Couple libre : revisiter nos codes de conduite

Je fais peu d’articles purement pratiques. Pourtant, j’ai l’impression que c’est ce qui nous manque le plus. On est nombreux à être déjà convaincus que la non-exclusivité est non seulement défendable en théorie mais qu’elle nous correspond en profondeur. Malheureusement il y a loin entre la théorie et la pratique et quand il s’agit de mettre en oeuvre les principes dans la vraie vie, on se retrouve un peu comme un faisan d’élevage devant le lien de téléchargement de la notice chinoise d’un nouveau spectromètre.

Quel modèle, le spectromètre ?

Quel modèle, le spectromètre ?

Comment on fait, concrètement ?

Je vais donc démarrer une nouvelle catégorie, pour m’encourager à réfléchir sur les questions pratiques (j’y mettrai aussi les anciens articles qui y vont bien).

Parmi les questions pratiques des relations non-exclusives, il y a un fort besoin de savoir reconstruire des codes de conduite, puisque l’on s’est débarrassés de ceux du couple exclusif. Je prends ici un exemple particulier, celui de trouver le juste milieu sur l’information qu’on est censé-e donner / fondé-e à demander quand l’un des deux sort et l’autre pas.

  • « Suis-je possessif si je demande à quelle heure elle rentre ? »
  • « Est-ce de la jalousie si je veux un SMS de bonne nuit ? »
  • « Dois-je répondre s’il me demande avec qui je serai ? »
  • « Est-ce que j’abuse si j’ai envie de lui raconter ma soirée ? »
  • « Devrais-je préciser qu’on n’a pas couché finalement ? »

Pour répondre à ces questions, il y a à mon avis au moins deux méthodes.

1 – Utilisez vos mots

La première, c’est d’en parler. Duh ? (Ndt : américanisme interjectif servant à souligner le caractère désespérément évident de ce qui précède et à légèrement rabaisser quiconque en douterait — se prononce « dah » en terminant sur une inflexion semi-interrogative).

En fait, c’est pas évident du tout parce que même avec les meilleures intentions du monde, la discussion est toujours un champ de mines. Mais quand chacun sait raisonnablement s’exprimer et écouter, il faut en profiter à fond parce que c’est probablement la meilleure méthode.

En effet, nul n’est censé deviner ce qui n’a pas été exprimé, et chacun-e a des sensibilités différentes. Ce qui t’angoisse ne me ferait ni chaud ni froid si j’étais à ta place. Ce truc qui me gênerait le plus, il ne te viendrait même pas à l’esprit. Donc le mieux c’est d’étaler nos cartes sur la table et de discuter chacune.

  • « Tu préfères savoir avec qui je serai ? OK, ça ne me gêne pas de te dire. »
  • « J’aimerais pouvoir couper mon téléphone jusqu’à demain. Est-ce que ça te va ? »
  • « Je ne sais pas si je rentre dormir ou non. Est-ce que tu préfères que j’aille dans la chambre d’amis si je rentre ? »
  • « Je ne veux surtout rien savoir. J’aimerais pouvoir faire comme si tu partais juste pour une intervention. »
  • « Tu veux que je t’appelle quand je m’apprêterai à coucher avec lui ? Je trouve ça un peu intrusif ; j’aimerais comprendre pourquoi tu me demandes ça. »

Évidemment, ce genre de dialogue ne protège jamais des tentatives (conscientes ou non) de manipulation ou de chantage affectif : ça ne marche pas sans la confiance et la bienveillance. Mais comme à mon sens aucune relation ne marche sans la confiance et la bienveillance, ça résout la question.

Mais la méthode a deux limites :

  • elle nécessite de discuter de tout à l’avance ; or il y aura mille situations où il faudra décider sur un truc qui n’aura pas été abordé ensemble.
  • nous ne sommes pas tous des professionnels de l’écoute bienveillante, de la communication non-violente, du dialogue ouvert et intelligent. Et même dans la plus parfaite des relations il restera des zones d’ombre, des tabous inconscients où l’on n’osera pas mettre les pieds.

2 – Retirez le sexe

La deuxième, qui marche en complément de la première et qui fonctionne même quand on n’a pas pu en discuter, c’est de se ramener aux codes de conduite qu’on a déjà pour les situations sans caractère sexuel ni romantique — en vertu du principe que le sexe n’est pas une raison suffisante pour oublier tout ce qu’on sait déjà. En pensée, on essaie de se demander ce qu’il serait normal de faire, de dire, de demander, dans les deux univers parallèles suivants :

  • si notre relation était simplement platonique, voire purement à caractère logistique (comme si on était frère/soeur ou colocataires)
  • si ta soirée n’avait peu ou pas de tonalité érotique ou émotionnelle (comme quand tu sors danser ou comme quand je reste bosser tard)

