Un espace d’autonomie en marge de la vie de couple

J’avais effleuré la question dans un précédent billet : on prend bien soin (quand on est des parents un peu aguerris) de ménager à nos enfants puis nos ados des espaces de liberté, d’autonomie, d’intimité pour qu’ils ne se sentent pas étouffer dans une ambiance domestique de type big brother – mais on oublie de le faire dans le couple.

Combien de personnes en couple peuvent juste dire : « demain soir je sors », sans que l’autre demande tout de suite où, avec qui, jusqu’à quelle heure ? Combien peuvent rentrer un peu tard sans entendre « t’étais où ? ». Certes, il y a les tâches domestiques, et c’est nul de ne pas rentrer à l’heure prévue si c’est pour que l’autre se tape tout le boulot (sauf si justement l’autre n’en fout pas une en temps normal, au moins il voit ce que c’est). Mais c’est une chose de dire « Je comptais sur toi pour donner le bain à Annabelle et Léonie », et c’en est une autre de dire « T’étais où ? T’as vu l’heure ? Tu vois quelqu’un, hein, c’est ça ? ».

Et ce n’est pas forcément seulement pour les 5 à 7 crapuleux qu’il faut un espace de liberté. C’est pour la liberté en soi. C’est pour se sentir exister un peu sans l’autre, et en-dehors du boulot. Alors parfois, on dit : « si ça ne t’embête pas trop, je rentrerai un peu tard parce que je veux passer à Ombres Blanches ». On peut vouloir le dire parce qu’on a envie de partager ça, mais il ne faut surtout pas le dire pour se justifier, ni demander à l’autre de se justifier. Parce que si on prend l’habitude de toujours tout dire sous prétexte que ça ne mange pas de pain, on donne l’impression qu’il est normal de devoir se justifier, comme si l’autre ne pouvait pas nous faire confiance, comme si tout ce que l’on fait était l’affaire de l’autre… Et on s’enferme dans une transparence fusionnelle de fait qui sera à double tranchant le jour où on voudra faire un truc qui ne regarde absolument pas l’autre, ou même qui pourrait être mal interprété ?

  • Passer voir un psy, un ostéopathe ou un acupuncteur (mais c’est des conneries, tout ça, tu le sais bien, je t’ai déjà dit mille fois ce que j’en pensais)
  • Aller rendre visite à une ex qui vient d’avoir un bébé (tu peux pas l’oublier une bonne fois pour toutes, celle-là ?)
  • Fleureter au café avec un bon ami avec lequel c’est juste assez ambigu pour mettre de bonne humeur pour la semaine (mais vas-y, couche avec tant que tu y es ; en tout cas, je te préviens, je fais mes valises)
  • Préparer un anniversaire surprise* (ha ha ha ! Et moi qui commençais à me demander si tu n’étais pas en train de vouloir me cacher une aventure !)
  • Simplement aller flâner pour se détendre avant de retrouver le tumulte du foyer (qu’est-ce qui se passe ? ça va pas bien ?)

(* moi je dis que c’est aussi mal de mentir pour un anniversaire surprise que pour un rendez-vous galant)

Car on n’est pas sensé tout se dire. Il n’y a que les luthériens qui pensent que parce qu’on n’a rien à se reprocher alors il faudrait tout montrer. D’ailleurs les couples fonctionnent déjà avec au moins une grosse zone opaque : le boulot. Le boulot concerne 8 heures par jour (ouvré) de nos vies, et pourtant c’est rare qu’on en partage plus qu’un dixième. On en parle dans les grandes lignes mais qui va déployer le nouvel organigramme le soir sur le couvre-lit pour montrer les tenants et les aboutissants de la réorganisation et comment ça affecte les chances d’évoluer vers le poste d’adjoint au responsable des achats ?

Puisqu’on sait déjà très bien vivre avec le fait que le boulot de l’autre, c’est son affaire, pourquoi ne pas s’organiser des espaces d’autonomie pour chacun au sein du couple, pour autre chose que le boulot ? Forcément, c’est la peur de l’adultère qui sous-tend cette culture de la transparence conjugale – et ça explique aussi pourquoi une telle proportion d’infidélités surviennent dans un cadre para-professionnel, puisque c’est souvent le seul espace d’indépendance dont on dispose de fait.

Mais il faut bien comprendre que, de même qu’un ado ment sur ses allées-venues et fait le mur s’il est questionné et surveillé de trop près, de même la transparence totale dans le couple appelle le mensonge. Je pense que le pire dans les relations de couple en général (et dans l’infidélité en particulier), c’est le mensonge, parce qu’il sape la confiance. Un espace de liberté sera salvateur puisqu’il évitera d’avoir à mentir, et donc à la fois le sentiment pour l’un d’avoir été trahi ou pris-e pour un-e idiot-e, et pour l’autre le sentiment de culpabilité, de malaise et d’insécurité qui accompagne le mensonge.

Et puis discuter d’un espace de liberté, c’est un premier pas pour discuter de la liberté sexuelle et affective – quand on se retrouve à se dire noir sur blanc : « tu es libre de faire ce que tu veux dans ces moments à toi, sauf s’il s’agit de plaisir sexuel ou de sentiments exaltants pour quelqu’un d’autre » on peut commencer à mettre les points sur les i de nos contradictions culturelles.

Note annexe : il faut aussi un espace de liberté financière – au moins en argent de poche – parce que c’est chiant aussi d’être fliqué sur les relevés de compte.

13 réponses à “Un espace d’autonomie en marge de la vie de couple

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  5. Très juste mais pas évident à intégrer et à mettre en place. Surtout pour un couple très uni et très complice même si le principe (théorique) de Polyamour est plutôt bien accepté. Je pense que la première chose à faire serait de redéfinir la notion de COMPLICITE qui implique en général de tout se dire, avec ses pièges et travers que tu expliques (comme d’habitude) divinement bien.

  6. Le point de vue semble correct et pertinent, pourtant il est faux. La base d’un couple, c’est la communication. Vous proposer de diminuer la communication: çà ne fera qu’empirer les choses à long terme. La solution à chacun des exemples que vous citez, c’est de communiquer encore plus et de conserver/retrouver la complicité des vrais couples. C’est comme cela que je le vis. Et quand il y a des petits heurts, des petits trucs qui agacent, on communique encore plus et çà marche très bien.

    • Il ne faut pas confondre communication et transparence. Je pense comme la thérapeute Esther Perel que le ‘tout communication’ dans la gestion du couple va trop loin et devient une forme de transparence quasi fusionnelle, mutuellement intrusive, et apparemment néfaste pour l’entente érotique d’un couple, quand on est trop collé l’un à l’autre.

      Quoi qu’on fasse, on reste des individus. Essayer d’effacer cette individualité et renforcer le mythe de l’âme soeur n’est pas une bonne solution. Donc je persiste : chacun doit avoir un espace perso sans avoir besoin de rendre des comptes. Où seule la confiance compte.

  7. Je suis tout à fait d’accord avec Audren.
    C’est aussi bon de laisser l’univers de l’autre en suspens dans son silence.
    En tout cas je crois que l’érotisme, et peut-être aussi l’amour, s’exalte autour de ces vides là.

    • Oui Margaux et Audren, vous le dites très bien. Je pense qu’il ne peut y avoir de désir que quand il y a « manque », dans le sens où si on voit l’autre tellement souvent qu’il n’a même plus le temps de nous manquer, le désir s’effondre d’un coup.

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