Dix mauvaises raisons de devenir un couple libre

Après le succès du premier article, voici la version « côté obscur ». Parce que bon, la non-exclusivité n’est pas forcément non plus la panacée. Variations sur le thème : libre ou pas, notre couple a-t-il encore du sens ?

ashton kutcher - digital pencil drawing by audren

Ashton Kutcher et Demi Moore : ex-couple-libre ?

Au pied du mur pour te retenir

J’ai découvert que tu as un amant depuis plusieurs mois. Je te sentais distant, absent, impatient. Mais tu es l’homme de ma vie, je crois que je ne supporterais pas de te perdre, alors je te propose qu’on devienne un couple libre.

Ça peut marcher, si ton aventure n’est pas un prélargage déguisé en adultère.

Mais si ton comportement distant n’était pas dû au poison du mensonge ; si en vrai tu n’as qu’une envie, c’est de partir, alors l’épisode « couple libre » risque de me réduire en bouillie. La séparation sera inexorable. J’aurai des miettes de plus en plus petites, avec soit aucune liberté de mon côté, soit une liberté totale qui témoigne du fait que dans ta tête tu es déjà complètement parti.

Autant se séparer avant de se détester. Au pire, tu reviendras.

Plutôt que de te larguer

C’est un peu le pendant du cas précédent : je n’ai plus envie de vivre avec toi mais je ne veux pas avoir le mauvais rôle en étant à l’origine d’un drame.

Je pourrais te tromper mais le jour où ça pétera, j’aurai encore plus le mauvais rôle. Alors je suggère le couple libre ou le polyamour pour pouvoir recommencer un bout de vie amoureuse ailleurs en gardant le beau rôle.

En espérant secrètement que tu te trouves quelqu’un et que c’est toi qui décides de partir.

En mode chantage

Quand je profite de l’ascendant que j’ai sur toi pour exiger le couple libre unilatéralement sous peine que sinon tu fais tes valises.

Ce n’est pas parce que la société trouve normal le chantage inverse (« tu me promets l’exclusivité absolue sous peine que sinon tu pars ») qu’il faut jouer le même jeu.

Pour calmer un scandale médiatique

J’ai comme l’impression que c’est la nouvelle mode quand un couple de stars se retrouve sous les feux de l’actualité pour une histoire de coucherie extra-conjugale (généralement dûment documentée par la presse pipole au départ) : pour se dépatouiller des journalistes, ils improvisent : « ah mais vous saviez pas ? Machin et moi, on est un couple libre ! ».

Alors d’après ce que j’en ai lu, Jada Pinkett et Will Smith, Kristen Stewart et Robert Pattinson, Demi Moore et Ashton Kutcher s’étaient déclarés en couple libre après les révélations des frasques de l’un ou de l’autre.

On pourrait penser que ça a le mérite de populariser l’idée du couple libre.

Mais dans la plupart des cas, je pense que je ne suis pas le seul à soupçonner qu’ils ne sont pas plus en couple libre après l’annonce qu’ils ne l’étaient avant. Le temps que le soufflé retombe, ils auront tranquillement réglé les papiers du divorce ou bien ils auront passé l’éponge en attendant l’incartade suivante. Et probablement la prochaine fois qu’on entendra parler de leur couple libre, ça sera parce qu’ils se séparent.

Super pour populariser l’idée que le couple libre, ça ne marche pas.

Comme prétexte pour draguer

Dans la même veine de la mythomanie du couple libre, j’ai bien peur que « ma femme est moi, on est en couple libre » devienne un jour le bobard number one pour la drague extra-conjugale, devançant le célébrissime « avec ma femme, ça va pas super en ce moment, je crois qu’on va se séparer ». Pour se dédouaner moralement quand on est en train de reprendre contact avec son ex sur facebook.

Et même pas moyen de vérifier « cool, tu me files son zéro-six, je l’appelle pour voir si elle est OK pour un plan à trois » parce que l’autre aura le backup bobard tout prêt « ah oui mais non, on a un arrangement don’t ask don’t tell parce qu’elle préfère ne rien savoir ».

Pour rendre supportable une relation « fantôme »

Ça fait des années qu’il n’y a plus de câlins entre nous, plus d’attentions romantiques, plus d’étoiles dans les yeux. Mais on s’entend bien, on ne s’engueule pas, la maison tourne rond, le boulot ça va, le cadre est stable pour les enfants. C’est ennuyeux et pesant mais somme toute assez confortable.

Dan Savage appelle ça un couple « vaisseau fantôme » (traduction à paraître bientôt). C’est plus fréquent que ce qu’on croit parce que la culture littéraire et cinématographique nous fait croire que la fin d’une relation s’accompagne toujours de drames. Mais en vrai, la relation amoureuse s’éteint bien souvent sans explosion. Et aucun des deux n’ose débrancher ce couple qui est déjà cliniquement mort.