Et donc c’est pas parce qu’on est avec une amante qu’on n’est pas censé-e prévenir qu’il ne faut pas nous attendre pour dîner : si on était sorti-e avec un frère ou un très bon ami, on aurait prévenu. C’est pas parce que l’autre est en agréable compagnie qu’on doit se retenir de lui envoyer un sms de bonne nuit ou lui demander s’il-elle sera là demain matin pour accompagner les enfants à l’école : s’il-elle était de garde ou à une soirée de filles, on n’aurait pas eu d’hésitation à le faire. Et à l’inverse, ce n’est pas non plus parce qu’il s’agit de sexe qu’on est en droit d’exiger de savoir avec qui tu seras, d’appeler dix fois dans la soirée pour demander un point d’avancement détaillé, ou bien d’imposer que l’autre rentre obligatoirement avant minuit sous peine de citrouille ; ou tout autre comportement de contrôle, certes suscité par l’insécurité, mais qu’on trouverait naturellement abusif si on se comportait comme cela avec son frère ou sa coloc.

Et ainsi ma règle d’appréciation (pour les sorties comme pour tout le reste) : un comportement qui aurait eu l’air abusif dans un autre contexte est probablement abusif aussi dans le contexte de la non-exclusivité.

16 réponses à “Couple libre : revisiter nos codes de conduite

  1. Artice simple mais « la simplicité c’est l’efficacité » 🙂
    Continuez comme ça, votre blog m’a aidé à voir plus clair et m’a permis d’avoir une relation plus épanouie avec mon amie, merci à vous pour ce que vous partagez.

  2. Bonjour Audren,
    Dans mon « Guide des amours plurielles », chaque chapitre se terminait par des réponses à des questions très pratiques et il semble que cela ait bien aidé les lecteurs/trices. A condition, je crois, de bien savoir dans quelle constellation chacun se situe. Je vous donne un exemple: pour moi, le polyamour ne tourne pas autour de la notion de « couple » mais de liberté amoureuse individuelle que chacun et chacune assume en prenant soin des personnes aimées, en toute responsabilité. Pour mon cher et tendre, le polyamour s’apparente davantage au « couple libre » avec le corollaire: que se dire, que demander, bref les questions dont vous parlez dans ce post. Ainsi, quand lui me dit « je sors ici ou là, avec une ou autre tel(le) » je me demande pourquoi il me raconte tout cela, vu qu’on a décidé depuis 40 ans que notre vie amoureuse était libre (ce qui n’exclut aucunement notre engagement dans un projet de vie commun). Et quand il me demande « tu sors avec qui ce soir? » ou me demande le lendemain des détails sur ma soirée, je trouve cela assez intrusif. Un matin où je lui en ai parlé, il a ouvert de grands yeux: « Mais non, ce n’est pas par méfiance ou curiosité malsaine, c’est juste parce que je m’intéresse à ta vie.  » J’ai compris alors que ma parfaite discrétion à son égard, il la prenait pour un manque d’intérêt pour lui!  »
    Restent les principes de base, ceux qui valent pour toutes les relations: prévenir si on ne rentre pas, souhaiter bonne nuit, régler les questions pratiques. En somme, comme vous le dites, ne pas changer d’attitude sous prétexte que le sexe entre en lice. Plus j’avance en âge, plus je trouve que le sexe est surestimé et qu’en le mettant à sa juste place- délicieuse mais pas primordiale- on éviterait énormément de problèmes!

    • J’ai vécu exactement la même asymétrie et c’est vrai que je l’ai un peu pris comme une marque d’indifférence vis-à-vis de ce que je vivais.

  3. En effet des grands préceptes théoriques sont bien plus facilement compris avec du concret, tu as su bien mettre le doigt sur toutes les questions que l’on se pose quand on avance dans ce genre de relation

  4. Bonjour,
    Fidèle lecteur de vos articles, je suis gêné par votre parenthèse dans l’ordre de lecture, ainsi du coup que le « Duh ? » auquel elle réfère :
    (Ndt : américanisme interjectif servant à souligner le caractère désespérément évident de ce qui précède et à légèrement rabaisser quiconque en douterait — se prononce « dah » en terminant sur une inflexion semi-interrogative).
    Là où j’apprécie le ton ouvert, non jugeant, non stigmatisant, non violent de vos propos, où je me sens accueilli et respecté en tant que lecteur quel que soit mes opinions — sur ce passage, je me sens explicitement bête et rabaissé — ce qui n’est pas agréable.
    (Une façon simple de réduire voir d’éviter cette expérience de lecture si d’autre que moi la partage, serait je pense d’extraire la parenthèse sous forme d’astérisque, et de la placer en fin d’article, mais une reformulation pourrais je pense encore mieux faire l’affaire.)

    Bref, vous connaissez mon ressenti sur ce petit détail de l’article, pour le reste, comme toujours, je trouve, plein de sagesse, votre regard sur les relations humaines en particulier intimes (que ce soit romantique ou sexuel). C’est toujours un plaisir instructif de vous lire, merci !

    • J’ai pourtant justement précisé juste après qu’en fait c’est pas évident du tout (même si ça peut sembler l’être au premier abord). Mais je suis d’accord que la parenthèse est un peu gratuite.

