En finir avec les contes de fées

La monogamie en série a de facto supplanté la monogamie stricte comme modèle majoritaire. Pourtant le conte de fées reste l’idéal de tout le monde, avec en cadeau la garantie de l’échec. Il serait temps de changer de modèle.

deux amoureux s'embrassent

Et ils vécurent heureux… (ref. photo DreamsMadeFlesh on deviantart.com)

Que dirions-nous d’un système éducatif qui engendrerait 30% d’échec scolaire ? Ne faudrait-il pas considérer que la scolarité est à revoir si le modèle « taille unique » perd autant de monde en route ?

Entre les contes de fées et le cinéma qui nous montrent le premier baiser en suggérant que la suite n’est qu’éternelle béatitude conjugale, nous sommes formatés pour croire au grand amour immuable et pour être profondément ébranlés quand la séparation devient inévitable. Pour continuer de croire en cet idéal, on se console en se disant qu’il y avait une erreur de casting au départ, mais qu’une fois trouvé le vrai, le grand amour, on aura atteint cette mythique fin de l’histoire amoureuse. Et on récidive, d’illusion en illusion.

On entend qu’un mariage sur deux finit par un divorce. C’est heureusement faux : les médias se contentent de rapporter le nombre de divorces d’une année au nombre de mariages de la même année. Donc c’est un chiffre débile. Toutefois, les statistiques INSEE montrent quand même que près de 20% des mariages ne passent pas la barre des 10 ans. Et un bon tiers ne dépasse pas 20 ans. Sachant qu’il ne s’agit que des mariages, c’est à dire seulement des couples qui se sentaient suffisamment solides pour prendre un engagement solennel. Je pense que la longévité des unions libres est sensiblement inférieure.

Pour moi, cette énorme proportion « d’échecs » est une preuve que le modèle du couple monogame à vie est inadapté. J’entends déjà ceux qui prétendent que c’est la société actuelle qui encourage l’égoïsme et le jetable. Je pense plutôt que c’était les barrières sociales ainsi qu’une morale du sacrifice qui maintenaient par le passé tant de couples dans un état d’insatisfaction chronique, voire de souffrance.

Je ne dis pas que le modèle de la fidélité à vie ne convient à personne. J’y étais très heureux pendant 20 ans, et j’aurais peut-être continué à m’y plaire encore 20 ans si ma femme n’avait pas mis un grand coup de pied dans la fourmilière. Mais voici un modèle unique qui est manifestement inadapté pour au moins un tiers, si ce n’est la moitié des gens. Et les différents témoignages qui viennent à mes oreilles me laissent à penser que les séparations et les divorces ne sont que la partie émergée de l’iceberg des unions insatisfaisantes.

Je dis qu’il vaudrait mieux élargir le modèle pour qu’il soit plus inclusif. De plus en plus de voix s’élèvent pour suggérer que la monogamie en série devienne la norme. En fait, c’est déjà statistiquement le modèle ultra majoritaire, puisque rares sont ceux qui se marient avec leur premier amour.

Ce nouveau modèle a ceci de bien qu’il n’exclut pas l’ancien. Après tout, un mariage unique toute sa vie est un cas particulier de monogamie en série (une série limitée à 1). Et en instaurant cette monogamie en série comme la norme, la rupture devient un acte normal. Elle est alors moins mal vécue : on n’est pas en train de « rater sa vie », ni de « tout casser ».

[…] mes épaules pèsent trois tonnes d’avoir envisagé qu’on puisse rester ensemble : je suis fatiguée des fausses solutions, des emboîtements impossibles, des coachs de couple, des pilules du désir, de la culpabilisation, des psys qui remportent le jackpot émotionnel, de la glorifitation d’un système qui ne fonctionne pas, de la victimisation permanente, de l’indépendance confondue avec l’abandon, du masochisme organisé. (Maïa Mazaurette, in La Coureuse, KERO 2012

Epilogue

Mais le modèle du couple libre est encore plus englobant. Il permet un nombre encore plus vaste de possibilités selon ce que chacun veut vivre, sans devoir obligatoirement faire un choix binaire et perdre son port d’attache. En introduisant de la fluidité et de la réversibilité dans le modèle de la monogamie en série, on évite le syndrome du choix. Et même quand la séparation s’avère finalement inévitable, au moins elle n’a pas à être brutale.

16 réponses à “En finir avec les contes de fées

  1. Mais pourquoi diable un modèle, quel qu’il soit, serait-il nécessaire, d’abord? Et a fortiori en amour?

    C’est bien votre cheminement personnel, votre vécu particulier, votre réflexion individuelle et non une éducation à quoi que ce soit qui vous a conduits tous deux là où vous vous trouvez aujourd’hui. N’est-il pas nécessaire, ce cheminement, pour que chaque couple trouve son équilibre propre, quel qu’il soit, précaire ou stable, durable ou éphémère, dans la pluralité ou dans l’exclusivité ? Vous proposez des raccourcis qui évitent le cheminement.

    Avant même le couple, ce qui est le plus libre, c’est le papier sur lequel chacun écrit sa propre histoire. Pas de quadrillage, ni dans un sens, ni dans l’autre.

    Après tout, vous dessinez (fort) bien sur autre chose que du papier millimétré, non?

    • Entièrement d’accord. Mais en l’occurrence, un modèle, il y en a déjà un. Omniprésent, totalitaire, aveuglant. Qui empêche de voir la feuille blanche le blanc de la feuille autour de l’autoroute que tous les couples empruntent bêtement. J’espère qu’en montrant un itinéraire bis cela permettra à d’autres de tracer leur voie hors-sentiers. Tiens, ça me donne une idée pour un billet.
      Et merci pour le compliment sur les dessins.

  2. Le modèle dans lequel se place aujourd’hui notre hôte a beau ne pas être le modèle dominant, il n’en est pas moins émergeant.
    Ça me paraît un peu utopiste de dire que la page est vierge. Il est plus facile de se placer dans un modèle différent si l’on sait qu’il y a des prédécesseurs. D’autant plus que pour former un couple, il faut être deux, et donc deux à décider d’un cadre dans lequel se placer.

  3. Je n’ai pas dit que la page était vierge. Je pense qu’en ne regardant que l’autoroute et pas les autres sentiers, on voit moins le paysage et tous les parcours hors-sentiers qu’on peut tracer sur le blanc de la page.

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