Se mettre en couple libre pour rendre la vie à deux plus légère en réglant la question des élans sexuels risque de ne pas avoir l’effet stabilisant escompté. En effet, je suis convaincu qu’ouvrir son couple est un accélérateur de maturité dans la relation. Et accélérer la maturité d’un couple moribond…

Bon, s’il faut en passer par là pour hâter l’issue, pourquoi pas, mais autant zapper et passer tout de suite à l’étape « séparation en bons termes », vu qu’on s’entend bien.

Pour régler nos problèmes de couple

Et puis alors quand ça va carrément pas bien du tout, c’est à peu près une aussi mauvaise idée que de faire un gamin. Bon, là c’est moins grave pour le gamin, c’est juste les amant-e-s qui risquent de déguster.

Ou comment combiner « avec ma femme, ça va pas bien en ce moment » avec « on est en couple libre » 😉

Pour repackager une situation polygame traditionnelle

J’ai récemment vu passer une décision de justice américaine relayée par la communauté polyamoureuse : des poursuites initiées par la police de l’Utah à l’encontre de la famille mormone polygame au cœur de la série télé Sister Wives ont dû être abandonnées, puisqu’il a été reconnu qu’il s’agissait d’adultes libres et consentants, et que Kody Brown n’était légalement marié qu’à sa première femme (les trois autres unions sont des engagements « spirituels »).

D’ailleurs, l’action a eu l’effet inverse de celui escompté et c’est maintenant la loi de l’Utah qui est mise en cause puisqu’en condamnant la cohabitation entre personnes non-mariées, elle s’avère être anticonstitutionnelle.

Oui mais c’est quand même un mari avec quatre femmes. Lesquelles n’ont très probablement pas d’autres boyfriends.

Moi ça me gêne. Je n’ai vraiment pas envie que l’acceptabilité sociale croissante du polyamour serve à repackager la polygamie traditionnelle comme la liberté de culte sert à repackager la burqa.

Pour ne pas avoir à parler de sexe entre époux

On s’aime, on s’admire, on tient beaucoup l’un à l’autre… mais le sexe ne va pas entre nous. Quelque chose que je ne fais pas forcément comme il faut, ou bien pas assez de variété à mon goût, je n’en sais rien. Je n’en sais rien parce qu’on n’arrive pas à en parler. J’aimerais que tu me dises tes envies mais dès que j’aborde timidement le sujet, tu fuis comme une anguille. Et moi je n’ose pas déballer le premier, de peur de passer à tes yeux (que je révère) pour un sale lubrique. On a tant d’estime l’un pour l’autre et notre culture nous a tellement pourri la tête et fait croire que le sexe est un truc honteux que la communication sexuelle maritale est un vrai champ de mines.

Alors on fait l’amour moins souvent. Et paradoxalement, l’amour que l’on fait est de plus en plus « classique » : moins on sait ce que l’autre veut, plus on tue la moindre fantaisie. C’est un peu comme si à dîner on finissait par ne cuisiner que des patates à l’eau parce qu’au moins on sait que personne ne déteste ça.

Ça serait dommage de choisir un arrangement non-exclusif juste pour continuer à éviter de parler de sexe entre nous. Le comble serait qu’on arrive parfaitement bien à en parler avec nos amants respectifs mais toujours pas entre nous.

Pour être libre comme l’air

Si tu veux n’avoir de comptes à rendre à personne, rentrer quand tu veux, partir au Pérou quinze jours sans dire où tu vas, donner des nouvelles quand ça te chante tout en retrouvant bobonne dans ton lit quand tu as décidé de faire un crochet par la maison, c’est célibataire qu’il te faut (sans la partie « bobonne », évidemment).

Dans couple libre, il y a libre, mais il y a aussi couple. Même quand tu es juste polyamoureux voire colocataire, tu n’es pas un électron libre.

14 réponses à “Dix mauvaises raisons de devenir un couple libre

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  2. Gare à ne pas se séparer trop tôt quand même. Pour n’avoir aucun regret. Ne pas abandonner trop vite. Essayer de voir le positif, même les deux pieds dans la boue. Parfois, il suffit « juste » de s’accrocher un peu. Le plus dur est de savoir si on s’accroche à du vent…

  3. Je déplore le passage sur la burqa. La liberté de culte n’est pas une « excuse pour repackager la burqa ». La liberté de culte est un droit fondamental, et la burqa est un choix vestimentaire individuel (jusqu’à preuve du contraire).

    Le fait de nier systématiquement la liberté de choix de femmes (peu importent leurs raisons) ne m’a pas l’air le plus « intersectionnel ».

  4. Bonsoir Audren,
    Tout d’abord, je tenais à vous remercier pour les articles intéressants que vous publiez chaque semaine sur ce blog que je consulte assidûment ! Ils m’ont véritablement permis d’avancer ma réflexion sur cette notion, décidément alambiquée, qu’est le « couple ».
    Néanmoins, je suis assez surpris par la dernière « mauvaise raison » d’être en couple libre que vous citez ici. Je comprends, à travers votre exemple du conjoint transformé en « boniche », votre point de vue. Mais qu’en est-il des gens qui, comme moi, sont de nature plutôt solitaire, et souhaiteraient des relations avec des gens qui nous aiment, que nous aimons, mais sans forcément habiter chez l’autre, sans avoir de compte à lui rendre sur nos activités, qui nous permettraient d’aller où que nous voudrions, même pour une longue période, sans justification, et réciproquement ? S’aimer en restant totalement libre, en gros. Évidemment, cela remet en cause la notion même de couple… Pouvons-nous réellement continuer d’utiliser ce terme ?