      • C’est pour ça que je parle de l’ordre de lecture 😉 J’ai bien saisi ensuite le coté pas si évident.

  5. Bonjour Audren,
    Cette réponse : « Je ne veux surtout rien savoir. J’aimerais pouvoir faire comme si tu partais juste pour une intervention. » soulève toute une série de questions chez moi (c’est le genre de chose que ma compagne me dit régulièrement).
    Est-on vraiment dans une relation de couple libre (chacun de ces deux mots est important) quand l’un des deux partenaires accepte que l’autre aie d’autres relations tout en faisant comme si ce n’était pas le cas ? J’ai de plus en plus de doutes sur la pertinence d’un tel fonctionnement sur le long terme…

    • Au sujet du « don’t ask, don’t tell », j’avais donné mon avis dans cet autre article. En gros, j’y dis que ça peut être jouable quand les épisodes extra-conjugaux n’empiètent (quasiment) pas sur le fonctionnement de la relation au jour le jour. Mais que s’ils viennent à prendre de la place, au lieu de simplement détourner le regard, le fait de ne rien vouloir savoir oblige à franchement se mettre les mains devant les yeux pour continuer à ne pas voir « l’éléphant dans la pièce » (comme disent les anglo-saxons).

      • Merci pour ta réponse, j’avais zappé cet article, de très bonne facture comme d’habitude 😉

    • Dans ma vision, l’optique « je ne veux surtout rien savoir » me fais supposer que l’ouverture du couple est serte consentie, mais subie plus qu’enthousiaste. Du coup, elle me fais craindre que ce soit un compromis pour souffrir le moins possible, de la part de quelqu’un qui n’embrasse pas avec enthousiasme et sérénité le couple libre, mais qui préfère s’y résoudre qu’a perdre l’être aimé. Du coup, ça me semble une solution acceptable à court ou moyen terme, si c’est une façon de vivre sa déconstruction des conventions socio-culturelle, de façon progressive, avant d’adopter pleinement et sereinement une approche libérée.
      En revanche, si dans la durée, au moindre raté, il y a un jaillissement de souffrance je ressentierai le besoin d’en discuter, et de questionner une éventuelle toxicité non assumé d’aspirations fondamentalement différente entre les membre du couple, et du coup si c’est pertinant de continuer à faire se compromis pour garder le couple, ou s’il ont est entrain de se transformer en [couple zombi](https://lesfessesdelacremiere.wordpress.com/2014/10/23/les-couples-zombies/), et qu’il serait tant de reprendre les reines de nos chemins de vie respectifs.

  6. C’est limpide, comme d’habitude.
    Je répète mon enthousiasme pour votre blog. C’est la carte du territoire que j’étais en train d’explorer. Merci.

    • Merci pour l’article, un démêlage concret des questionnements est bien utile en effet !
      « C’est la carte du territoire que j’étais en train d’explorer. » Oh, j’aime beaucoup :>

  7. Pingback: COUPLE LIBRE : REVISITER NOS CODES DE CONDUITE - Mon Carré De Sable·

  8. Mille mercis pour ce joli blog que je fais découvrir à mes connaissances peu à peu (ça fait partie de mon/notre outing, c bien pratique).
    J’ai eu ma vraie première expérience de « liberté » récemment avec une autre femme que ma chérie et j’ai à peu près réussi à faire selon ces préceptes mais…j’ai voulu couper mon téléphone durant la nuit….c balot, en fait apès coup, je me dis que, si j’avais été dormir chez un pote pour une soirée poker/bière/virilité caricaturale et ben, je l’aurai pas coupé mon téléphone….donc, voilà, pour dire que oui, les 2 principes dont tu parles me semblent très pertinents. Merçi et Vive la Navigation Amoureuse !

  9. Évidemment, chaque « sensibilité » peut différer, mais sur les questions proposées, les deux premières me paraissent admettre une réponse à peu près universelle.

    « Suis-je possessif si je demande à quelle heure elle rentre ? »
    Non. Vous vivez ensemble, ça fait partie des contingences domestiques (surtout si vous partagez le même lit). Par exemple, votre partenaire peut s’inquiéter de ne pas vous voir rentrer à telle ou telle heure (a-t-il trop bu et eu un accident en rentrant ?). Bref, c’est une information sécurisante. Après, il faut évidemment adapter aux « sensibilités » (il y a des personnes qui flippent facilement d’un imprévu, d’autres qui sont plus détachés). Ce qui peut sans doute être discuté, c’est le protocole. Ex : si je vois que je rentre plus tard que prévu, je t’envoie un SMS.

    « Est-ce de la jalousie si je veux un SMS de bonne nuit ? »
    Et là, je dis plutôt qu’il s’agit de possessivité, parce que vous demandez à votre partenaire de penser à vous à un moment où il/elle est avec un-e autre.

    Les trois autres dépendent évidemment des règles (ou du cadre, pour utiliser un terme moins dur) établies au sein de votre union.
    Et ce cadre est effectivement une bonne façon d’interroger ce qu’il convient de faire dans une situation non prévue/discutée.

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