mais uniquement des hommes).

Une personne en particulier ne peut éventuellement correspondre qu’à une modeste proportion de tout ce qui nous fait potentiellement envie

C’est trop vite oublier que l’humanité est beaucoup plus diverse que la seule distinction hommes/femmes, et que les élans sexuels ne se résument pas à avoir envie de bite et/ou de chatte. A part les rares personnes qui ne se sentent attirées que par un archétype étroit, chacun est capable de vibrer pour des personnalités et des physiques très variés. Et une personne en particulier ne peut éventuellement correspondre qu’à une modeste proportion de tout ce qui nous fait potentiellement envie.

Je ne crois pas être tellement spécial et je sais que je peux m’éprendre d’une fille blonde, brune, rousse, mince, ronde, sportive, grande, petite, timide, bavarde, sérieuse, délurée, pâle, bronzée,… Et en épousant une petite rousse aux yeux marins et à la peau d’albâtre, j’ai dû faire taire pendant vingt ans mon attirance pour toutes les autres (en particulier certaine brune plantureuse aux boucles indomptables et dont je n’oublierai pas de sitôt le sourire à tomber par terre).

Donc à part le fait que les hommes sont très sous-représentés dans toute la ribambelle de mes attirances, il est illusoire de penser qu’une seule personne puisse focaliser à ce point mes envies que toutes mes autres tentations s’en trouvent miraculeusement neutralisées. Ni toutes les autres, ni même la plupart. Ainsi, j’ai vraiment l’impression que pour les hétéros, les gays et les lesbiennes, l’exclusivité est tout aussi peu anodine qu’elle ne l’est pour les bisexuel-le-s : elle demande de réfréner la majorité de nos désirs.

D’ailleurs, comme le dit Dan Savage, l’engagement monogame ne peut pas être la promesse qu’on n’aura plus envie de coucher avec d’autres personnes : on aura toujours envie de coucher avec d’autres personnes — simplement, on fait profession de s’en abstenir (pour une raison qui m’échappe, mais chacun son truc).

Tout ça pour dire qu’en matière d’exclusivité, on est un peu toutes et tous logé-e-s à la même enseigne, bisexuel-le-s ou pas.

8 réponses à “Est-ce plus dur d’être monogame quand on est bi ?

  1. L’engagement monogame est une construction sociale admise par la majorité dans notre culture. Il en est de même pour l’hétérosexualité ou l’idée que la sexualité doit être « vanille ».
    Par conséquent, les personnes affichant leur refus de la norme hétérosexuelle ou vanille affichent leur refus d’un diktat social et se mettent, au moins un peu, en marge de la société.
    Une fois ce refus affiché, il est plus facile de refuser d’autres diktats sociaux, par exemple la monogamie, mais aussi tout ce qu’il faut bien appeler le modèle de vie « bourgeois ». Le refus de la monogamie devrait donc être corrélé avec l’affichage de pratiques sexuelles particulières, l’homo et la bisexualité, mais aussi le refus d’un travail stable, l’engagement politique ou social alternatif, etc…
    Je n’ai pas de statistiques sous la main, mais je pense que la corrélation existe.

  2. Pas nécessairement « convergences idéologiques », simplement: corrélations.
    Pour prendre l’exemple inverse: quelqu’un qui n’ose pas passer le pas de la bisexualité par peur du qu’en dira-t-on bien qu’il soit tenté par des partenaires de son sexe n’osera peut-être pas non plus afficher son goût du BDSM ou passer le pas du couple libre.

  3. Je suis à peu près d’accord avec le contenu de cet article mais avec quelques bémols.
    Je ne crois pas que l’on soit tous égaux devant la (non-)monogamie et je pense que la bisexualité est un des facteurs aggravants.
    Moi qui suis tombé dans la marmite du trio tout petit, j’ai su très vite, avec ma compagne, que je ne pourrais pas rester bien longtemps fidèle ayant compris 1/ que je n’allais pas pouvoir vivre ses envies avec elle et 2/ que je ne comptais pas vraiment les réfréner.

    • Interessant.
      Est ce que ce n’est quand même pas un peu ce que je dis au début ? Que c’est plus facile de remettre en cause le moule dominant quand on voit évidemment qu’on n’y correspond pas ? Mais qu’en fait une bonne partie des hétéros n’ont pas quant à eux ce regard pragmatique sur leur sexualité et s’imaginent dur comme fer qu’ils sont censés être capables de réfréner leurs désirs, vu que c’est la seule voie qu’on leur propose.

  4. Misère, que c’est difficile de vous lire en ce moment, parce que vos articles me font terriblement écho. Libertine jusqu’au bout des ongles, bisexuelle et plus que probablement kinkster (quel drôle de petit mot !). Mais en couple hétérocentré et monogame extrême, avec un compagnon que j’aime profondément mais pour qui le moindre pas de côté signifie tromperie, négativité, fin du couple, etc.
    Ceci dit, c’est vraiment terriblement bon de vous lire…

  5. Hello, super article pour ne pas changer 🙂

    Pour moi c’est deux fois plus difficile d’être fidèle quand on est bisexuel que quand on est juste homo ou juste hétéro.

    Je m’explique : outre ta remarque comme quoi en choisissant de rester fidèle à son compagnon d’un sex, on renonce nécessairement à un partenaire d’un autre sex, ce qui est vrai.

    Je raisonne mathématiquement et je me dis que l’on a 2 fois plus de chances d’être attiré par quelqu’un car on peut être séduit aussi bien par un homme que par une femme. Une personne hétéro ou homo n’aura elle qu’à résister à la tentation de l’un des des deux sexe.
    Ca se tient non ?

    Et, ouais, pas facile d’être bi !

    • D’une certaine manière oui ça se tient.
      Mais alors dans ce cas, ce n’est pas pour les personnes bi que c’est le plus difficile mais pour les personnes qui voient beaucoup de monde (et deux fois plus dur pour les personnes bi qui voient du monde 🙂

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