    • Je pense que ce que vous décrivez correspondrait plutôt à un genre d’arrangement polyamoureux qu’à une extension de la notion de couple.

      Quoi qu’il arrive, plus on veut pouvoir compter sur quelqu’un, et plus il faut s’attendre à devoir rendre des comptes en échange. Et inversement, plus on veut être libre et moins il faut s’attendre à ce que les autres soient indéfectibles dans l’attention qu’ils nous portznt.

  5. Cher, cher Audren,
    Mais vos dix mauvaises raisons ne sont-elles pas, un peu, quand même, les dix bonnes vues sous un autre point de vue ? Quelle différence faites-vous entre le « mode chantage » que vous décrivez ici et votre bel article « libre de partir » ? Et quand à « régler nos problèmes de couple », n’avez-vous pas vous-même écrit tout récemment que lorsqu’on cherche un problème dans un couple – surprise – on le trouve ?

    • Quelle différence faites-vous entre le « mode chantage » que vous décrivez ici et votre bel article « libre de partir » ?

      Je pense que c’est une question d’état d’esprit et de dosage. Ici, je parle vraiment d’une manipulation intentionnelle. Là-bas, je parlais d’un constat d’incompatibilité après mûre réflexion et discussions.

  6. a) Avoir un(e) seul(e) partenaire? Avec de la chance c’est formidable car cela permet d’arriver à une connaissance mutuelle profonde – et des plaisirs sexuels intenses.

    b) Le désir amoureux et l’acte sexuel sont (peuvent être) des moyens extraordinaires de s’approcher des autres et de les connaitre: comment, pourquoi, au nom de quoi s’en priver?

    Ce site est bien un site de la crémière: il plaide pour « avoir le beurre et l’argent du beurre ».

    Parfois cela marche. Personne n’a la recette universelle pour que cela se produise mais vous posez des bonnes questions, développez des réflexions, apportez des témoignages utiles.

    Si les lectrices de « Elle » et autres revues « féminines » pouvaient vous lire!… J’ai tâché d’y contribuer un tout petit peu – très peu car cela ne peut que se perdre dans des kilomètres de guimauve que « Elle » sert aux femmes (consentantes):

    http://www.elle.fr/Love-Sexe/News/Attention-n-importe-qui-peut-detecter-l-infidelite-en-moins-de-5-minutes-2854130

  7. Pingback: Parcours de lecture (à caractère subliminal) | les fesses de la crémière·

  8. Salut !
    J’aime beaucoup votre blog, et il m’a beaucoup inspirée. Il m’aide beaucoup à rationaliser car vivre dans un monde, où la jalousie est sans cesse vue comme « naturelle » c’est pesant et ça a laissé des traces sur moi.. Mais, en lisant votre blog, je me dis que ma jalousie ne vaut pas le coup (et aussi qu’elle est parfois un peu hypocrite car pourquoi être jalouse, alors que j’apprécie pourtant le fait de gambader avec d’autres personnes autant que lui en fait) J’ai vu aussi que vous proposiez dans votre dernier article un sens de lecture. Si, je peux me permettre ces deux articles me semblent être le pilier de votre blog « En finir avec les contes de fée »et surtout celui ci « Couple libre : peur que tu rencontre quelqu’un de mieux » (quand la jalousie arrive, il m’est très très utile, je me demande même si je vais pas l’encadrer chez moi 😀 haha)

    Et donc, pour cet article, juste une petite intervention.. Il me semble que le terme « rendre des comptes » pourrait être nuancé, comme la formule « etre libre » tout court.
    Mon copain et moi, sommes en couple libre. Mais, la close « liberté » compte quand même. J’aime l’idée de ne pas être obligée de dire avec qui (et donc rendre des comptes) je sors tel ou tel soir.
    Mais, ça ne veut pas dire pour étant qu’on ne se sent pas liés, l’un à l’autre. Dans, le sens, où on ne se voit pas comme des électrons libres, on envisage un avenir à deux (un appart commun par exemple, des projets de vie à l’étranger…ect) mais pour autant, si on se dit les choses c’est parce qu’on en a envie, et pas parce « qu’on se rend des comptes ». On se le dit par envie et attachement l’un envers l’autre.

    Vous voyez ce que je veux dire ?

    • Je vois parfaitement. Rendre des comptes, ça ne veut pas dire qu’on doive dire où et avec qui, puisque ces détails n’ont pas d’impacts matériels sur le-la-les partenaire-s. Mais ça veut dire au moins qu’on prévienne qu’on sera là ou pas là telle journée/soirée/nuit.

      Dans le paragraphe en question, je dis que pour n’avoir aucun compte à rendre, il faut vivre en ermite ; mais je ne dis pas que pour vivre en société il faille dévoiler aux autres ses moindres faits et gestes. Surtout que je pense le contraire.

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